La déclaration de la chancelière allemande à Ottawa le 15 août aurait sans doute mérité une plus ample médiatisation auprès de l'opinion en cet été tardif.
"Le temps presse, a-t-elle constaté, si l'on veut sauver l'euro".
Sans doute François Hollande et ses collaborateurs directs connaîtront ce soir à Berlin les conséquences que l'équipe gouvernementale outre-Rhin en tire quant aux décisions à prendre.
Il faut regretter cependant que toutes ces négociations se déroulent aussi discrètement. On laisse ainsi les gros moyens de désinformation et les spéculateurs agiter le monopole de l'actualité.
Ne pas faire l'Europe au grand jour tend à la défaire.
Or, le temps presse. Et ceci éclaire l'importance et le climat, pour les jours qui viennent, du rendez-vous de ce 23 août à Berlin avec les dirigeants français, et celle des différentes réunions qui se seront tenues du 20 au 25 entre Paris et Berlin. (1)⇓
Malheureusement, Madame Merkel le sait mieux que quiconque : la question qui se pose ne se limite plus à la sauvegarde d'une monnaie actuellement commune à 17 pays sur 27. Elle porte sur la volonté politique des Européens de dépasser leurs chicanes micronationales et de faire évoluer leurs institutions.
Il y a maintenant plus de 20 ans, en effet, que l'on raisonne en fonction de l'euro. Au départ, celui-ci était conçu, et affirmé, comme un instrument, comme une courte étape, comme un moyen, permettant de passer rapidement à l'Europe confédérale.
L'unification allemande était présentée comme un exemple. On pouvait en effet considérer qu'elle avait beaucoup bénéficié, aux yeux du chancelier fédéral Helmut Kohl en tout cas, de sa proposition "un mark de l'est égale un mark de l'ouest", pour les particuliers. Le 1er juillet 1990, l'union monétaire allemande entre en vigueur, à peine deux mois après la signature du Traité d'union économique, monétaire et sociale du 18 mai 1990.
Ce tour de passe-passe avait certainement plus contribué à la cause nationale de nos cousins germains que les tergiversations de la classe politique parisienne. Malgré les proclamations officielles et les déformations rétrospectives, il faut souligner que nos chers dirigeants se sont montrés complètement dépassés par le processus (cf. Giscard) sinon sournoisement hostile (Roland Dumas, Mitterrand).
Retenons cependant, quand même, dès le départ, qu'il ne convient pas de surestimer l'épisode monétaire. Ceci conduirait à une grave l'erreur de perspective historique. Les innombrables personnes officiellement tuées en tentant de franchir le mur de Berlin, les centaines de milliers d'Allemands de l'est victimes de la répression communiste, la lutte des familles séparées ont joué dans ce processus de libération un rôle infiniment plus fort que le troc monétaire. Le communisme s'est d'ailleurs effondré dans la Pologne des années 1980, et ce qu'on appelle "chute du mur" doit autant à Lech Walesa, Jean-Paul II et Soljénitsyne qu'à la démocratie chrétienne allemande ; elle ne doit rien à Jacques Delors, rien à François Mitterrand, rien aux héritiers du gaullisme.
La manipulation monétaire, certes habile sur le moment, n'a nullement effacé les quarante années de domination soviétique et d'imprégnation communiste des mentalités en Allemagne de l'est. Elle n'a pas empêché les difficultés inhérentes à l'unification, qui très rapidement apparurent. Plus de 20 années plus tard, entre anciens "Ossis" et "Wessis", le fossé n'est pas encore complètement comblé, alors qu'il s'agit d'un seul peuple et qu'il doit tendre de plus en plus à s'estomper.
Or, dans l'esprit des rédacteurs du traité de Maastricht, le but était en 1991 d'unir politiquement l'Europe, assez vite, peu de temps après l'union monétaire. (2)⇓
Aujourd'hui Mme Merkel propose donc de réaliser cette unité non pas grâce à l'euro mais en vue de sauver l'existence de la monnaie unique acceptée par 17 pays sur 27, et qui se trouve ébranlée dans son existence même.
De la sorte, une réalité s'impose : si, sous une forme institutionnelle ou sous une autre, une confédération se réalisait au sein de l'Eurozone, dès le départ, elle laisserait au départ, en dehors de cette "Europe" ainsi définie les 10 pays qui n'ont pas adhéré au projet monétaire de 1991 : la Suède comme la Grande Bretagne, la Tchéquie comme les pays baltes, la Roumanie ou la Bulgarie. Et que dire des peuples que certains apprentis sorciers se proposent de rejeter comme plus pauvres.
L'Europe purement consommatique, l'Europe coupée de ses racines culturelles, l'Europe des petits hommes gris, joue donc ainsi dramatiquement une sorte de fin de partie.
Une crise mondiale s'est ouverte à Wall Street en 2008, il y a maintenant quatre années. L'année suivante, en 2009, a commencé une crise de la dette, engendrée en fait par la mort de l'État Providence en Europe. Mais depuis lors ni les institutions dites communautaires, ni les négociations intergouvernementales n'ont encore pas su la résoudre.
Faut-il craindre une fois de plus que seule la foudre leur fasse croire à l'orage ? que seule l'imminence du danger dévoile aux frivoles petits cochons roses l'existence du grand méchant loup ?
Les classes politiques micronationales portent à l'évidence, chacune, une grave part de responsabilité. Elles endorment depuis 20 ans les opinions locales dans un double discours, totalement illusoire, aussi bien lorsqu'il flatte le chauvinisme le plus fallacieux, que lorsqu'il fait de la construction européenne une affaire évidente et facile, puisque gérée par nos merveilleux dirigeants.
La crise aurait pu rendre ces gens intelligents : est-ce la lâcheté qui les rend stupides ?
Il ne faut pas que s'installe l'incompréhension entre l'Europe du nord et l'Europe du sud.
Il faut aller de l'avant, et tant pis si cela met en accusation de manière très directe les routines de ces prétendus démocrates parisiens qui, par-dessus tout, ont peur du peuple et n'envisagent de le gouverner que par le mensonge et la dissimulation.
Mitterrand écrivait qu'en politique "on ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment". Ses héritiers se heurtent désormais à cette constatation brutale : le temps presse.JG Malliarakis
Apostilles
- Le lundi 20 le ministre allemand des Affaires étrangères, Guido Westerwelle, recevait à Berlin son homologue grec, Dimitris Avramopoulos. À l'issue de la rencontre il a déclaré que "le gouvernement allemand désire que nous restions tous unis dans la zone euro. Nous travaillons dans le sens du maintien de la Grèce dans la zone euro". Le mercredi 22 le premier ministre grec Antonis Samaras recevait le président de l'Eurogroupe Jean-Claude Juncker auquel il rappelait la position de son pays qui demande "du temps et non de l'argent". Le jeudi 23 Mme Merkel reçoit François Hollande. Le vendredi 24 elle reçoit Antonis Samaras qui visitera François Hollande le samedi 25.⇑
- Certains rêvaient de la doter d'un outil de défense commune. Ce fut d'ailleurs une condition durement négociée en opposition sur ce point à Helmut Kohl. Celui-ci politicien assurément plus habile finit par concéder que l'UEO assurerait cette fonction. Mais on a mis fin, depuis à l'existence même de cette structure. Ainsi, l'Union l'idée d'organiser l'Europe comme puissance allait progressivement s'estomper. ⇑
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