Ce qu'on appelle couramment "théorie du complot" prospère naturellement dans toutes les périodes de malheur. Or, elle tend, par essence, à mélanger sans discernement le vrai et le faux. La crise actuelle n'échappe pas à la règle. Un ministre classé à droite comme Bruno Le Maire peut ainsi croire de bon aloi de se dire "en guerre contre les marchés", auprès desquels il envisage pourtant de financer son déficit. Et plusieurs bons esprits lui emboîtent le pas. (1)⇓ Les agences de notation sont supposées "provoquer la crise qu'elles annoncent". (2)⇓D'autres accusations plus précises encore, et même nominales, viennent nous révéler, dans un grand quotidien du soir (3)⇓ que Goldman Sachs doit être considéré comme le point commun du nouveau directeur de la Banque centrale européenne, comme des chefs de gouvernements d'union nationale apparus à Rome et Athènes. (4)⇓ Suivez mon regard. Enfin le même journal officieux de la politique française, récidive le lendemain en donnant la parole au président d'Attac, aux yeux duquel la récession que subit ou va subir l'Europe du sud :"ce n'est pas une erreur, c'est une stratégie". (5)⇓
Tout le monde répète à l'envi les mêmes types d'accusation, quoiqu'il n'ait été donné aucune preuve convaincante de l'inféodation à Goldman Sachs de ceux que l'on dénonce. Les eurocrates ont été en relations avec ce grand Satan, cela leur suffit à sentir le soufre.
Et si l'on veut une preuve de ce nouveau très vaste conformisme on notera que M. Alain Duhamel reprend à son compte la diabolisation de l'organisme précité. Or, ce journaliste n'émet jamais une théorie sans s'être assuré auprès des commentateurs agréés de sa qualité de lieu commun, dans l'esprit de ses auditeurs : les nouveaux dirigeants "sont, dit-il, des personnalités tout à fait éminentes, mais qui ont comme caractéristiques communes, celle d'être passées par Goldman Sachs, toutes les trois. C'est à dire par "l'Institution financière" qui passe pour la plus luciférienne du monde, celle qui donne le sentiment de manipuler les gouvernements." (6)⇓
Précisons ici que le comportement de la grande banque américaine n'appelle pas notre sympathie et d'ailleurs qu'elle s'en passe joyeusement.
Disons simplement aussi que si les actes de tels ou tels de ses dirigeants relèvent de la prison il faut les envoyer rapidement y rejoindre le sieur Madoff.
Mais stigmatiser des gens pour avoir simplement été en rapports, plus ou moins distants, plus ou moins contractuels, plus ou moins imaginaires avec elle, d'être "passés par" comme s'il s'agissait d'une organisation criminelle, voila exactement la marque du conspirationnisme le plus naïf, et le plus trompeur. Être monté dans un train de la SNCF ne signifie aucune connivence avec la CGT.
Ce genre de bouteillon prospère certes de manière naturelle dans les période de désarroi Et il fait exactement le jeu des vrais agissements des grosses nuisances.
On peut imaginer que les actes politiques des divers gouvernements européens vont déplaire aux uns, déranger les autres, mais ne pas s'attaquer au système.
Par divers "complots" on désigne dès lors les "méchants" les plus superficiels, les plus caricaturaux, les boucs émissaires les plus faciles. On va crier haro sur telle institution, réglant à quelque temps de distance le contentieux qui l'opposait à Lehmann Brothers en 2008. Plus on criera fort, plus on glapira contre certains de ses méfaits [éventuellement avérés] et moins on s'interrogera sur le pouvoir des banques et sur les réglementations qui se voulaient prudentielles et se sont révélées contre productives.
Toutes les grandes crises ont provoqué ce genre d'opérations que Beau de Loménie appelle des "dérivatifs". L'une des plus pernicieuses manipulations, car elle laissa de très durables traces dans l'opinion française, intervint lors du scandale de Panama. À cette époque, on s'acharna à la recherche des "chéquards" et dans la dénonciations de deux ou trois agents [effectifs] de la corruption parlementaire. Cette diversion permit d'épargner la direction de la Compagnie, authentique responsable du véritable scandale.
Faire le procès des seuls agissements de Goldman Sachs, réels ou supposés, revient, de la même manière, à blanchir un aspect fondamental du pouvoir technocratique mondial, tel le mécanisme de création de monnaie par les banques, encouragées par les États.
Dans un article du Wall Street Journal du 8 novembre, Florin Aftalion (7)⇓ souligne combien pernicieux se sera révélé l'accord de 2004 dit de Bâle-II, actuellement en cours de renégociation. Le nouveau ratio dit Mc Donough en vigueur depuis 2005 invitait pratiquement les banques à souscrire aux emprunts émis par les débiteurs dits "souverains", supposés solvables à 100 %.
Le résultat est que, globalement, les États de l'OCDE qui se trouvaient endettés en 2007 à hauteur de 32 800 milliards de dollars, pour une production de biens et services de 40 000 milliards de dollars (soir un ratio de 82 %), ont pendant les 3 années suivantes augmenté leur production de 4,3 % tandis que le dette progressait de 32,5 %, plaçant 10 000 milliards de dollars d'emprunts nets nouveaux. Le taux d'endettement des administrations publiques s'est ainsi alourdi de 15 points. Les disponibilités nettes de l'épargne mondiale, quoique plus délicates à évaluer, n'ont certainement pas progressé d'autant.
Faut-il feindre la surprise ou l'indignation si les maillons les plus faibles de la chaîne ont été les plus durement attaqués, et que les autres aient vocation à suivre ? Faut-il incriminer les agences de notation ? telle ou telle banque en particulier ? réponse négative. Le professeur Aftalion fait en effet remarquer qu'on ne doit jamais s'étonner des conséquences lorsqu'on place un chien dans un magasin de saucisses. Or il ne s'agit pas ici d'un chien mais d'une meute et même d'un chenil.
Quelques-uns ont joué ce jeu à leur profit, au moins à court terme. Citons : les banques elles-mêmes, au détriment de l'industrie, mais bien plus encore les classes politiques européennes et nord-américaines dispensées pendant quelques années de réformer douloureusement les comptes publics, les bureaucraties syndicales pensant toujours qu'il subsiste "du grain à moudre", les caisses sociales de plus déresponsabilisées, notamment en France par l'effet du plan Juppé de 1996 etc.
En réalité, à moyen terme, tout le monde occidental y a perdu. Il semble temps de dire la vérité, sans chercher à charger outre mesure deux ou trois boucs émissaires commodes. L'urgence d'une libération fiscale (8) ne m'en apparaît que plus claire.
JG Malliarakis
Apostilles
- La déclaration de M. Le Maire date du 13 novembre sur Europe N° 1. Sa rhétorique a été reprise par le Premier ministre François Fillon le 15 novembre à l'Assemblée Nationale.⇑
- sur France info en boucle ce 15 novembre.⇑
- cf. Le Monde le 14 novembre, qui ne donne aucune preuve convaincante de l'inféodation actuelle à Goldmann Sachs de ceux qu'il dénonce..⇑
- Il s'agit de MM. Draghi, Monti et Papadimos.⇑
- cf Le Monde.fr le 15.11.11 à 15h58⇑
- dans sa chronique sur RTL du 16 novembre. ⇑
- professeur honoraire de Finance à l'ESSEC.⇑
-
Le titre de ce livre bleu "Pour une libération fiscale" en fait une réponse au livre rouge de l'équipe de gauche dirigée par Thomas Piketty "Pour une révolution fiscale". Paru en 2012, il soulignait alors les voies de réformes possibles de l'archaïque fiscalité française, appelant à une réduction de la dépense publique, quise révèle d'autant plus nécessaire 10 ans plus tard. Un livre de 202 pages au prix de vente 20 euros port compris.
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"Être monté dans un train de la SNCF ne signifie aucune connivence avec la CGT." à vrai dire je le crois, car nous payons de impôts pour les syndicats de la SNCF et en plus nous payons un billet cher dont une partie importante vont aux employés syndiqués ! Nous devrions boycotter la SNCF
Rédigé par : Jean-Marie BRUTYT | jeudi 17 nov 2011 à 17:18
Chez Goldman Sachs on apprend à gagner de l'argent. A la tête des Etats européens on apprend à en perdre (beaucoup).
Alors, mettre ceux qui savent gérer à la place de ceux qui ne savent pas, c'est peut-être une bonne idée.
Rédigé par : Jacques Peter | jeudi 17 nov 2011 à 23:06
Comment l'interventionnisme de l'état transforme la vertueuse et meilleure banque du monde surnommée "tortue" en "vampire"?
Aux USA, il y a 20 ans, les associés pouvaient tout perdre, mais pendant son mandat 2, le Pt Clinton abolit les lois responsabilisant les dirigeants des banques. En 1999, GS se vend par action et dilue son capital, les responsabilités s'évaporent et le Casino remplace la banque.
Rappel, c'est l'administration Clinton (socialiste) qui avait contraint Fannny May & Freddy Mac à financer des acquéreurs non solvables. Bill, un mec sympa qui a fait pas mal de dégâts.
Rédigé par : Grizzly | vendredi 18 nov 2011 à 00:52
EU and Banks are Weapons of Mass Slavery
How to Buy a European Country?
http://tariganter.wordpress.com/2011/11/18/eu-and-banks-are-weapons-of-mass-slavery/
Rédigé par : Tarig Anter | samedi 19 nov 2011 à 10:12
Naturellement Goldmansachs se promène, tout le système européen est infiltré soit par ses agents, soit par des technocrates à cervelle française ou allemande,sérieux qui ne croient pas aux complots.
Rédigé par : zouzouni | dimanche 15 jan 2012 à 12:22
Le sunday times du 15 janvier 2012 appelle la Grèce cheval de Troie de Goldman Sachs ces anglais sont bêtes et méchants et voient des complots partout.
Rédigé par : zouzouni | lundi 16 jan 2012 à 15:49