Le 5 avril Jean-Michel Apathie recevait (1) Philippe Varin. Le président du directoire de PSA Peugeot-Citoën rappelait certaines réalités de l'industrie française et il réitérait ce matin-là son cri d'alarme : "Il y a une dérive du coût du travail en France". Précisons d'emblée, comme on va le voir plus loin, qu'il attribue ces alourdissements dommageables non pas au salaire net encaissé par les travailleurs eux-mêmes mais aux charges pénalisantes imposées par les caisses sociales.
Or, cette alerte avait déjà été développée par l'industriel le 28 janvier dans une tribune du quotidien économique les Échos. (2) Son interlocuteur radiophonique agace souvent par sa manière de couper la parole à ses invités, de parler à leur place, etc. toutes faiblesses assez naturelles à ce mode d'expression mais dont on parvient avec beaucoup d'efforts à se corriger. De ce point de vue M. Apathie doit encore parcourir un gros bout de chemin. Mais, au moins, par sa manière tant soit peu "lourdingue" (3) de reposer identiquement les mêmes interrogations dérangeantes ou déplacées il contrarie la langue de bois. Et la vraie question qu'il soulève porte sur l'absence de réaction de la classe politique au lendemain de la tribune libre du chef d'entreprise. Avez-vous reçu un appel du premier ministre, des dirigeants ministériels, des groupes parlementaires, etc. ? Pas de réponse… L'auditeur en déduit, dès lors, sans difficulté, l'existence d'une déconnexion totale entre la vie économique concrète du pays et les préoccupations de nos politiciens et de nos énarques.
Car Peugeot, devenu "PSA" Peugeot-Citroên ne peut pas être considéré comme n’importe quel groupe en France. Il emploie dans le Monde 200 000 personnes, dont 100 000 dans l'Hexagone, où il produit 41 % de ses véhicules. Sa production localisée en France représente deux fois celle qu'il vend sur le marché intérieur. Il forme en alternance 5 000 jeunes qui vont travailler plus tard dans toutes les entreprises nationales de la filière. Il ne s'agit donc pas seulement de 200 ans d'une brillante aventure industrielle partie de Franche-Comté, car cet héritage bien compris et bien géré projette ses perspectives vers l'avenir.
Mais la question que soulève son dirigeant se pose en fait depuis fort longtemps. Il y a une quinzaine d'années nous tentions d'alerter sur le calcul du "taux multiplicateur de coût salarial" qui correspond exactement au concept qu'invoque M. Varin. Aujourd'hui on trouve beaucoup de références à une telle notion, mais elles sont toujours mentionnées de manières passives, et, quant au fond, jamais critiquées.
Remarquons qu'après diverses mesures d'exonérations, camouflages, et blocages ce taux multiplicateur demeure en France de l'ordre de 1,8 en 1996 (5). L'article des Échos et l'entretien sur RTL mentionnent le chiffre de 1,83 en 2011. On peut hélas le comparer avec son équivalent allemand soit 1,47. En pourcentage, par conséquent, les choses ont peu évolué depuis 15 ans. Les usines à gaz sont intervenues, précisément, parce que même les politiques ont compris qu'on ne peut guère augmenter la taxation du travail.
M. Varin écrit ainsi : "le poids grandissant des cotisations sociales pèse sur le coût salarial horaire en vigueur dans notre industrie." (6) Le mot "grandissant" est presque de trop. On y verra peut-être une redondance stylistique.
Le fait monstrueux reste bien que, tout en coûtant plus cher dans le compte d'exploitation des entreprises en France en tant que frais de personnels, du moins dès que l'on s'écarte du SMIC, le salaire net horaire perçu par un ouvrier qualifié français se trouve de 20 % inférieur à celui de son homologue allemand.
Certains remarqueront peut-être que toutes les entreprises françaises et toutes les entreprises allemandes du même secteur n'en tirent pas les même conclusions. La plus mondialisée dans sa production semble bien Renault dont l'ancrage "régional" se révèle beaucoup moins caractérisé. Sans parler de l'Allemagne, où nombre de grandes entreprises sont indiscutablement liées à la culture même de leurs Lânder respectifs, relevons qu'en France Peugeot appartient à l'Histoire franc-comtoise, et Michelin à l'Auvergne.
Mais toutes subissent la législation et la réglementation nationales.
Comment faire évoluer celles-ci ? C'est peut-être là où commencent les divergences avec le constat de M. Varin. Car il n'envisage tout simplement de repenser que le financement de la protection sociale.
Citons-le encore : "j'ai acquis la conviction qu'un pays qui perd la maîtrise de son industrie ne la retrouve jamais." D'accord sur cette crainte, mais également pour celle qu'appelle sa conclusion : "Aujourd'hui, à la tête de PSA Peugeot Citroën, il est de ma responsabilité d'appeler à un nouveau pacte social pour remettre l'industrie au cœur de la croissance française." Car il précède en effet cette exhortation de la réserve suivante "Pas question, bien évidemment, - et pourquoi pas question ? de remettre en cause le principe même des cotisations salariales. Il faut en revanche revoir leur assise, et définir ce qui relève du travail (chômage, retraite) et ce qui n'en relève pas (famille, santé, dépendance, exclusion). Il n'est simplement plus tenable de faire peser l'essentiel du financement de la solidarité nationale sur les seuls salariés." (7)
Cette prise de position n'est donc qu'à moitié citoyenne. On doit se demander en effet à quoi elle aboutit. Nous serons hélas bientôt contraints d'y revenir, à propos par exemple du projet dit de "TVA sociale". Au nom de quel pacte, faut-il faire supporter la même charge grandissante, aux classes moyennes, aux épargnants, aux contribuables, aux petites entreprises. Pacte signé par qui ? et destiné seulement à conforter les monopoles sociaux et assuranciels étatiques.
JG Malliarakis
Apostilles
- sur RTL dans son émission matinale "L'invité de RTL".
- Titre de l'article : "Un nouveau pacte social pour sauver notre industrie".
- Qualificatif que lui décerna gentiment Kouchner au moment du remaniement ministériel qui vit le court [et brillant] intermède de Mme Alliot-Marie.
- cf article du 31.1.1996 intitulé "Les barèmes URSSAF 1996 et la hausse continuelle du multiplicateur de coût salarial" date de l'ancienne formule de "L'Insolent", toujours archivée en ligne.
- Pour être précis soulignons que le calcul exact de ce taux supposerait que l'on s'accorde sur les éléments pris en compte, tel le "Versement transport" ou certaines "assurances complémentaires". "Tout est exception", sans exception. Pourquoi les entreprises franciliennes doivent-elles contribuer aux frais de la RATP, par exemple ?
- cf. Les Échos du 28 février. Ibid.
Sous ce titre paraîtra un ouvrage de l'auteur de ces lignes retraçant le contexte de la politique soviétique pendant toute l'entre deux guerres. Il comprend en annexe, et expliquant, plus de 80 documents diplomatiques, caractéristiques de cette alliance. Il sera en vente à partir du 15 mai au prix de 29 euros. Les lecteurs de L'Insolent peuvent y souscrire jusqu'au 30 avril au prix de 20 euros, soit en passant par la page spéciale sur le site des Éditions du Trident, soit en adressant directement un chèque de 20 euros aux Éditions du Trident 39 rue du Cherche Midi 75006 Paris. Tel 06 72 87 31 59.
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Bj cher ami, êtes vous hostile au monopole (inhérent selon vous au racket et au sans-gêne)ou au coût des officines collectrices? Ou a sa mauvaise gestion? Je suppose qu'en cas de meilleurs choix pour sa protection sociale, vous proposeriez un garde fou pour les indigents? Ce n'est pas un commentaire, mais une demande d'éclaircissement. Merci
bonne journée...
Rédigé par : minvielle | samedi 09 avr 2011 à 17:53