Le quotidien bordelais Sud Ouest diffusait le 19 janvier une enquête par sondages dont le sujet pourrait sembler digne d'intérêt. Comme toujours cependant il faut savoir l'observer avec des pincettes, car l'esprit faux des psychosociologues qui confectionnent ce genre de manipulations de l'opinion les amène toujours à fabriquer des questions ambiguës. Ne parlons même pas de la prétendue méthode des quotas qui consiste à extrapoler arbitrairement les réponses. Elle va parfois jusqu'à multiplier par deux les pourcentages effectivement obtenus au téléphone.
Ces réserves étant exprimées, et elles s'appliquent à tous les pourcentages péremptoires dont on nous matraque quotidiennement, convenons qu'une lecture un peu attentive permet souvent d'en tirer quelques informations, y compris sur l'intention des mensonges du jour.
Ainsi l'Ifop (1)⇓ avait interrogé un échantillon de 1 007 personnes, représentatif de la population hexagonale âgée de 18 ans et plus, sur la question de savoir si, à leur avis, "la France pourrait connaître la même situation que la Grèce, dans les prochains mois ou les prochaines années".
Cette question cruciale justifie que l'on analyse un peu plus, à la fois, la nature du problème et la manière, plus ou moins pertinente, dont nos concitoyens le perçoivent.
Selon cet article, à vrai dire assez court, 17 % des personnes interrogées pensent "certainement" que la France pourrait connaître une situation similaire, tandis que 32 % répondent "oui probablement". Parmi les 51 % de sondés qui répondent par la négative à la question, 37 % disent : "non probablement pas", et 14 % : "non certainement pas".
Le journal commanditaire de l'étude imprime à ce sujet que "sur le critère de la profession, on remarque que les ouvriers sont les plus nombreux (62 %) à craindre cette éventualité : une crainte solidement ancrée puisque près d’un quart d’entre eux (24 %) estime qu’elle va certainement se réaliser."
En 2010, un spécialiste des questions financières comme Charles Gave démontrait déjà, courbes à l'appui, que, selon lui la Grèce avait deux ans d'avance dans un schéma qui par conséquent lui paraissait fatal.
En 2011 les Français semblaient d'ailleurs plus nombreux à partager ce pronostic. Aujourd'hui 70 % des sympathisants de l'UMP jugeraient, au contraire, que cette évolution ne va "certainement ou probablement pas" se produire.
Comme toujours on doit souligner que l'information dont les sondés disposent, y compris les ouvriers, y compris les statisticiens, y compris les prévisionnistes et plus encore les téléspectateurs se borne en général à ce que les médias leur ont fourni.
Pour ma part, j'avoue, tout en cherchant régulièrement à comprendre, peut-être un peu plus que la moyenne, ce qui se passe sur place, je me refuserai à formuler un pronostic, encore moins à affirmer qu'aujourd'hui la solution passerait par telle ou telle décision monétaire.
Je souris simplement quand je lis, par exemple, que le Premier ministre actuel Loukas Papadimos, dont les journalistes qui l'attaquent ne romanisent même pas correctement le patronyme (2)⇓, représenterait les intérêts de telle très antipathique banque new-yorkaise, sous prétexte qu'il a enseigné l'économie à Harvard.
Le quotidien de référence Le Monde (3)⇓ répercute donc à l'avance auprès de ses lecteurs l'impression de Sud Ouest. Il prétend donc que : "La moitié des Français craint un scénario grec pour la France".
Posons-nous à nouveau la question : que doit-on entendre par ce "scénario".
Nous indiquions récemment (4)⇓ que l'une des caractéristiques de celui-ci se situe désormais, d'abord, dans l'ordre politique. Nous pourrions l'appeler le "changement de rupture" : il ne s'agit plus d'un "arc" excluant la droite nationale, mais d'un nouveau clivage rejetant les communistes.
D'un côté la camarade Papariga, secrétaire générale d'un parti communiste crédité de 11 % des intentions de votes appelle à renverser l'ordre bourgeois. Dans un discours prononcé à une manifestation du parti, le 20 février elle affirmait ainsi "que les prochaines élections doivent creuser les brèches du système bourgeois et que le peuple doit quitter en masse les partis bourgeois." Le matin même elle avait déclaré que "le peuple fera faillite dans tous les cas, que ce soit avec l'euro ou avec la drachme. Ce dilemme provoque peut-être des maux de tête à la classe bourgeoise, mais ne concerne pas le peuple." On peut estimer que sa cible principale n'est pas de faire "la révolution", mais de mordre sur l'électorat du parti socialiste, désorienté par les échecs de la politique strauss-kahnienne suivie de 2009 à 2011 par le gouvernement Papandreou.
De l'autre côté, la droite se rassemble autour d'Antonis Samaras en vue de l'emporter et de constituer un gouvernement majoritaire et unitaire. Nous avons fait écho de l'acceptation, le 17 février, au sein de la ND de deux figures de la droite militante, Makis Voridis et Adonis Georgiadis. Le 22 février, le président de la ND ouvrait les portes du parti à tous ceux qui s'en sont éloignés, et des députés qui en avaient été radiés (5)⇓, soulignant l'importance de "l'unité dans la lutte. Tous sont indispensables, il faut colmater toutes les brèches", a déclaré M. Samaras qui a souligné auissi "l'importance de la lutte pour la croissance économique, qui devra commencer immédiatement après les élections."
Enfin signalons que le 23 février, le chef de la droite s'est adressé à la Chambre de Commerce Franco-Hellénique. Dénonçant "les stéréotypes qui ont dominé en Europe au sujet de la Grèce" il a déclaré que "des hommes politiques grecs [en] sont lourdement responsables. La vérité est différente [des clichés ainsi véhiculés]. Le niveau de vie des Grecs est tombé de 34 % sur deux ans et demi, en raison de la réduction des rémunérations d'une part et de l'augmentation des impôts (6)⇓ et de l'inflation d'autre part. Jamais en période de paix un peuple n'a vécu un tel anéantissement de son niveau de vie et jamais une société démocratique n'a supporté un tel appauvrissement".
Il nous semble d'autant plus important de rapporter ce propos qu'il rejoint l'inquiétude exprimée le 11 janvier par le président de l'Assemblée nationale française M. Bernard Accoyer, craignant, si notre pays ratait cette année le rendez-vous du courage, des "conséquences économiques et sociales [qui] pourraient être comparables à celles provoquées par une guerre".
Sur le débat franco-français qui suivit cette déclaration, il semble malheureusement nécessaire de revenir.
JG Malliarakis
Apostilles
- Ce sigle désigne l'Institut français d'opinion publique. L'entreprise a été créée en 1938 sur le modèle de l'américain Gallup. Mme (il ne faut plus écrire Mademoiselle) Laurence Parisot présidente du Medef, membre du cercle de la gauche caviar maçonnique parisienne "Le Siècle" et du groupe mondialiste dit "de Bilderberg" y porte le titre de vice-présidente. En réalité cette héritière d'un honnête fabricant de meubles de la Haute-Saône, aurait acheté, en 1980, 75 % des parts de l'Ifop, sans toutefois y avoir atteint la pleine réussite entrepreneuriale qui pourrait justifier qu'elle parlât, comme elle le fait depuis 2005, au nom de l'industrie française.⇑
- Il faut écrire "Papadimos. Le "demos" renvoie à la prononciation dite érasmienne du grec ancien. Celle-ci fut imposée en occident au XVIe siècle par des érudits parmi lesquels Érasme de Rotterdam. C'est au nom de cette transcription archaïsante que les Bibles protestantes, par exemple, persistent à imprimer "Esaïe" pour le prophète Isaïe, et autres bizarreries. Si on l'adoptait la plupart des noms d'origine grecque, généralement crétois, en "akis" devraient s'écrier "akès", etc.⇑
- Daté faussement, comme d'habitude, des 19 et 20 janvier, mais imprimé et en ligne le 18, soit avant la publication du sondage par "Sud Ouest Dimanche".⇑
- cf.⇑
- Il faut souligner en effet qu'un nombre important de députés de droite [21 sur 83] avaient refusé le 12 février de voter le plan imposé par la "troïka" des technocrates, et avaient été radiés de leur groupe. Le 10 février le parti national-orthodoxe "Laos" s'était retiré de la coalition, invoquant la perte de souveraineté du pays, et 14 de ses 16 députés avaient refusé de participer au vote dans la nuit du 12 au 13. De son côté Mme Bakoyannis avait été exclue de la ND pour avoir soutenu le premier plan de rigueur présenté par le gouvernement Papandréou. Toutes ces péripéties doivent être effacées si l'on veut reconstruire une majorité nouvelle forte. ⇑
- À cet égard on pourrait s'étonner que des partisans d'une plus forte pression fiscale se déclarent "solidaires", métaphoriquement bien sûr, du peuple grec. Cette démarche schizophrénique, que l'on peut considérer malheureusement comme sincère, se retrouve dans la manif mélenchoniste du 19 devant l'ambassade de Grèce à Paris. Telle était aussi le sens de la présence à Athènes le 23 février du camarade Patrick Le Hyaric, directeur du journal "L'Humanité" à la tête de la délégation d'eurodéputés du groupe de la Gauche unitaire européenne / Gauche verte nordique. Celui-ci déclarait : "Tout ce qui se passe est antidémocratique", et il a demandé la tenue d'élections "afin que le peuple grec puisse choisir". Il choisira en effet. Librement, démocratiquement. Mais loin de donner raison aux incendiaires de la nuit du 12 au 13 février, on peut présumer qu'il votera pour la droite. En effet, le peuple grec sait parfaitement qu'il n'a évidemment pas besoin de "plus d'impôts" mais de moins de gaspillages étatiques.⇑
L île de la Réunion ce n' est que le début.
Rédigé par : zouzouni | dimanche 26 fév 2012 à 14:41