
Ça y est : le 11 mars 2012 était lancé un "Collectif
national pour le non ou le boycott du référendum en
Alsace". Curieux mot d'ordre pensera-t-on. Il s'adresse à divers
mouvements de gauche te d'extrême gauche. Rien que du beau monde : le Front
de gauche de Mélenchon, l'UPR, le NPA de Besancenot, Lutte Ouvrière, le Parti
Ouvrier indépendant, reliquat du "parti des travailleurs"
trotskiste-lambertiste, la CGT, Force ouvrière, la FSU, Solidaires et le
mouvement Attac.
À leur manière par conséquent les nostalgiques du stalinisme,
du trotskisme et de Robespierre se rassemblent donc pour faire échouer la
réforme. On notera qu'ils utilisent pour cela un slogan trouble, correspondant à une manœuvre plus générale.
En effet, même
s'il obtient une large majorité le texte se verrait abandonné dès lors que la
participation resterait trop modeste.
L'Humanité se montre encore plus hypocrite : elle fait
semblant de noter simplement que "le laboratoire alsacien de la
décentralisation divise". Et elle
imprime de la sorte :
"Les soutiens au projet – principalement la droite,
mais les écologistes y sont également favorables –, menés par l’ancien ministre
UMP des Collectivités et président du conseil régional Philippe Richert,
estiment qu’il s’agit d’une question de bon sens qui ne fait qu’anticiper la
loi de décentralisation. La résolution-dissolution adoptée par les trois
collectivités parle de 'laboratoire pour un
nouveau modèle de décentralisation à la française '. Les socialistes sont divisés sur la question : la fédération du
Bas-Rhin est contre, celle du Haut-Rhin est pour." (1)⇓.
Ah ! diviser les socialistes, au nom de l'Unité perdue,
n'est-ce pas le vieux rêve de tout communiste qui se respecte depuis le Congrès
de Tours de 1920.
D'autres, au nom du soi-disant "souverainisme", volent au secours de cette campagne en diffusant de ridicules arguments anxiogènes, relayés par la rédaction des "Dernières Nouvelles d'Alsace" sur le thème: remettre en cause les départements, ce serait du "séparatisme", attentant à "l'identité de l'Alsace française".
Pour ma part, dois-je le dire d'emblée, je ne me sens
aucunement divisé face à ce projet : je suis pour, sans hésiter. J'y vois
une marche salutaire vers une France mieux décentralisée, plus enracinée, plus
libre
Le hasard d'une visite familiale m'avait amené à esquisser ces
lignes à Dinan, jonchée de drapeaux exclusivement bretons, autour de cette
longue place du Champ, d'où l'on peut admirer la statue équestre de Du Guesclin
par Frémiet – Dinan où 7 loges maçonniques et 170 initiés quadrillent une
population de 12 000 habitants.
Sans que les médiats hexagonaux y accordent pour le moment
beaucoup d'importance, la France se prépare donc à vivre le premier véritable
référendum régionaliste de son histoire. Le vote de 1969 s'était vu pollué par
la question ravageuse, pour ou contre la personne de Charles De Gaulle qui
proposait une révision fondamentale de la Constitution. (2)⇓.
Le non l'emporta et il a fallu attendre les lois Defferre de
1982 de Décentralisation, pour que soient reprises, complètement déformées et
polluées, certaines apparences de cette réforme. L'idée du frein à l'action
centralisatrice de l'État devenue étouffante se transforma en nouvelle poussée
de pouvoir féodal.
Voici donc maintenant que, ce 7 avril 2013, soit 30 ans
plus tard, l'Alsace devra se prononcer elle-même sur son propre statut. Elle
votera sur l'idée d'un saut qualitatif majeur : la fusion des trois
entités administratives régionales et départementales, en une seule, de
Wissembourg à Saint-Louis.
Comme toute décision à trancher par un oui ou par un non,
celle-ci appellerait certains amendements éventuellement utiles. On ne s'y
attardera pas pour l'instant, souhaitant que les Alsaciens aillent de l'avant,
donnent l'exemple à ceux qu'ils appellent "Français de l'intérieur".
Il faut souhaiter que cette région forte voie le jour pour que Picards ou
Savoyards ou Gascons ou même Franciliens s'en inspirent à leur tour.
La question de l'identité alsacienne ne ressemble pas, il est
vrai à celle des autres régions rassemblées par l'Histoire autour de la tige
capétienne. La linguistique ne semble pas avoir commandé, ici moins
qu'ailleurs, à la délimitation des frontières : au contraire, partant du
postulat que la langue de Voltaire est celle de la république, on demeure dans cette
région plus qu'aucune autre dans l'esprit de la chasse aux parlers du terroir.
Ceci remonte notamment au fameux discours de Barère à la
Convention sur les langues régionales :
"La monarchie avait des raisons de ressembler à la
tour de Babel ; dans la démocratie, laisser les citoyens ignorants de la
langue nationale, incapables de contrôler le pouvoir, c'est trahir la patrie…
Chez un peuple libre, la langue doit être une et la même pour tous." (3)⇓.
Le même écrivait aussi en 1794 dans un rapport au comité de
salut public :
"Le fédéralisme et la superstition parlent
bas-breton ; l'émigration et la haine de la République parlent allemand…
La Contre-révolution parle l'italien et le fanatisme parle basque. Cassons ces
instruments de dommage et d'erreurs."
Le 14 janvier 1790, pourtant une loi avait été votée
par la Constituante, elle-même issue des États Généraux sur proposition de
François-Joseph Bouchette. Il s'agissait de "faire publier les décrets
de l’Assemblée dans tous les idiomes qu'on parle dans les différentes parties
de la France" (...) "ainsi,
tout le monde va être le maître de lire et écrire dans la langue qu’il aimera
mieux." Des bureaux départementaux, en
Alsace, en Lorraine et en Bretagne, avaient été créés pour traduire sur place
divers textes. En novembre 1792, encore la Convention créa une commission
afin d'accélérer les traductions.
Au nom des coûts financiers, déjà, on en arriva un peu plus
tard à différer l'application de cette loi de bon sens.
Dans le contexte de la Terreur et de la lutte contre la
Chouannerie, en effet, les jacobins du parti montagnard, celui de Robespierre
et Saint-Just, considérèrent que "la" superstition et "le"
fanatisme, ainsi qualifiaient-ils leurs adversaires parlaient
"bas-breton". (4)⇓.
Le malheur de la France a voulu qu'à partir des années 1880,
cette conception a prévalu sur les autres, au nom du fameux mot d'ordre de
Clemenceau "la révolution est un bloc". Toute l'Histoire de la IIIe république sera marquée par cette
volonté des radicaux-socialistes d'éradiquer les racines suspectées : du
flamand dans le Westhoek au niçard dans l'ancien comté devenu en 1860
département des Alpes-Maritimes, gare aux familles rebelles et à leurs enfants.
Dès sa plus tendre jeunesse on arrache l'administré à la langue de ses grands parents.
La gauche si faussement majoritaire en 2012 s'investit certes
moins outrageusement dans les affaires d'Alsace que dans les 2 ou 3
"promesses sociétales" du candidat Hollande, c'est-à-dire sur les 60
énoncées en janvier-février 2012 par "Monsieur Normal", les seules
qu'elle puisse tenir.
Elle, ou plutôt lui, "lui président", n'a pas manqué
de miser en Alsace sur la haine radicale que les lubies agissantes portent à la
religion. Ce camp de la déchristianisation a subi un premier échec par-devant
le Conseil constitutionnel ce 21 février. Celui-ci avait été saisi au nom
de la laïcité, à l'encontre du maintien solennellement promis en 1918, et
naturellement reconduit en 1944, de la législation concordataire appliquée aux
départements réannexés de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.
Faut-il d'ailleurs rappeler que ces lois spécifiques ne s'y
limitent pas au Concordat de 1801 et à la liberté des cultes ? Au moins
aussi importantes, les lois allemandes de 1909 sur les associations, le régime
social bismarckien, l'organisation des tribunaux de commerce, etc. sans
corriger les tares du "modèle" hexagonal, ont toujours marqué cette
région d’une empreinte de sérieux, qui fait hélas trop souvent défaut aux
autres territoires administrés par Paris. Les Alsaciens y sont manifestement
fort attachés et on les comprend.
L'efficacité centraliste de nos technocrates, de nos fausses
élites et de nos maîtres ne s'observe guère en effet que dans la destruction et
la répression.
En reprenant possessions d'eux-mêmes les terroirs de ce pays
sauveraient donc ce qui demeure de ce peuple. En s'abstenant comme l'y invitent
insidieusement les gens de gauche, et quelques autres, ils remettraient cette nécessaire réforme à
des calendes que l'on n'ose qualifier des grecques, alors que le temps presse.
JG Malliarakis

Apostilles
- cf. L'Huma du 12 mars.⇑
- cf. son discours sur la réforme régionale prononcé à Lyon.⇑
- devant la Convention, le 27 janvier 1794.⇑
- cf. à cet égard le Tome III de L'Histoire de la Vendée militaire de Jacques Crétineau-Joly, volume consacré plus précisément à la révolte des "ci-devant provinces de Bretagne, Maine et Normandie".⇑
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