Valérie Pécresse ne manque ni d'habileté ni de pugnacité. Les deux lois financières qu'elle propose aux votes des deux chambres pour l'année 2012 ne résulte pas de ses seuls choix. Au contraire, tout indique que le gouvernement se trouve ficelé par des contraintes administratives et des pesanteurs clientélistes. La continuation technocratique du misérable plan Juppé lui impose l'exercice d'une soi-disant législation prétendant vainement cornaquer la baleine tueuse que l'on appelle "sécurité sociale" mais qu'on pourrait tout aussi bien nommer Moby Dick.
Malheureusement pour notre ministre du budget elle doit communiquer sur des documents qu'elle sait peu fiables. On rappellera au besoin que ce n'est pas seulement sur une prévision de croissance de 1,75 %, mais sur une anticipation de hausse des recettes fiscales nettes de 7,5 %, dont 5,4 % d'évolution spontanée et 2,1 % dû aux mesures fiscales nouvelles (1)⇓ qu'est fondé le budget 2012. La soi-disant réduction des déficits suppose tout cela.
À l'Assemblée le 24 octobre Charles de Courson, député Nouveau Centre de la Marne, avait demandé des précisions à la ministre sur la situation économique, évoquant "les rumeurs qui courent depuis dix jours dans tout Paris". Mme Pécresse lui a répondu : "Attendons mercredi", en raison du conseil européen du 26 octobre. Et elle a répété cette réponse ce 25 à l'usage du grand public (2)⇓ . Encore une petite minute, Monsieur le bourreau… On se demande combien de Français, combien d'investisseurs internationaux, et quelles agences de notation, peuvent bien prendre au sérieux ce type d'arguments.
Avant tout on doit partir de ce constat : la fiscalité française, extrêmement complexe pour ne pas dire incompréhensible, addition de quelque 500 dispositifs d'exonérations pour le seul impôt sur le revenu, créatrice en 5 années d'une présidence supposée réformatrice de quelque 30 taxes et impôts nouveaux et supplémentaires, résulte d'une longue suite de rafistolages à partir d'orientations successives contradictoires.
De la sorte, quand un François Hollande, dans son dernier débat l'opposant à la camarade Aubry le 12 octobre qualifiait cette réglementation de "bricolage", il jouait évidemment sur du velours. Son camarade Cahuzac va même jusqu’à parler "d'insincérité" (3)⇓ ).
N'oublions cependant pas que le contraire d'un bricoleur cela s'appelle un professionnel, et qu'on n'en sort pas obligatoirement rassuré.
Ferait-il mieux en effet, ce candidat socialiste, si par malheur, accédant le 6 mai 2012 à la présidence de la république, son parti et ses alliés disposant à partir de juin, d'une majorité dans les deux chambres ? On peut affirmer à l'avance que non.
Car le très ambitieux programme "rouge" (4)⇓ rédigé par l'équipe Piketty démontre, par la référence qu'il impose à gauche, et par ses points faibles intrinsèques à quel degré sa "révolution fiscale" aggraverait en fait les défauts de ce bricolage qu'elle dénigre.
La proposition centrale n'en a pas reçu beaucoup de critiques, et elle paraît même bénéficier d'un assez large, d'un trop large acquiescement, y compris affirme-t-on, dans les rangs de l'UMP.
Elle consisterait à faire fusionner deux prélèvements, de nature juridique et technique pourtant fort différentes :
1° l'impôt sur le revenu IR [que l'équipe Piketty persiste à désigner de son sigle antérieur d'IRPP], d'une part ;
2° et la CSG d'autre part, dont les mêmes réformateurs semblent ignorer à la fois le taux effectif actuel en vigueur au moment de l'écriture et de la parution de leur ouvrage, l'historique et même la controverse qui oppose à son sujet le conseil d'État, la cour de Cassation et même les autorités européennes, puisque les travailleurs frontaliers en ont été exempts.
Or cette "Contribution sociale généralisée" inventée par Rocard et aggravée par Juppé, ce qui en soi devrait être tenu pour un fort mauvais double présage deviendrait, après absorption de l'IR, la fiscalité globale affectant les salaires et les profits, ainsi que le revenu brut des entrepreneurs individuels.
Les réticences administratives raisonnables pourraient bien, et on ne le regrettera pas, conduire à remettre cette réforme à une échéance ultérieure, la plus lointaine possible.
En revanche la trace de l'Utopie se retrouvera de toute manière au gré d'autres aspects, plus exactement d'autres mesures fiscalistes.
L'une d'elle revient à plusieurs reprises au gré des 130 pages du petit livre rouge, et elle donne bien la mesure de la déraison fiscaliste. On entend taxer les loyers fictifs. Les particuliers seraient contraints d'incorporer dans leur revenu imposable la masse de ce qu'ils payeraient pour l'usage des logements dont ils sont propriétaires. Une telle disposition entraînerait des conséquences difficiles à évaluer d'avance, mais qui se révéleraient à l'évidence fort lourdes. Les uns se trouveraient obligés de vendre leur appartement et/ou leur résidence secondaire. Mais où se recruteraient les acquéreurs dans le contexte d'insécurité juridique et fiscale qui apparaîtrait alors. D'autres, plus habiles, échangeraient leurs situations en devenant locataires, etc. L'optimisation fiscale battrait son plein. Et très rapidement les gros propriétaires trouveraient des solutions plus favorables que celles des classes moyennes, dindon de la farce comme d'habitude.
Bref, l'absurdité du système éclaterait au bout de quelques années, et son impopularité plus rapidement encore. Hélas, si l'on veut bien se référer à l'expérience des 30 dernières années, les remèdes interviendraient dans la douleur, la pusillanimité, les cafouillages. On réformerait la réforme, on la compliquerait encore, et les conséquences catastrophiques continueraient.
Plus durable encore, et sans doute plus néfaste se révélerait une autre proposition à laquelle l'équipe Piketty tient beaucoup : la substitution d'une comptabilisation individuelle aux derniers reliquats du quotient familial.
Finies les déclarations conjointes, finies les déductions en fonction du nombre d'enfants et des droits de garde. La progéniture des Français, dans ce paradis post communiste, appartient à la Nation, les parents n'y pourvoient qu'en qualité de salariés sous-traitants de l'État, qui les éduque si bien.
Faisons à cet égard confiance au groupe parlementaire du PS, alliés aux "républicains, citoyens et communistes, ainsi qu'aux "écologistes politiques". Disposant d'une pareille réserve de propositions alternatives de "réformes structurantes et signifiantes", ils ne sauraient corriger la tendance au bricolage : au contraire, ils l'aggraveraient.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. Exposé des motifs du PLF 2012, déposé par M. Fillon et Mme Pécresse le 28 septembre sous le N°3775, page 15. ⇑
- sur RTL 25/10/2011 à 7h50 répondant aux questions d'Alba Ventura.⇑
- cf. site du Point le 25/10/2011 à 0h19.⇑
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Le titre de ce livre bleu "Pour une libération fiscale" en fera, notamment, une réponse au livre rouge de l'équipe de gauche dirigée par Thomas Piketty "Pour une révolution fiscale". Il soulignera les voies de réformes possibles de l'archaïque fiscalité française, en fonction des réductions nécessaires de la dépense publique. Ce livre de 190 pages environ paraîtra fin janvier 2012, pour tenir compte de la loi de finances et de la loi de sécurité sociale qui auront été promulguées le 31 décembre 2011. Son prix de vente sera de 20 euros. On peut y souscrire dès maintenant au prix de 15 euros, port compris.
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