La thèse d'origine, celle des "gentils khmers rouges libérateurs" (1)⇓ aura fonctionné un peu plus de deux années, jusqu'en septembre 1977. Au départ, en avril 1975, elle n'était fondée que sur la pure construction idéologique des rédacteurs communistes français de "l'Huma". Elle s'était vue pourtant, très vite, dès le début du mois de mai, contredite par tous les témoignages. Mais le journal s'y accrochera contre vents et marées tant que la ligne du parti le commandera.
Et cela durera jusqu'en 1977. Quiconque, du Figaro au Monde faisait état du départ forcé des populations, dès le 17 avril, dès le premier jour de la prétendue "libération", était désigné comme un menteur.
Ne perdons jamais de vue que cette attitude de la presse stalinienne de Paris n'a jamais occasionnée en elle-même la moindre remise en question de l'union de la gauche. Mitterrand savait parfaitement de quoi il retournait. On rédigeait alors, sans état d'âme, des programmes communs avec les apologistes des Khmers rouges.
Dès mai 1975, le Figaro ose faire état de 300 exécutions à Pnomh Penh. En réponse apparaissent dans "L'Huma" un gros titre en première page, appuyant un éditorial de René Andrieu : "Flagrant délit de mensonge… Le témoin dément…" Idem bien entendu, par la suite, pour toutes les informations qui parvenaient en occident sur les camps de travail forcé, sur la mortalité effroyable, sur la sous-alimentation des déportés, sur l'absence totale de libertés dans tout le pays.
Contre toute évidence, pourtant l'organe central du PCF n'hésitait pas à donner d'excellentes nouvelles du pays frère et de son gouvernement, de plus en plus "démocratique" pour sûr.
Comme en Europe de l'est, d'ailleurs, on avait accolé cette étiquette mensongère à la dénomination officielle de l'État. Parallèlement celle-ci avait reçu une appellation internationale de style typiquement tiers-mondiste : les Étrangers étaient tenus de substituer à la prononciation française traditionnelle, le graphème équivalent politiquement correct de "Kampuchéa".
Voilà ce que l'on pourra lire dans L'Humanité :
Le 6 janvier 1976 "le Cambodge est devenu hier l'État démocratique du Cambodge. La nouvelle constitution a été ratifiée par le conseil des ministres que présidait le prince Sihanouk, chef de l'État".
Le 20 mars 1976. "Cambodge élections dimanche. Les Cambodgiens se rendront aux urnes dimanche pour élire la première assemblée législative depuis la victoire. Ils auront à choisir 250 députés parmi 500 candidats. L'assemblée élira ensuite le président du Cambodge, les membres du gouvernement et la cour de justice".
Le 6 avril 1976. "Dans une allocution prononcé lundi devant l'assemblée du peuple, le prince Sihanouk qui venait d'être élu à l'unanimité chef de l'État a demandé à prendre immédiatement sa retraite".
Cette année là, les "Éditions Sociales", maison très officielle du Parti, avaient d'ailleurs lancé le 22 mars 1976 le livre du couple Steinbach consacré à "Phnom Penh libérée". Rédigé par deux coopérants français, il défend sans état d'âme le régime communiste sans mesurer ses atrocités.
Le Cambodge officiel est bien entendu invité chaque année à la Fête de L'Humanité.
En septembre 1977 encore un stand des Khmers rouges figure parmi les 56 représentations étrangères qui offrent aux visiteurs de la Cité internationale "des reflets de leurs pays, de leurs peuples tels qu'ils sont, tels qu'ils travaillent tels qu'ils luttent et espèrent". Toujours cette vision réaliste des choses qui fonde le socialisme scientifique. Le régime reste "globalement positif".
Pour appliquer ce mot d'ordre, lié à la "solidarité du mouvement communiste international", l'organe central du PCF fit preuve d'une très forte dose d'abnégation et d'hypocrisie. Car, à plusieurs reprises, de 1975 à 1977, le journal regrette de ne pouvoir disposer d'un correspond installé à demeure afin de répercuter mieux encore la propagande internationale du régime.
Soudain le 5 septembre 1977 l'Huma pose la question "que se passe-t-il au Cambodge ?". Et, du jour au lendemain, le communisme international se retourne contre les Khmers rouges. Le PCF va découvrir ce que les "menteurs" de la presse bourgeoise avaient compris depuis deux ans. Ils disaient la vérité mais on ne leur en concédera aucun crédit.
Que s'est-il passé ? Pourquoi ce revirement ? Aucune interrogation quant aux droits de l'Homme ne le précède.
Tout simplement un conflit territorial couvait. Il a éclaté le 30 août. Il oppose le gouvernement de Phnom Penh à celui de Hanoï. Les communistes vietnamiens, appuyés par l'URSS, entendent reconstituer à leur profit l'ancienne Indochine du temps de la colonisation française. Ils sont déjà parvenus à satelliser, sous la coupe du Tonkin, l'Annam et la Cochinchine, et même le petit Laos.
Les Khmers refusent : ils deviennent immédiatement des assassins. De propagandistes éhontés des "gentils libérateurs de Phnom Penh" les communistes français vont se transformer en procureurs totalement alignés, une fois de plus, sur les consignes de Moscou. Ils se placent dès lors au premier rang des dénonciateurs, métier où ils excellent.
Dans ce cas très précis, une fois de plus, les violations des droits sont invoquées exclusivement au service de la géopolitique.
Voilà bien, diront certains, de l'Histoire ancienne. L'impunité extraordinaire des anciens du KGB ou de la Stasi devrait intriguer les optimistes.
Rappelons d'abord que les victimes de ce régime communiste ordinaire se chiffrent officiellement autour de 1,7 million de morts, soit plus de 20 % de la population du pays. (2)⇓
Rappelons qu'aujourd'hui encore, plus de 30 ans après la satellisation du Cambodge par les Vietnamiens, l'actuel premier ministre à Phnom Penh s'appelle Hun Sen. Après avoir dirigé à 25 ans un régiment de l'armée du "Kampuchea démocratique" il s'était rallié en 1977 aux communistes vietnamiens. Il avait reçu dès le départ le soutien du bloc soviétique. L'appareil du "parti du peuple cambodgien" qu'il a créé est ramifié dans tout le pays. Il aura tout fait, depuis, pour entraver la procédure qui se déroule en ce moment. Il était invité officiellement à Paris en 2009 pour le défilé du 14 juillet.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. L'Insolent du 17 juillet "Les khmers rouges comme gentils libérateurs" ⇑
- cf. travaux de de l'Université de Yale.⇑
Vous pouvez entendre l'enregistrement de nos chroniques
sur le site de Lumière 101
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La substitution du pinyin à l'EFEO ne vaut pas mieux que le remplacement de "Cambodge" par "Kampuchea". C'est même pire car, au départ, il s'agissait, à l'usage interne, de couper les jeunes Chinois de deux millénaires de culture écrite.
Rédigé par : Pirée | mercredi 20 juil 2011 à 11:10