Le 9 juillet au soir, j'avais donc raté un épisode des journaux de 20 heures. Triomphalement le 10 juillet, on annonçait cependant encore, sur les ondes des radios les plus commerciales, la grande nouvelle qui devrait nous rassurer. La France, nous dit-on, emprunte désormais à un taux négatif. Elle le fait auprès de ce qu'on appelle les marchés financiers internationaux.
Enfin, le rêve saint-simonien deviendrait réalité. L'État peut s'adresser à la Banque pour obtenir des avances de fonds sans se préoccuper de rembourser, et il pourra de la sorte satisfaire tous les besoins de la société. À chaque échéance correspondra une nouvelle avance, et ainsi de suite.
Le détail de ce brillant tour de passe-passe ne nous est malheureusement distillé qu'au compte-gouttes.
On nous révèle cependant que l'Agence France Trésor, gestionnaire de notre dette publique, a placé des bons à 3 mois à -0,005 % et des bons à 6 mois à -0,006 %.
On ne connaît pas trop, en revanche, la part des investisseurs français dans ce coup de génie.
On apprend seulement que nos compatriotes détiennent désormais une part grandissante du stock d'obligations d'État. Leur proportion est passée de juin 2011 à mars 2012, de 33,5 % à 36,2 %.
Nul ne peut ignorer que par ailleurs le principal gestionnaire de fonds privés de l'Hexagone annonce s'être entièrement dégagé de toute détention de titres d'États de la zone euro. Même la dette allemande ne l'intéresse plus.
De là à imaginer que les récents acquéreurs de ces bons du Trésor à rendement négatif se soient recrutés chez les opérateurs publics ou contrôlés par des amis du pouvoir, seuls les méchantes langues entreront dans une telle dégrisante tentation.
Si la part des créanciers français dans l'encours de la dette nationale remonte, comment ne pas s'en réjouir ? Mais, par ailleurs, comment l'interpréter ? Cherchez la femme dit l'adage policier. Cherchez la complaisance et la consanguinité, relevant presque de l'inceste, entre gens de finance, de haute administration, de politique et de sous-traitance médiatique. Voilà ce que nous enseigne, hélas, l'expérience "républicaine".
Ah ! mais, dira-t-on, tous les journaux n'impriment pas tous en même temps les mêmes sottises. Enfin : pas exactement les mêmes.
Mediapart ce 11 juillet prétend, par exemple, informer ses lecteurs des "choix économiques du nouveau pouvoir." Ainsi donc le gouvernement Ayrault se révélerait à la veille de prendre des décisions. Magnifique. Et la présidence Hollande saurait où elle va. Ça s'arrose ! Et comme un bonheur n'arrive jamais seul, le même cyber-journal nous pense "sur la route du social libéralisme". De quoi nous consoler de la phase actuelle du changement climatique, bien pluvieuse en ces jours d'été.
Difficile d'accorder beaucoup de crédibilité à tout cela.
D'autant qu'une nouvelle semble être passée presque inaperçue. Si de véritables observateurs professionnels des marchés prenaient le temps d'y réfléchir, mais ce loisir les traideurs et autres spéculateurs en jouissent trop rarement, on se demande comment ils évalueraient les perspectives du pays.
La désastreuse info est tombée le vendredi 6 juillet à 23 heures 23. Une dépêche Reuters nous apprend que le Premier ministre venait de rendre publique la fin de la RGPP. Ce sigle désigne la "révision générale des politiques publiques" entreprise depuis plusieurs années et particulièrement sous cette appellation, durant la présidence précédente, afin que l'État puisse "faire mieux avec moins".
Le texte reparaît à l'identique sur de nombreux sites spécialisés dans la Bourse, la Finance ou l'Économie. Mais jusqu'à présent la nouvelle n'a guère ému les grands moyens d'information. Même "Les Échos" du 9 juillet, première édition après la diffusion de cette info, brillent par leur discrétion. Entre-temps, pendant la fin de semaine, un jeune cycliste tricolore de 22 ans avait gagné une étape dans le Tour de France. Des millions de familles sont parties en vacances. Et le lundi, Monsieur Normal pouvait commencer ses rencontres sociales pour la plus grande gloire de Dieu.
Seul le chef du gouvernement en personne reprenait son propre propos, le 10 juillet au palais d'Iéna, devant la "conférence sociale". "J'ai décidé, a-t-il confirmé, de mettre un terme à la Révision générale des politiques publiques, la RGPP, qui a profondément déstabilisé nos services publics et leurs agents", a déclaré M. Ayrault Et, si on en croit la très courte dépêche d'Associated Presse personne n'a protesté. Citons l'agence : "Depuis la mise en place de la RGPP à l'été 2007, les syndicats dénonçaient ce dispositif qu'ils qualifiaient de "démantèlement des services publics". La RGPP avait notamment introduit la culture du résultat dans le secteur public, et posé comme objectif de rationaliser les moyens mis en œuvre."
Donc la RGPP peut être jetée dans la fosse commune, de ce que le langage professionnel des vieux trotskistes appelle les "poubelles de l'Histoire".
Or, tant qu'à faire de passer pour un adversaire irrécupérable du socialisme, un compliment en somme il semble impératif de comprendre hier, aujourd'hui et demain la nécessité de ce que fut la RGPP. Les lecteurs de mon petit livre bleu (1)⇓ ont pu découvrir que l'auteur cite ce dispositif en exemple, probablement l'une des meilleures réalisations du quinquennat écoulé. Si l'on veut diminuer effectivement la dépense publique, objectif essentiel pour conduire à la libération fiscale, la marche passe par un retour à la RGPP. Il ne s'agit pas de confondre cette politique avec les caricatures de rentabilisation à marche forcée, purement technocratique, comme le cas de France-Telecom sous la direction de Didier Lombard nous en fournit l'écœurant exemple. Il s'agit tout simplement de travailler, répétons-le, à "faire mieux avec moins." Il ne s'agit pas de sabrer dans les effectifs, mais d'effectuer au fil des départs à la retraite, un travail de longue haleine. Ceci suppose de la constance dans l'effort et ceci a porté ses fruits de 2007 à 2012, en permettant d'économiser environ 15 milliards sur les deniers des contribuables.
Si le nouveau gouvernement voulait donner un signe de son sérieux et de sa volonté de réforme, il ne fallait pas y mettre terme sous prétexte de complaire aux bureaucraties syndicales de la fonction publique : il convenait au contraire de la généraliser. Dans mon petit livre j'évoque à ce sujet 8 pistes.
Une équipe avait été mise en place, sous le nom de Direction générale de la modernisation de l'État et sous la responsabilité de François-Daniel Migeon. Cette structure était composée de quelque 140 personnes dont la moitié venant du privé.
Voilà des chômeurs sur lesquels nos médiats ne verseront aucune larme, pas plus que la droite ne semble actuellement reconnaissante aux rares hommes politiques, telle Valérie Pécresse, durant sa courte mission de Ministre du Budget entre juillet 2011 et mai 2012. Ils se sont courageusement investis dans cette œuvre impopulaire, mais à terme indispensable et salutaire. À tous ces gens le contribuable et le citoyen doivent rendre hommage.
En les balayant d'un revers de main le nouveau pouvoir accélère la marche du pays vers l'abîme. Voilà un progrès que l'on gagnerait à entraver. Mais comme nous empruntons à des taux négatifs, nous ne nous contentons pas d'aller dans le mur : nous klaxonnons.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. "Pour une Libération fiscale", livre que l'on peut commander directement sur le site des Éditions du Trident
- ou par correspondance en adressant un chèque de 20 euros aux Éditions du Trident 39 rue du Cherche Midi 75006 Paris
-votre libraire peut le commander par fax au 01 47 63 32 04. - téléphone :06 72 87 31 59- courriel :ed.trident @ europelibre.com⇑
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Je dis cela comme ça...
Rédigé par : Monsi | jeudi 12 juil 2012 à 20:22
ce que vous dites à propos de la RGPP ne semblent pas très correctes. Sous les septennats "Mitterrand" déjà les syndicats se plaignaient de la réduction continue des effectifs. ( et j'en viens vient à penser qu'elle est encore plus ancienne! )Tout continuera comme avant Hollande. Travail de longue haleine avez-vous dit?....
La S.F.I.O. fit toujours une politique de droite pourquoi croiriez-vous que cela va changer? Comme les électeurs de 81 peut-être?
Rédigé par : mersenne | vendredi 13 juil 2012 à 15:17
Comme d'habitude analyse géniale de lucidité et toujours votre note d'humour que je trouve plaisante!
Aller dans le mur en klaxonnant...quelle ironie!
Merci a vous "JGM"!
Dominique.
Rédigé par : Dominique | lundi 16 juil 2012 à 14:53
Ce n'est qu'une politique de social(-libéral)isme.
Je ne vois pas où reste la liberté quand un État se mêle de tout et du contraire sans même arriver à accomplir ce pour quoi les libéraux admettent son existence...
Rédigé par : VXLV | mercredi 18 juil 2012 à 22:54
Les banques françaises sont bourrées d'énarques qui viennent de précédents gouvernements en attendant de céder ensuite leurs places soit pour y retourner, soit pour partir en retraite.
Il s'agit donc d'aider les copains au gouvernement pour que les renvois d'ascenseur puissent s'effectuer entre gens de bonne compagnie...
D'où l'augmentation des encours français dans la dette française...
Rédigé par : VXLV | mercredi 18 juil 2012 à 22:59
Bonsoir à tous ! (je n'ai jamais vu autant de réactions à une chronique de JGM. Bravo!) Les maximes des Shadoks sont d'un grand secours pour tenter de décrypter ce qui se passe à la tête de l'Etat. Vous parlez d'aller dans le mur en klaxonnant ? Les Shadoks ont leur réponse : "Quand on ne sait pas où on va, il faut y aller, et le plus vite possible. C'est quand même le plus sûr moyen de le savoir (où on va)..." Ou encore : "Il vaut mieux pomper d'arrache-pied et qu'il ne se passe rien plutôt que de risquer qu'il se passe quelque chose en ne pompant pas !" Et je garde le meilleur pour la fin : "Les Shadoks avaient mis au point des petites pompes pour les petits problèmes et des grosses pompes pour les gros problèmes. Ils avaient même mis au point des pompes pour les cas où il n'y avait pas de problème du tout. Pour ceux que la technique intéresse, disons que quand on pompait avec ça, non seulement il ne se passait rien, comme avec une pompe shadok ordinaire, mais plus on pompait, plus il n'y avait rien qui se passait. C'était quand même une sécurité...". Amicalement, Pierrot
Rédigé par : Pierrot de la Luna | vendredi 27 juil 2012 à 23:21