Parmi les rumeurs qui circulent à Paris, l'une d'elle fait plaisir aux partisans de la nouvelle présidence. La patrie de Pasteur et de saint Vincent de Paul serait passée une fois encore, comme il y a 30 ans, "de l'ombre à la lumière". Ah! elle revient de loin, après avoir semblé, entre 2007 à 2012, celle de Landru, du docteur Petiot et de l'évêque Cauchon. Et, comme il se doit, le preux chevalier prend fait et cause pour les bons combats.
Monsieur Normal milite donc désormais pour les euro obligations. Depuis un certain temps, – à la fin de "l'ancien régime" – Bercy semblait déjà pencher en faveur de cette solution. Notons par conséquent que l'actuel chef de l'État ne diffère guère en cela de son prédécesseur. Mais il semble s'opposer sur ce point aux vues de nos cousins germains avec plus de véhémence.
Dès le 21 mai, Pierre Moscovici, ministre de l'économie et des finances parisien et son homologue allemand, Wolfgang Schäuble se sont confrontés sur cette question. (1)⇓ Elle reste plus ou moins pendante entre la chancelière Merkel et le président Hollande.
Ceux qui ne verraient pas le danger du projet des fameuses euro-obligations disposent depuis lors d'un indice de taille. Une boussole bien connue pour indiquer le pôle sud, l'OCDE, par la voix de son économiste en chef M. Padoan se prononçaient le 22 mai (2)⇓ en faveur de ce nouveau monstre juridique virtuel.
Déjà le philanthrope bien connu George Soros, dans une entretien publié par Der Spiegel avait indiqué ce chemin de perdition comme voie de salut pour l'Europe et l'euro qu'il aime tant. (3)⇓
D'autres solutions existent pourtant. Ainsi Alexander Lambsdorff qui représente les libéraux allemands au parlement européen propose une solution infiniment plus radicale : celle de la liquidation des dettes. (4)⇓ À condition, bien sûr, de ne pas en créer d'autres.
Une déclaration de notre Premier ministre montre que lui, au moins, a compris que le partenaire allemand ne sera pas facile à convaincre&nbso;: "Je souhaite, dit-il, que nous parlions des eurobonds (ou euro-obligations) à Bruxelles comme d'une perspective. Le système de mutualisation de la dette exige une plus grande intégration politique qui est nécessaire. Cela prendra sans doute plusieurs années. Cependant, sans attendre, il faut agir." (5)⇓
Nous ne devons pas hésiter à appeler "monstre" ce projet, en particulier sur le terrain juridique. L'euro-zone, se définit en effet comme un ensemble évolutif. Il est composé aujourd'hui de 17 États, dont 5 à ce jour se sont officiellement déclarés en grandes difficultés. Il ne dispose pas de la personnalité juridique. Il ne se connaît ni patrimoine ni instance de gouvernement bien définie. Notoirement en crise depuis 3 ans, ce groupe serait appelé à émettre des titres d'emprunts dont personne ne sait qui serait vraiment contraint de les rembourser.
Évidemment le sous-entendu n'échappe à aucun commentateur : on pense en effet, dans les milieux autorisés, que le contribuable allemand, cette source inépuisable, ne rechignerait pas à s'exécuter pour les dettes de ses partenaires. Les sondages d'opinions tendent certes à suggérer le contraire aux alentours de 78 % de "nein", nouvelle version du "niet".
Il arrive certes depuis longtemps que, malgré les formes démocratiques, l'opinion des populations ne soit guère prise en compte par les dirigeants. On appelle ainsi "populistes" les politiciens qui osent se servir de la distance entre les solutions imposées par les élites et le désir majoritaire des cochons de payants. À en croire les politologues et les commentateurs agréés cette espèce, dérangeante, semble proliférer. Comme pour les algues vertes sur les plages bretonnes, on fait d'ailleurs mine de se demander pourquoi.
L'obstacle majeur cependant ne vient pas de cette forme de rouspétance.
Après tout les opposants à l'actuelle majorité outre Rhin semblent plutôt mieux disposés à opérer des concessions s'ils l'emportent aux élections législatives allemandes de 2013.
Malheureusement, dans l'hypothèse où certains sociaux-démocrates, gouvernant demain avec les Grünen, et "pourquoi pas" avec Die Linke, envisageraient d'insérer leur pays dans un tel dispositif ils se heurteraient à deux obstacles majeurs :
1° La cour de Karlsruhe vient encore de rappeler le caractère anticonstitutionnel, au regard de la Loi fondamentale allemande 1949, de ce processus. Une solidarité financière permanente ne pouvant se concevoir que dans le cadre d'une Europe politique confédérale, donc après révision des constitutions nationales, le dispositif ne pourrait intervenir qu'après la crise. Il ne la résoudra pas.
2° Certes, les déclarations très personnalisées autour de la chancelière et de son ministre des Finances telle "pas d'euro-bonds de mon vivant" peuvent faire place à des discours plus harmonisés sur les opinions bien notées à Paris.
Hélas, ce n'est pas seulement l'actuelle conjoncture favorable de la finance allemande que cela contredirait. Cela remettrait en cause l'ensemble des principes et des doctrines dites "ordo-libérales" sur lesquels s'est bâtie depuis 1949 l'économie sociale de marché, et qui ont permis après la guerre le fameux miracle économique du Dr Ludwig Erhard, et auxquels les sociaux-démocrates se sont ralliés depuis le congrès de Bad Godesberg de 1959. Non seulement le SPD n'est jamais revenu sur cette ligne, mais il l'a confirmée à l'époque du gouvernement Schröder dont les efforts de rigueur portent aujourd'hui les fruits.
Faut-il miser sur un tel renversement ? Faut-il souhaiter aussi le rétablissement de l'Allemagne de l'est ? De telles spéculations sur une gauchisation de l'opinion outre Rhin n'apporteront aucune solution aux erreurs dans lesquelles patauge la France.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf Le Monde.fr avec AFP et Reuters en ligne 21.05.2012 à 19h37.⇑
- Dans sa présentation des perspectives 2012-2013 cf. Le Monde.fr avec AFP | 22.05.2012 à 15h15.⇑
- cf. Der Spiegel du 15 août 2011 : Interview "Deutschland muss diktieren".⇑
- cf. Der Spiegel du 26 mai 2012. Article " Schuldentilgung statt Euro-Bonds So können wir den Euro retten" : "Liquidation des dettes plutôt qu'euro-obligations. Et comme cela, nous pourrons sauver l'euro".⇑
- cf. Die Zeit du 21 juin 2012.⇑
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