Misérable tambouille, bien évidemment, que cette omelette norvégienne du 14 juillet. Maladroite et de mauvais goût. Elle aura au moins révélé une chose. Les réactions qu'elle a suscitées tendent à démontrer l'attachement de la grande majorité des Français à la dimension militaire de leur existence nationale.
Certains jugeront hypocrites ces sursauts d'humeurs patriotiques. On les soupçonnera de venir de forces politiques associées au déclin du pays. On n'oubliera jamais cependant que l'absence de sincérité elle-même mesure l'hommage du vice à la vertu. On opposera l'idée que le peuple français, autrement dit l'électorat, aime à se retrouver dans son identité. On évoquera divers succès surprenants du cinéma, on regardera les images étonnantes des foules du Tour de France. On citera des expressions de meilleure qualité comme le souci de la langue, du paysage, etc.
Autant de jeux d'opinions autant d'impressions fugaces.
Plus trouble en revanche, plus trompeuse l'idée d'imputer les lubies antimilitaristes à Mme Joly et à elle seule. Elles ne proviennent ni d'une certaine teinte verte ni d'une descente de drakkar. Elles relèvent plutôt de la couleur rouge et des métastases du bolchevisme. Cette tendance-là s'est trop souvent retrouvée comme parti de la défaite et de la trahison (1)⇓.
Et s'agissant de la gauche républicaine on n'oubliera pas non plus son attitude de guerre civile, ouverte dans l'armée depuis l'Affaire des Fiches (2)⇓. Elle n'a jamais été vraiment refermée.
Mais de tels courants d'opinion sont toujours demeurés eux-mêmes feutrés et minoritaires.
On peut s'en féliciter.
D'autre part, malgré la douleur des circonstances, et en dépit de quelques couacs regrettables l'hommage de la nation aux soldats morts en Afghanistan prouve, au moins en principe, que le pays aime son armée.
De là à concrétiser l'esprit de défense, notamment par un effort budgétaire, le projet de loi de finances pour 2012 donnera l'occasion de le quantifier, de le vérifier.
Ou bien ce budget évoluera encore à la baisse, et cela voudra dire que rien n'a changé.
Ou bien il entamera un redressement substantiel et nécessaire, et cela signifiera que nos dirigeants ont pris conscience que les périls qui nous entourent ne peuvent plus, ne doivent être négligés.
La question centrale s'écarte à peine d'une autre actualité : celle de la dette, celle des déficits, et celle de la nature même de la dépense publique.
Ou bien on continue dans le sens décadentiel de l'État Providence, alors même que l'administration n'est plus en mesure de gérer convenablement la question du SAMU social.
Ou bien on ramène précisément l'action de solidarité à sa vraie dimension, celle que les caisses sociales ont usurpée, et on admet alors aussi la priorité des fonctions traditionnellement appelées régaliennes de l'État.
Aujourd'hui la France prétend encore penser sa défense en l'absence d'ennemis. Le livre blanc 2008 l'affirme.
En Libye elle ne propage que des "valeurs". Le président du Sénat le déclare.
On peut bien parcourir le copieux dossier sur l'armée française publié récemment par Le Monde (3)⇓ on n'y rencontre pas le mot "Europe", ni comme théâtre d'opération, ni comme continent globalement assiégé, encore moins comme lieu possible de décision.
En 1991, Pierre Joxe tire, à sa manière, la leçon de la disparition de l'Union soviétique et du pacte de Varsovie : il décide de réintégrer officiellement l'OTAN, dont la France boudait depuis 1966 l'organisation militaire intégrée.
Mais peut-on dire que dans l'opinion et parmi les cercles dirigeants la conscience de faire partie de l'alliance occidentale a, 20 années plus tard, pris la mesure de sa réalité ?
Peut-on dire que l'expérience militaire des 10 dernières années, depuis le 11 septembre 2001, est prise en compte dans les salles de rédaction et les fabriques du prêt-à-penser ?
Quel que soit le sentiment affiché vis-à-vis de l'hégémonie nord-américaine, ceux qui font profession de l'exécrer ne préparent en rien la relève par une Armée européenne. Ils s'étaient même coalisé pour faire échouer le projet d'une Communauté européenne de défense en 1954 et ne se sont jamais remis en cause.
Personne ne se réfère aux dangers spécifiques qui pèsent sur l'Europe occidentale dans son ensemble. On parle d'Union pour la Méditerranée comme si la zone considérée restait exempte de conflits et de menaces, ou comme si, dès maintenant, les révolutions arabes étaient assurées d'aboutir à des régimes démocratiques, etc.
Certes on commence à pointer certains phénomènes quantitatifs bien visibles. On chiffre ainsi le recul en 50 ans de la part de l'effort militaire dans le produit intérieur brut, passant de 5,2 % en 1962 à 3,2 % en 1989 et se divisant encore par deux depuis 20 ans pour tendre vers 1,6 % en 2010.
Parallèlement on évoque souvent le partenariat militaire franco-britannique comme s'il s'agissait d'un complément équilibré du couple franco-allemand moteur politique et industriel de l'Europe, comme si Paris accomplissait encore un effort militaire équivalent à celui de Londres.
En réalité, si l'on s'en tient au montant des budgets respectifs celui de l'Allemagne "pèse" 30 milliards. Ce pays vieillissant ne menace plus que lui-même. Mais son effort se situe pratiquement à égalité avec celui de la France, 32,2 milliards, loin derrière la Grande Bretagne qui représente 48,6 milliards d'euros.
Le symbole du déséquilibre franco-britannique se retrouve dans le porte-avions Charles-De-Gaulle, pièce unique et, en cela dramatiquement insuffisant, malgré certains équipements remarquables et performants. L'industrie de défense exporte, certes. Faut-il d'ailleurs s'en féliciter en toutes circonstances ?
La réalité brute résulte de ce que les États-Unis investissent 600 milliards d'euros dans leur puissance militaire, entraînant d'immenses retombées technologiques, soit 5 fois plus que l'Allemagne, la France et la Grande Bretagne réunies. Non L'Europe ne peut plus demeurer un nain stratégique. Il faudra bien qu'un dirigeant le dise et mette enfin ses paroles en actes.
JG Malliarakis
Apostilles
- Puis-je me permettre à ce sujet de recommander mon livre sur "l'Alliance Staline Hitler", et notamment le chapitre X ? ⇑
- cf. le livre de Jean Bidegain "L'Affaire des Fiches". ⇑
- cf. "Le Monde" édition papier datée du 13 juillet pages 6,7,18 et 19 ⇑
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… le livre de Gustave Le Bon "Psychologie de la Guerre" vous intéressera certainement aussi. Il montre comment les conflits s'enchaînent presque inéluctablement, et combien les ressorts psychologiques y balayent les rationalités économiques. Le terrible exemple de la Première guerre mondiale véritable suicide de l'Europe le souligne de façon tragique.
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Il y a longtemps, la citoyenne Joly aurait obtenu, en Norvège, un troisième prix de beauté.
Rédigé par : Pirée | jeudi 21 juil 2011 à 18:20