Pourtant RTL, radio commerciale préférée de nos compatriotes faisait dix minutes de parenthèse sérieuse. Elle interrogeait, à 7 h 50, sur la politique extérieure le ci-devant chef de gouvernement Laurent Fabius, puisque celui-ci occupe en ce moment le siège de Talleyrand au quai d'Orsay, à défaut de bénéficier de celui de Courteline à l'académie des amuseurs.
Toujours franc et loyal, cet ancien jeune homme n'a guère révélé au bas peuple les intentions mondiales du pays qu'il représente désormais. Il prend donc en considération deux dossiers, exclusivement : la guerre civile syrienne, et les menaces qui se précisent dans la région du Sahel.
À partir d'août, et pendant deux mois, une durée limitée quoique cruciale, le conseil de sécurité de l'ONU sera présidé par ce personnage. Il va s'efforcer, nous a-t-il annoncé, de convaincre la Russie de se tirer une balle dans le pied, alors que la diplomatie de Vladimir Vladimirovitch Poutine regrette encore de l'avoir fait en 2011 dans l'affaire libyenne.
Mais contrairement à ce précédent, il est d'ores et déjà affirmé que la France n'interviendra en aucun cas. Elle ne fournira pas d'armes aux insurgés islamiques, dont on reconnaît implicitement qu'il faut se méfier. En revanche on laisse les médias parisiens déverser au quotidien une propagande unilatérale assourdissante en leur faveur, alors qu'on la sait financée par l'Arabie Saoudite et par le Qatar, appuyée par les ambitions régionales de la Turquie.
Dans le Sahel non plus, pas question d'apporter un soutien substantiel aux Africains. En dépit des anciens accords de coopération et des intérêts français, nos dirigeants actuels ne veulent plus être considérés comme des amis, simplement des intermédiaires, des "facilitateurs". À peine oseront-ils intervenir comme porteurs d'eau discrets des protecteurs américains.
Parallèlement, un mot n'est pratiquement jamais prononcé dans tout cet élégant enfumage. L'Europe n'existe pas. On n'évoque ni ses intérêts ni ses institutions.
Sans doute, certains auront pu en remarquer la fugace mention de-ci de-là. On en relève par exemple la trace dans les éditoriaux du "Monde". Mais, à vrai dire, ces derniers jours votre serviteur ne l'a repéré, comme par accident, qu'une seule fois : dans la bouche du président de la république. L'exception se passait au journal de 20 heures sur France 2, le 30 juillet. Dans le contexte, à propos des Jeux Olympiques, le chef de l'État faisait l'apologie de l'enthousiasme des foules autour du sport spectacle. Il déclarait nécessaire cette adhésion émotionnelle "alors que", lâcha-t-il en substance, "nous allons être confrontés à des moments difficiles, pour l'Europe, pour notre pays"…
Vraiment ? des épreuves à venir pour l'Europe ? pas possible ? un lapsus sans doute !
Or, l'occultation médiatique de la situation nous semble doublement singulière.
Tout le continent se trouve, en effet, menacé par les remous extérieurs. Et ceci le mettra d'autant plus en péril qu'il doute de plus en plus de ses propres institutions…
Or on doit rappeler ici que le prétentieux Fabius porte en principe le titre, et qu'il occupe la double fonction, de ministre des Affaires étrangères et européennes.
À aucun moment, entre les préoccupations russes et celles des États-Unis on n'aura évoqué les positions de l'Europe en tant que telle. Riveraine de la Méditerranée par 7 États-Membres sur 27, l'Union européenne doit en réalité se savoir tout entière concernée.
Signalons au besoin qu'elle dispose à Bruxelles, sous la responsabilité de Lady Ashton d'une instance de Politique extérieure et de Sécurité commune. À quoi celle-ci sert-elle ?
Les hommes de l'État central parisien ont bel et bien toujours tenu la plume des principaux traités, y compris les plus récents adoptés à Maastricht (1991), Nice (2000) et Lisbonne (2008).
Un certain politicien socialiste nommé Fabius joua certes en 2005 un rôle décisif dans la campagne référendaire. C'est bien son courant au sein du parti qui, allié aux communistes, refusa la ratification, qui fit basculer la majorité et qui, de la sorte, empêcha l'adoption du Traité constitutionnel. Le texte avait été rédigé sous la houlette de Valéry Giscard d'Estaing, mollement soutenu, et en fait plombé par Chirac, etc.
La politique intérieure hexagonale a ainsi conduit, une nouvelle fois, à un gel du processus continental. De même un demi-siècle plus tôt le vote de 1954, au Palais Bourbon, avait empêché la création d'une Communauté européenne de défense. Aujourd'hui encore cela en paralyse la perspective alors que la protection américaine est appelée à s'estomper et que Washington intervient de plus en plus ouvertement en faveur de la pression islamique.
On n'en parle pas beaucoup en France, mais on le sait en Europe.
On comprend donc que la présence, à la tête de la diplomatie solitaire parisienne, de ce Fabius, énigmatique "noniste" de 2005, interpelle, interroge et inquiète les 26 autres États-Membres de l'Union européenne.
L'occasion pourrait sembler belle, de la part d'un président qui, lui-même, avait fait campagne pour le "oui", de lever cette dommageable ambiguïté : il ne s'en est pas encore saisi.
Or, on doit se rendre compte des incertitudes actuellement incroyables des perspectives et des institutions européennes.
Chaque jour elles semblent osciller, du fait de la crise, entre deux perspectives extrêmes : - entre une demande de renforcement fédéraliste, d'une part - et les hypothèses d'un éclatement monétaire, d'autre part.
On ne peut par conséquent que regretter qu'une telle attitude de sphinx semble ainsi prévaloir entre l'Élysée et le quai d'Orsay.
Quelle que se révèle la ligne finale qui sera adoptée, son application souffrira beaucoup d'être sortie d'un chapeau, sans vrai débat.
On regrettera un jour ou l'autre ce mépris des technocrates à l'égard des citoyens, contribuables, et autres manants que nous sommes.
Le sourire satisfait du Fabius le représente bien.
Il symbolise malheureusement le déclin, pour ne pas dire la dérision, de ce que nous appelons encore une démocratie, une république.
JG Malliarakis
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