Une légende, dénuée de fondement, nous présente aujourd’hui la démocratie moderne comme une sorte de restauration naturelle des libertés antiques. Elle aurait été désirée unanimement par le peuple français en 1789 etc. Ce chromo sert de base au politiquement correct contemporain.
Or, tout se révèle historiquement faux dans ce récit.
Le premier mérite d'Augustin Cochin est de nous montrer combien et comment les événements révolutionnaires résultent de l'action et des intrigues d'une minorité d'adeptes organisés. Quand il n'est pas égorgé, pressurisé, tyrannisé, terrorisé, le peuple véritable est laissé de côté.
Irritant problème, certes, agaçante expression, au fond, que la "théorie du complot". Si l'Histoire n'était que le champ clos d'affrontement de forces occultes, elles-mêmes dirigées par des initiés supérieurs, elle aurait été écrite à l'avance par on ne sait quel démiurge : pourquoi dès lors se préoccuper d'enrayer sa mécanique, et même de la comprendre.
Quelques mots d'abord sur Barruel, injustement caricaturé à ce sujet. Ses adversaires ont voulu, de façon somme toute habituelle, discréditer ses recherches et ses révélations. Le coup de grâce lui a malheureusement été donné par un jugement lapidaire de Rivarol, pamphlétaire brillant mais penseur lui-même assez léger.
Né en 1741, d'abord jésuite, ce fils du Vivarais devient simple prêtre séculier après l'expulsion de l'Ordre par Louis XV en 1764. Auteur aujourd'hui quelque peu oublié (1)⇓ , il a fait l'objet d'une intéressante biographie rédigée par le Père Riquet sj, "très proche" de la franc-maçonnerie lui-même, qui souligne à très juste titre : "Barruel n'est ni un sot ni un monstre comme l'a prétendu Rivarol". (2)⇓ Sa correspondance, montre qu'il voit juste dans la situation de la France, dès 1787, indépendamment de ce qu'il découvrira et dénoncera, dix ans plus tard, quant aux sources de la subversion.
À partir de 1788 il dirige et rédige un "Journal Ecclésiastique" qui paraîtra jusqu'au 10 août 1792. Il y décrit avec justesse les idées fausses du "parti philosophe", qui annoncent le culte de la Déesse Raison, et les entraînements des "petites émeutes de la populace". Sa rupture devient indignation à partir de la proposition décisive de Talleyrand du 2 novembre 1789, "plan Juppé" de l'époque, qui entraînera la confiscation des biens de l'Église, germe de la catastrophe dont ce malheureux pays ne s'est jamais remis.
C'est en septembre 1792, son nom figurant sur une liste de proscription, qu'il parvient à se réfugier en Angleterre comme plus de 4 800 prêtres catholiques fidèles dits "réfractaires" (3)⇓ . Soulignant que le christianisme n'est lié en lui-même à aucun régime politique, il publie d'abord en 1793 une "Histoire du clergé pendant la Révolution française". Or il y remarque d'emblée que le programme jacobin est annoncé par Mirabeau. Le nuisible rhéteur proclamait à l'ouverture des États Généraux "si vous voulez une révolution il faut commencer par décatholiciser la France".
Quand en 1797 commencent à paraître à Londres les quatre volumes de ses "Mémoires pour servir à l'Histoire du jacobinisme" Augustin Barruel connaît parfaitement, de manière vivante et pas seulement livresque, la matière qu'il explore. Il n'exagère aucunement. La faiblesse de l'ouvrage, relu en notre siècle, tient seulement à son caractère précurseur. On n'écrit plus l'histoire de la même manière.
Sa découverte fondamentale, outre les critiques qu'il porte aux sectateurs du parti "philosophe", et qu'il classe en trois catégories, les sophistes, les impies, et les anarchistes, concerne les fameux "Illuminés de Bavière" (4)⇓. Or, même s'il surestime sans doute le rôle de cette petite secte révolutionnaire fondée par Weishaupt en 1776, et détruite en 1785, il s'agit bien de cerner un complot "dans" la franc-maçonnerie, et non de dénoncer un projet intrinsèque à "la" franc-maçonnerie. Les malheureux rats porteurs de la peste bubonique ne peuvent en être considérés que comme les vecteurs, les annonciateurs et les premières victimes de l'épidémie, non comme la cause de la maladie.
Il en va malheureusement de ce livre comme de toute autre œuvre, littéraire, historique, philosophique, ou même de l'Évangile : à la merci des passants, il peut être lu à contresens. Et les surinterprétations manquèrent en l'occurrence d'autant moins que les passions s'en mêlèrent. Elles surimposèrent progressivement leur image de marque déformante à une lecture effective, – celle-ci ne devant d'ailleurs se concevoir sans tenir compte du contexte et de l'époque de son écriture.
Parmi les amis et les soutiens de l'auteur on doit mentionner Burke (5)⇓. Dès 1790 ses "Réflexions sur la Révolution de France" font date dans l'Histoire des idées. Cette amitié corrige l'impression, totalement fausse, dont on a cherché, et dont on est parfaitement parvenu à entacher mensongèrement l'image de Barruel, y compris auprès de quelques admirateurs, adeptes de la fameuse et naïve version de la "théorie du complot", ce qu'on appelle aussi la conception "policière" de l'Histoire.
Et c'est précisément contre cette rustique "théorie du complot" que réagissait en son temps Augustin Cochin, inventant même l'expression qui depuis a fait florès.
Augustin Cochin renvoie ainsi dos à dos les "complotistes" et les admirateurs du jacobinisme car : "Les actes de la Révolution sont des pierres de scandale que les uns voilent en fils respectueux, que les autres exposent en juges sévères, mais que personne ne songe à examiner en curieux." (6)⇓
Qu'on ne s'y trompe pas : les forces de la subversion peuvent être repérées à l'œuvre dans le cataclysme de 1789, comme d'autres causes bien réelles peuvent être discernées dans toutes les crises de l'Histoire.
Pour les comprendre il faut d'abord sortir de la légende.
Les conséquences destructrices incalculables et permanentes du mensonge étouffant imposent qu’on le combatte.
À peine quelques erreurs auraient vaguement entaché cet avènement salutaire. Mais la France ne saurait se définir sans un prétendu acte de naissance qui en ferait “le pays des Droits de l’Homme”.
Ce livre répond de manière lumineuse aux mensonges fondateurs de la démocratie moderne. la révolution française comme voulue, et réalisée, par le peuple. Ce livre explique comment tous les événements furent, en fait, conduits par une infime minorité d’adeptes Ce livre souligne au contraire qu’on vit “rétablir les lettres de cachet, moins de quinze jours après la prise de la Bastille, mais au nom du salut public, et contre les ennemis de la liberté.“ (7)⇓
On ne peut donc commencer la reconstruction du pays, sa "réforme intellectuelle et morale", sans s'interroger sur l'origine et les mécanismes des événements fondateurs, des intrigues et des influences : celles des "sociétés de pensée".
Les travaux d'Augustin Cochin furent malheureusement interrompus par la guerre de 1914. Capitaine au 146e Régiment d'infanterie cet immense historien est tombé, âgé de 40 ans, mort pour la France en 1916. Il nous a laissé cependant des écrits d'une importance considérable puisqu'il répond à la fois à la question du "complot" et à celle des idées qui ont accompli le cataclysme que nous appelons "révolution française".
On remarquera par exemple que cet élève remarquable de l'École des Chartes peut prévoir dès le début du XXe siècle ce qui se produira par la suite : "C’est un devoir pour les initiés. Il faut les forcer d’être libres, a dit Rousseau. Les jacobins de 93, qui ont affaire à des adultes, s’y prendront par la Terreur ; ceux de 1909, écrit-il, qui ont le temps de penser aux enfants, par l’enseignement forcé et la mainmise légale." (8)⇓ Cet endoctrinement et cet encadrement n'ont cessé de se perfectionner, tout en coûtant de plus en plus cher, jusqu'à nos jours. , sous l’influence de l’expérience Herriot de 1924, du front populaire de 1936, du plan Langevin-Wallon de 1944, du décret Boulloche de 1959, etc.
On notera aussi que la conclusion du livre porte sur ce que l'auteur nomme "patriotisme humanitaire" : le pays ne représente plus désormais qu'un instrument au service des abstractions jacobines. Celles-ci correspondent exactement à ce que l'on appelle aujourd'hui "mondialisme", tendant à abolir à la fois les peuples et les libertés.
JG Malliarakis
Apostilles
- Les "Mémoires pour servir à l'Histoire du jacobinisme" ont été réédités par les Éditions de Chiré, DPF, BP 1, 87690 Chiré-en-Montreuil. On peut se les procurer à Duquesne Diffusion 27 avenue Duquesne 75007 Paris. On gagne à les avoir lus avant d'en parler.⇑
- cf. Michel Riquet "Augustin de Barruel, un jésuite face aux Jacobins francs-maçons (1741-1820)" Beauchesne 1989 page 14.⇑
- Faut-il rappeler à ce sujet que les ancêtres de notre laïcisme avaient imaginé alors de construire une "Église" constitutionnelle en imposant aux prêtres de jurer fidélité à un État dont ils allaient devenir de simples salariés. Cela s'appelle Constitution civile du clergé de 1790.⇑
- La thèse est expliquée par Maurice Talmeyr "La Franc-Maçonnerie dans la révolution française". Ce petit livre agréable à lire développe une conférence de 1902 que lui avait demandée Boni de Castellane.⇑
- Venu du parti whig, et membre de la franc-maçonnerie anglaise. Il mourut hélas trop tôt pour tirer parti des "Mémoires". À propos de Burke, nous relevons [19.11.2011 à 12 h 31], sans surprise, une absurdité sur Wikipedia : "En 1792, il va héberger Augustin Barruel lors de son exil londonien et bien que franc-maçon, le félicitera pour son Mémoire pour servir à l'histoire du jacobinisme, pourtant antimaçonnique". Or, Burke est mort en juillet 1797. À cette date, les deux volumes parus des "Mémoires" sont consacrés à Voltaire et compagnie. On se souviendra de l'un des jugements de Voltaire sur l'institution philosophique et bienfaisante que monde ne nous envie pas : "la franc-maçonnerie est un amas de stupidités rêvées par un Anglais ivrogne et propagée par des fous". Plus tard, en avril 1778, peu de temps avant sa mort, lui-même "recevra la Lumière" au sein de la loge des Neuf sœurs créée en 1776. Quoique refusant de communier, le vieux mécréant avait aussi reçu l'absolution en mars 1778, avant de disparaître en mai : cela n'en fait pas un auteur catholique. Toujours dans le registre des absurdités de Wikipedia [au 22.11.2011] : dans la fiche sur "les Illuminés de Bavière", Adam Weishaupt est présenté comme "un ancien jésuite". Dans la notice consacrée à l'intéressé on peut lire [au 22.11.2011] : "Né le 6 février 1748 à Ingolstadt, en Allemagne, Adam Weishaupt, juif ashkénaze, fut converti au catholicisme et reçut l'enseignement des jésuites.". À la vérité il n'était ni juif (!), ni jésuite (!!) ni même franc-maçon (lorsqu'il créa les Illuminés à l'âge de 28 ans), mais un partisan radical de la "Philosophie des Lumières", lequel, jusqu'à sa mort en 1830, combattit la religion chrétienne.⇑
- cf. Augustin Cochin "Les Sociétés de pensée" page 93.⇑
- cf. Augustin Cochin "Les Sociétés de pensée" page 118.⇑
- cf. Augustin Cochin "Les Sociétés de pensée" page 43.⇑
Une avancée majeure dans la connaissance de la Révolution
Augustin Cochin : "Les Sociétés de pensée et la démocratie moderne"
Si l’on veut connaître un pouvoir démocratique comme il est, et non plus comme il veut qu’on le voie, ce n’est évidemment pas à lui qu’il faudra le demander, fait remarquer l'auteur.
La société de pensée ignore sa loi, et c’est justement ce qui lui permet de se proclamer libre : elle est orientée à son insu, non dirigée de son aveu. Tel est le sens du nom que prend dès 1775 la plus accomplie des sociétés philosophiques, la capitale du monde des nuées : le Grand Orient. (...)
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• à commander sur la page catalogue des Éditions du Trident
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Il est aussi sot, je pense, de traiter Barruel de monstre, qu'il l'est de rendre la franc-maçonnerie responsable de la révolution française. Cependant, c'est son écrit sur le jacobinisme qui a fondé cette opinion, laquelle survit toujours dans une certaine sphère catholique, avec un acharnement, un sectarisme et une haine peut-on dire, qui n'ont rien de chrétien.
Si des francs-maçons, des ecclesiastiques, des nobles, ont participé, de près ou de loin, à cette horreur républicaine, il est aussi stupide d'en tenir pour responsables, tant "la"franc-maçonnerie, que "le"clergé ou que "la" noblesse. C'est pourquoi il est regrettable que seule "la" maçonnerie ait été chargée de cette opprobe, qui lui a tant collée à la peau, qu'elle a fini par la transformer en lui en faisant perdre l'esprit pour n'en conserver que la lettre, au point que, étant : "un reflet terrestre de l'Ordre Céleste", elle est devenue : un club.
Rédigé par : PJG. | mardi 22 nov 2011 à 18:07
ceux de 1909, écrit-il, qui ont le temps de penser aux enfants, par l’enseignement forcé et la mainmise légale.
1909 ? vous êtes sûrs ?
Petite réponse
Le texte de Cochin date de 1909. Comme on peut lire dans l'article, la mainmise a continué pendant tout le XXe siècle, et encore au XXIe siècle...
Rédigé par : Josick d'esprit agricole | mercredi 23 nov 2011 à 04:12
Bonjour JGM
un livre intérressant aussi...le dernier d'Umberto Eco, le cimetière de prague qui déménage pas mal...
Rédigé par : bc | mercredi 23 nov 2011 à 15:33
Et Sorman en rajoute une couche.
http://gsorman.typepad.com/guy_sorman/2011/11/des-complots-partout.html
Rédigé par : Josick d'esprit agricole | lundi 28 nov 2011 à 04:06
"Méritons-nous la Démocratie?", telle est la question qui est développée sur la page http://dbloud.free.fr/democratie.htm : hors privilèges et "ascenseurs sociaux" visant à établir une "égalité" artificielle, de quelle "fraternité" peut-on encore rêver actuellement?
Rédigé par : M. Denis Bloud | mercredi 14 déc 2011 à 14:45
J'aimerais beaucoup connaître l'ouvrage ou la lettre de Voltaire dont est extraite la citation "amas de stupidités rêvées par un Anglais ivrogne propagées par des fous". Merci d'avance et bien cordialement.
Rédigé par : Fred95 | mardi 13 mar 2012 à 19:22
La F.M. s'est vantée d'avoir promue la légalisation de l'avortement et l'abolition de la peine de mort, auprès des parlementaires de l'époque. Le Collège Unique de René HABY démocratisant l'accès au CES, et par conséquent au Premier Degré Universitaire que constitue le BAC, doit aussi en faire partie.
- Jean-Robert PITTE. Stop à l'arnaque du BAC. OH! Editions, réédité Pocket.
- Collectif ANTIGONE.FR, un état libéral pour un peuple libre.
Rédigé par : Coriolan | vendredi 26 déc 2014 à 23:31
-Collectif. Le livre noir de la Révolution Française. Cerf
- Nouvelle Revue d'Histoire numéro 29:La France et la République.Mars2007
Rédigé par : Coriolan | samedi 27 déc 2014 à 19:53