Ce 19 juin, dans le journal turc "Zaman Today", proche du parti "démocrate-musulman" AKP comme on l'étiquette désormais, M. Guy Verhofstadt expliquait à nos candidats controversés à l'Union européenne, le mode d'administration économique qu'il préconise pour cet espace en voie d'élargissement. (1)
Nul doute que l'expérience de cet homme politique belge mérite considération. Depuis la fin de son troisième gouvernement et sa propre élection au Parlement européen, son pays n'est plus gouverné que par une équipe de gestion des affaires courantes. Certains s'en inquiètent ; d'autres y voient probablement l'avenir d'un nouveau mode de gouvernement qu'ils appellent la "gouvernance".
Avant tout, on se permettra d'exprimer ici certaines réserves langagières. Elles s'imposent quant à traduire le mot anglais "governance" par son néologisme, supposé correspondant d'apparence française, importé clandestinement, de "gouvernance". La forme semblant correcte, on pourra peut-être accepter ce terme, à condition d'en préciser la signification. On m'objectera que le petit dictionnaire Larousse l'a déjà adopté. L'édition 2010 lui donne la signification suivante : "gouvernance = action de gouverner ; manière de gérer ou d'administrer". Oui, dira-t-on, mais laquelle ? En effet ce lexique, fort utile au scrabble, accepte dans notre langue des mots tels que "keufs", "meuf" ou "kifer". Certes, ceux-ci ne relèvent pas du franglais. Mais ils donnent une idée du laxisme inquiétant dans lequel a sombré le plus courant de nos "dicos". Cette impression est confirmée par les illustrations fort vulgaires qui l'ont inutilement envahi, sans doute pour conquérir le marché des "jeunes". Voilà pour ma minute grincheuse.
On se situe donc dans l'incertain caractéristique de notre déliquescence intellectuelle contemporaine.
Reportons-nous plutôt à la traduction de "governance".
Mon bon vieux "Harraps" 1982, quoique souvent discuté, indique deux significations : 1° le "gouvernement" d'une région 2° la "maîtrise", "l'empire". À son tour le plus complet "Collins et Robert", 2e édition 2000 "Super Senior" ne va guère plus loin : "gouvernement" ou "autorité". Ni l'un ni l'autre ne mentionne l'équivalent français d'une éventuelle "gouvernance".
Si l'on veut donc importer ce terme éventuellement utile, mais ignoré d'Émile Littré, on doit lui conférer, comme à tout doublon, une signification propre. Il s'agit exactement de l'administration d'une province, d'une collectivité locale, mais non le gouvernement d'un pays (2).
Une fois acceptée la forme francisée, venons-en au fond, qui demeure sous-entendu. Il revient à sortir de l'Histoire. L'ignorance du sens tragique de celle-ci caractérisait, selon Raymond Aron, la pensée du président Giscard d'Estaing. Elle a hélas survécu à sa défaite électorale de 1981.
Sur la base de cette fausse interprétation du destin de nos sociétés on croit évoluer vers le bonheur primordial des Hobbits ou, moins littéraire, celui des Schtroumpfs. Le "bonheur écœurant" de ces petits humanoïdes bleus n'est-il pas dénoncé par le gauchiste Renaud dans son "Baby sitting blues" ? Il en devient presque désirable pour une certaine droite.
Or l'éventualité de cette instauration complètement improbable, non seulement ne se produit pas, mais son illusion renforce le pouvoir de nuisance de tous les malfaisants, ennemis de nos sociétés. Aux yeux de ceux-ci, pour sûr, plus la proie baisse la garde, et plus elle devient tentatrice pour le prédateur.
Plus elle s'enfonce elle-même dans son douillet confort assisté par ordinateur, plus elle invite l'envahisseur à s'enhardir.
Ainsi en 1990 le fondateur de la secte Moon et d'autres agents de propagande de la "gouvernance mondiale" se réunissaient à Moscou pour prophétiser l'avènement d'un monde sans conflit. Les événements des 12 mois qui suivirent soulignèrent l'optimisme fallacieux de cette annonce. En août Saddam Husseïn envahit le Koweït plongeant son propre pays dans une situation terrible qui n'est pas résorbée 20 ans plus tard. Ce sera pour protester contre l'association de l'Arabie saoudite, à la "croisade" anti-irakienne qu'un certain Oussama bin Laden lance une lutte terroriste qui semble devoir lui survivre actuellement. Pendant le même temps apparaissent les guerres de Yougoslavie, premiers conflits armés en Europe depuis 1945. Le continent africain n'est pas en reste. À l'automne 1991, l'Union soviétique et le pacte de Varsovie explosent. On négocie à Maastricht un traité, pétri d'excellentes velléités mais dont la conséquence met durablement en difficulté les relations entre Européens.
Il n'est donc pas advenu un "monde sans conflit" mais "encore plus de guerres". L'armée française, réduite à la portion congrue, n'a jamais été déployée sur autant de théâtres d'opérations.
La mythique "bonne gouvernance" réduit en fait chaque nation à l'application supposée uniforme de critères mal définis. Le camarade Mélenchon et ses adeptes les attribuent à tort à la "mondialisation néo-libérale". En réalité ils relèvent de la social-démocratie, du keynésianisme et de la technocratie. Les faux droits acquis ne sont évidemment jamais remis en cause. "La science", "l'éducation", "l'hôpital" restent des valeurs sûres. L'évasion fiscale en revanche, c'est-à-dire l'utilisation légale des différences de réglementation, est assimilée à la fraude, par définition illégale.
Les impératifs de Défense se réduisent dès lors à des pourcentages du produit intérieur brut. L'éducation, érigée en droit inaliénable et en valeur quantitative, sans que son contenu soit lui-même précisé devient un attribut de la collectivité, cessant d'apparaître comme un libre choix des familles, etc.
On voit bien hélas combien l'Union européenne se pense actuellement à l'avant-garde de la normalisation ainsi décrite, aux premiers rangs de la mise en place des "gouvernances". De l'équivalence illusoire des diplômes à l'artifice des statistiques comparatives, tout y conspire à la même abstraction.
Tout cela se heurte cependant au principe de réalité. Non les mêmes normes ne peuvent pas s'appliquer partout. Avant même d'être mises en œuvre elles ne sont même pas comprises de la même manière dans des langues différentes. La loi même du mondialisme lui commande d'échouer.
Le but légitime de l'Europe consiste à demeurer, à l'inverse, libre en vue de ne pas sortir de l'Histoire. Il s'agit du contraire de l'uniformisation mondialiste par conséquent.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. article "The economic governance the EU needs"⇑
- Rappelons à ce sujet que le terme anglais "government" doit se traduire en fait par l'administration, par l'État : une NGO que nous traduisons par "organisation non gouvernementale" (ONG) est en fait "indépendante de l'État". Et, au contraire, "administration" désigne le gouvernement, le ministère. Parler de "l'administration" Obama revient à un contre sens. Le président Obama dirige en effet un gouvernement et il a formé un ministère. Or, les collaborateurs de celui-ci sont supposés plus mobiles et plus dépendants du "gouvernement", en l'occurrence du parti démocrate victorieux en 2008.⇑
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