Le fondateur de la cinquième république le disait, pour une fois à juste titre : "la France vient du fond des âges". En notre temps de grande inquiétude face à la mondialisation et de pertes des repères, aucune nation ne doit laisser en friche la connaissance de son identité primordiale. Sans elle, on ne peut même pas concevoir qu'elle projette de bâtir une union durable avec les peuples les plus proches.
On doit déplorer dès lors que les idéologues actuellement dominants aient cherché à gommer de la Mémoire ce que nous appelons la Gaule. Celle-ci résultait de l'addition des siècles. Antérieure aux conquêtes successives du territoire actuel de la France, elle avait produit des faits de civilisation nullement négligeables. Sur le plan de nombreuses techniques on peut même créditer les Gaulois d'une avance matérielle sur leurs conquérants du Ier siècle. (1)⇓
Au-delà d'une Gaule de carton pâte et de bandes dessinées le message de Vercingétorix comme figure fondatrice, nous parle donc d'abord de la noblesse de telles racines.
Or sous l'influence des partis pris et des conformismes laudateurs successifs, la diversité des auteurs, et des points de vue parfois légitimes, fait en effet commencer l'identité française aux dates les plus extravagantes.
Même un Bainville tient à faire commencer sa fameuse "Histoire de France", tant prisée dans les cercles nationalistes, par un déconcertant premier chapitre qu'il intitule : "Pendant 500 ans la Gaule partage la vie de Rome". (2)⇓ Apologie univoque du conquérant latin cette introduction paradoxale se fonde sur l'idée, à laquelle j'ai beaucoup de mal à croire, que la patrie résulterait essentiellement de l'action de l'État. Le mouvement maurrassien résumera cette doctrine dans la formule "les rois ont fait la France elle se défait sans roi".
On trouvera cependant plus grave, pour ne pas dire loufoque.
En septembre 1995, ainsi, un Chirac célébrait en Sorbonne le 50e anniversaire des ordonnances de sécurité sociale. Le lamentable président trouva le moyen de ramener la patrie à la dimension de ces textes sous prétexte que le général De Gaulle les avaient signés.
Quelques années auparavant le même personnage se trouvait confronté au cours d'un débat télévisé qui fit quelque bruit à Laurent Fabius, alors Premier ministre.
On entendit ce soir-là cette virile proposition du maire de Paris de l'époque, fondateur du RPR : "Ces étrangers il faut les expulser immédiatement et les remettre à la police de leurs pays d'origine." (3)⇓
Au cours de l'entretien le futur chef de l'État laissa affirmer par son interlocuteur, que "la France s'était créée en 1789 sur les principes de liberté, d'égalité et de fraternité". Cette énorme contre-vérité assénée sous la forme d'une approximation hélas banale ne reçut ni ce soir-là, ni par la suite aucune rectification.
Tout au long de l'Histoire d'ailleurs, au gré des régimes successifs, on assigna au royaume des Lys des actes de naissances, et donc des dates, artificielles mais conformes aux discours et aux intérêts de l'idéologie du moment.
Une certaine idée de la Monarchie la fit ainsi commencer en 496, date supposée du baptême de Clovis, d'où sortirait le Regnum Francorum. Rappelons tout de même que la configuration territoriale de cet empire franc ne ressemble guère à l'idée que nous nous faisons aujourd'hui de l'Hexagone. De plus, quoique "sacrale", la royauté mérovingienne se pense comme un patrimoine qu'on partage au gré des successions, qu'on déchire entre frères. Il ne s'agit guère encore d'une institution nationale.
D'autres ont pu considérer comme plus proche de la réalité l'époque où la Francie occidentale se sépara de la Lotharingie et du royaume de Germanie, par l'effet du traité de Verdun de 843.
On notera que le IXe siècle vit surtout naître, du fait de la faiblesse des ressources financières tout au long du règne de Charles le Chauve, entre 843 et 877, le démembrement féodal de l'État. À vrai dire la fantaisie de la référence carolingienne, si puissante dans la littérature chevalesresque, doit être considérée comme représentative par son étrangeté même. L'empereur à la Barbe Fleurie appartenait beaucoup plus légitimement, par la géographie comme par la linguistique, à l'Allemagne éternelle qu'à la France en gestation. Et sa capitale Aix-la-Chapelle pourrait certes convenir à une symbolique européenne.
Les fidèles de la Troisième Race privilégiaient de leur côté l'élection d’Hugues Capet en 987. On ne perdra pas de vue que cet événement s'est réalisé, comme les deux fondations dynastiques précédentes, grâce à l'appui des évêques.
De la sorte, bien avant les folies destructrices du jacobinisme, selon les époques, selon les partis, selon les traditions, selon les classes sociales, on jugera et on a jugé plus convenable de se référer à telle ou telle personnalité.
Sur toutes cependant, la figure de Vercingétorix s'impose pour la première. Si malheureuse pourtant, comme d'ailleurs celle de Jeanne d'Arc quinze siècles plus tard, elle ne doit pas seulement être créditée de l'antériorité.
Son mérite consiste à la fois dans la marque identitaire gauloise, et arverne, certes, mais bien plus encore dans la volonté de combattre, dans ce que Camille Jullian appelle le "complot national".
Avant celle de Charles Martel, son image représente le projet farouche et indomptable de lutter contre l'envahisseur. Au moment où certains, au sein du parti majoritaire, rêvent d'imposer un serment patriotique, peut-être serait-il bon de replacer cette idée d'allégeance formelle dans sa perspective concrète de toujours.
JG Malliarakis
Apostilles
- Ceci a été mis en lumière par divers livres de Régine Pernoud. ⇑
- Ce livre date de 1924. L'édition en Livre de Poche Historique, que j'utilise encore, mille fois annotée, et qui part en lambeaux, été imprimée en 1956. Le chapitre cité figure aux pages 9 à 18. ⇑
- Débat sur "arbitré par Anne Sinclair et Pierre-Luc Séguillon" le 27 octobre 1985⇑
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De cette figure de l’Histoire de la Gaule, on a voulu faire un mythe, celui d’une sorte de première résistance à l’envahisseur. Après la conquête, de Jules César à vrai dire le monde gaulois s’intégra parfaitement à l’Empire et à la civilisation de Rome.
Spécialiste incontesté des Antiquités nationales, l’auteur rétablit les faits dans leur contexte et leur vérité. Jusque-là, sous l’Ancien Régime et à l’époque des Lumières, on avait jugé de peu d’importance ce prince antérieur à Clovis. Seuls les grands historiens du XIXe siècle Amédée Thierry (1828) et Henri Martin (1837) avaient osé réhabiliter ce héros malheureux.
Le jeune roi des Arvernes entreprend en 52 de rassembler les peuples de notre pays. Il parviendra à faire face à l’un des plus grands chefs militaires de tous les temps.
Il rencontrera les divisions des tribus gauloises, et, en cela, son aventure préfigure bien des difficultés auxquelles la France reste confrontée.
Le livre rappelle opportunément combien les Gaulois étaient déjà porteurs des germes de la civilisation française.
••• Ce livre de 293 pages au prix de 25 euros port compris peut être commandé par correspondance aux Éditions du Trident 39 rue du Cherche Midi 75006 Paris tel 06 72 87 31 59 ou en ligne sur la page catalogue des Éditions du Trident.
Brennus est antérieur à Vercingétorix. Il fut victorieux. "Vae victis" est de lui. Pas mal comme père fondateur : les oies apprécieraient.
Rédigé par : Pirée | samedi 24 sep 2011 à 07:59