I. Regardons d'abord ce qui se passe dans cet immense pays
On apprenait ce 8 décembre que Vladimir Poutine accuse les États-Unis d'Amérique, et plus précisément encore Hillary Clinton, d'avoir "donné le signal de départ" (1)⇓ de la contestation des résultats des législatives. Il estime que les opposants agissaient "avec le soutien" de Washington. À juste titre sans doute, le premier ministre russe a ajouté que "personne ne (voulait) le chaos" en Russie. Y mène, selon lui, le "scénario connu" des manifestations. Et notamment, "dans notre pays, affirme-t-il, les gens ne veulent pas que la situation évolue comme cela s'est passé au Kirghizstan ou il n'y a pas longtemps en Ukraine. Personne ne veut le chaos"
Une telle polémique mérite d'être prise en considération.
Malheureusement, les méthodes électorales décrites par la presse occidentale n'encourageront pas les agences de notation à donner un triple A aux espérances de démocratie en Russie. Voila le moindre commentaire qu'appellent les faits avérés de bourrages d'urnes dans les bureaux de vote de Moscou, les scores indécents affichés supérieurs à 99 % dans une république comme la Tchétchénie, les mesures répressives contre les opposants etc. Le score du parti communiste qui fait figure à la fois de principal opposant, avec 19 % des voix officielles, et en même temps de repoussoir commode achèverait de nous décourager. Certes, par amour pour les littérateurs ou les musiciens russes, on doit espérer encore voire cette nation évoluer vers ce qu'on a appelé "le troisième occident", formidable réserve spirituelle de la chrétienté. Mais ce pays qui supporte la marque de 70 années de destruction, et qui occupe sur la carte 7 millions de km2 prendra, semble-t-il encore pas mal de temps à retrouver son âme.
Dans un registre similaire on a pu lire au même moment (2)⇓ l'édifiante description de la manière dont il protège l'Ossétie du sud, objet théorique de son litige stratégico-pétrolier avec la petite Géorgie. Faut-il tenir "Le Monde", qui vient de publier l'information, pour un instrument de la propagande américaine ?
On est alors tenté de situer au cœur du problème moscovite : la permanence des services spéciaux de l'Empire.
Non seulement l'actuel Premier ministre et candidat à la présidence vient lui-même du KGB ; non seulement un nombre impressionnant de membres de son appareil politique sont issus de cette structure mais ils osent théoriser leur influence comme s'ils constituaient une élite, se comparant volontiers à l'ENA française, – ce qui ne manque pas de nous troubler d'ailleurs...
Dans le cas de l'ancien KGB posons donc simplement quelques questions : quels tortionnaires ont été vraiment punis ? A-t-on déplaé même le siège imposant de la sinistre Loubianka ? Ont-ils changé d'alliés dans le monde, de l'Amérique latine au Proche orient ?
On apprenait même qu'en 2002 le maire de Moscou voulut alors rétablir la statue déboulonnée en 1991, du fondateur de la Tchéka, l'abominable Dzerjinski.
Trop d'indices nous montrent que non seulement l'administration du KGB n'a fait que changer de sigle mais qu'elle n'a pas renoncé à l'héritage continué : après s'être appelée Tchéka (apparue en 1917), puis Guépéou (1922), avant de devenir KGB (1954). Depuis 1991, elle s'appelle FSB avec des méthodes à peine différentes.
Est-elle en cela l'héritière de l'ancienne Okhrana ?
Beaucoup de bruits circulent à ce sujet avec une pointe d'effroi, tant on construit à la police secrète tsariste une réputation sinistre, largement fabriquée par les amis du bolchévisme.
II. Évoquons alors l'ouvrage du général Zavarzine.
L'édition récente sous le titre "Au service secret du Tsar" (3)⇓ donne dès lors une réponse à cette question. Chacun peut la découvrir au gré de ce livre pourtant fort attrayant, mais avec une pointe d'amertume : malgré sa légende noire cette administration abolie se révélait infiniment plus humaine, – et osons le dire : chrétienne, – que l'ordre totalitaire institué par Lénine.
Traduits et publiés d'abord en 1930 ces "Souvenirs d'un chef de l'Okhrana de Moscou" étaient devenus introuvables. Il constituent un témoignage essentiel sur la période 1900-1917, qui aura abouti, c'est le moins qu'on puisse en dire au "chaos en Russie" pour parler comme Vladimir Vladimirovitch Poutine.
Revenons en arrière.
Après l'assassinat du tsar Alexandre II (1881), le Département de la police vit transférer ses agents les plus valables à l'Okhrana.
Au tournant du siècle, ses dirigeants passent pour avoir perfectionné même l'art de la provocation policière.
Mais les souvenirs du général Zavarzine n'apportent pas seulement un éclairage sur la police politique tsariste et sur l'effondrement de la Russie, dont, pour son malheur, s'empareront les bolcheviks.
Ils donnent de précieux renseignements sur le fonctionnement, très perfectionné, d'un organisme qui servira d modèle aux polices secrètes successives, leurs "collaborateurs secrets" ou "provocateurs", leurs "locaux conspiratifs" leurs méthodes très efficaces, leurs points faibles et ceux des terroristes etc.
On doit avertir le lecteur sur plusieurs points.
Fourmillant d'anecdotes vécues, de tels souvenirs remettent les choses en perspectives et ils bousculent bien des idées reçues.
L'auteur expose en introduction le système général des recherches politiques dans la Russie de la fin du XIXe siècle. Instrument de la répression policière son organisation subit sans enthousiasme les orientations du gouvernement.
Il livre de la sorte un témoignage direct et vivant de l'auteur qui dirigea l'Okhrana dans plusieurs villes de l'Empire.
Comme tout conflit la contre-insurrection suppose la définition de l'adversaire.
Or, Paul Pavlovitch Zavarzine cadre de l'État, fidèle à son empereur, d'abord Alexandre III puis Nicolas II, combat ceux que le pouvoir politique lui désignait. On y trouve pèle mêle d'abord ceux qu'il appelle les "social-démocrates", c’est-à-dire à l'époque les marxistes, qui se sépareront entre mencheviks et bolcheviks. À côté d'eux les "socialistes révolutionnaires" mais aussi les nihilistes, et touts ceux qui cherchent à abattre le pouvoir de Moscou, pour des raisons diverses.
Il évoque les exactions sanglantes des pogromistes issus des bas-fonds, et le légende noire de Raspoutine qu'il ramène à la réalité.
À Varsovie, on le voit amené à combattre les patriotes polonais.
Défenseur institutionnel de l'ordre, le général Zavarzine décrit de l'intérieur l'effondrement du régime dans la tourmente de 1916-1917.
Le lecteur en mesure ainsi beaucoup mieux les causes et les terribles conséquences.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. dépêche AFP le 08/12/2011 à 10:20.⇑
- cf. Le Monde article "Jeu d'urnes dans un confetti caucasien".⇑
- aux Éditions du Trident vente par correspondance 39 rue du Cherche Midi 75006 Paris••• 290 pages, 25 euros⇑
Vous pouvez entendre l'enregistrement de nos chroniques
sur le site de Lumière 101
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Comme l'a rappelé un jour J.F Revel, il est facile de sortir du communisme, pas de ses conséquences. La preuve sous nos yeux tous les jours...
Rédigé par : Josick d'esprit agricole | vendredi 09 déc 2011 à 04:44
C'est l'Hôpital qui se moque de la Charité...
je pense que la Russie est aujourd'hui plus démocratique que le monde dit "occidental", je veux dire celui dirigé par le fascisme financier, la "Gouvernance mondiale" incarnée par les membres de la Trilatérale. Un fascisme qui inclut la solution finale : l'écologisme malthusien des élites folles mondialisées qui entendent faire diminuer la population mondiale (par guerres civiles identitaires, ethno-religieuses et organisation de famines et pandémies...voire un peu de nucléaire).
Rédigé par : Laurie Sept | vendredi 09 déc 2011 à 13:43
@Laurie Sept
Il ne faut pas manquer d'air pour écrire, « je pense que la Russie est aujourd'hui plus démocratique que le monde dit “occidental” »
C'est faire preuve d'un manque de culture internationale !
SI... Poutine et Medvedev lisent ça, ils vont bien rigoler en disant : tu as lu, certains pensent que nous sommes plus démocratiques qu'eux ?!
Ont peut en remettre une couche !
Aller, je vais dire qu'à la majorité, il n'y a pas besoin d'élection et je suis le nouveau président de la Russie.
Ptdr ! (proutttt)
Rédigé par : Maurice | lundi 12 déc 2011 à 14:12
Sur la longue histoire de la Russie:Hélène CARRERE-D'ENCAUSSE et Le Malheur russe.Essai sur le meurte politique,Fayard,réédité au Livre de Poche.
Rédigé par : Coriolan | vendredi 26 déc 2014 à 14:29