Prenons acte, avant même d'examiner dans le détail son ébauche de programme, de la construction intellectuelle sur la base de laquelle Mme Aubry l'échafaude. Son propos de "redresser le pays" part en effet d'un jugement sur le recul qu'elle en vient à constater ainsi : "Nous vivons une crise de l’avenir qui a deux réalités, le déclassement des classes populaires et moyennes et le déclin de la France comme nation et de l’Europe comme puissance dans la mondialisation." (1)
Il semble important de souligner une telle évolution rhétorique. Elle se révélera à long terme plus significative que l'examen des remèdes dont elle esquisse la formulation. La phrase de la dirigeante socialiste est due à la plume de son écrivain du jour M. Bachelay. Issu lui-même d'une lignée ouvrière, un tel phénomène fait exception dans le contexte de la rue de Solférino. Et cela impressionne certains journalistes. Reconnaissante, la gauche caviar le congratule sur le mode bien connu "enfin une main calleuse".
Dès lors, la contrepartie de cette écriture ne saurait demeurer longtemps innocente. On criera bientôt haro sur le "décliniste". Cet affreux barbarisme lui sera appliqué dès lors qu'on s'avisera qu'il raisonne exactement comme Charles Maurras en 1899 lorsqu'il commença à théoriser ce qui allait devenir le nationalisme intégral. La finance progressiste ne se méfiera jamais assez des gens de peu.
Mais, comme il se doit pour un parti d'opposition qui se respecte, son analyse impute au seul gouvernement actuel la responsabilité de la situation, tout en la trouvant, bien sûr, uniment déplorable. "On n’est pas là pour écrire un pamphlet, reprend la mégère Aubry, on doit faire le récit de la société et du monde tels qu’ils sont, du choc du sarkozysme et montrer la France telle qu’elle peut s’en sortir".
Sans chercher quant à nous, à cirer les bottes du chef de l'État en exercice, on se surprend quand même à poser la question : de quand date la dérive vers le bas ? De 2007 exclusivement, où 53 % des Français ont jugé bon de ne pas élire Sa Glorieuse Ségolitude ? De la stagnation chiraquienne ? De la Mitterandie ? Winston Churchill allait jusqu'à indiquer pour sa part la date de 1815. Peut-être pourrait-on remonter plus haut. Tout va mal en France, mumurent certains lettrés, depuis la mort du Grand Dauphin (2). Du point de vue des finances publiques, en tout cas, la disparition de Colbert, en 1683, qui coïncide pratiquement avec l'installation de la Cour à Versailles en 1682 a plongé pour de longues années le pays dans le recours à l'emprunt et la prédation étatique.
De la même façon, les règles financières initiales établies, en 1958, par Antoine Pinay et Jacques Rueff n'ayant pas survécu à la vague soixante-huitarde, à la suite de quoi, depuis plus de 30 ans, nos politiciens font du "social à crédit", et ce mal français là, le parti socialiste ne s'apprête pas à la guérir.
Mais que l'électeur de gauche potentiel se rassure : grâce à la joyeuse formation de Mme Aubry, tout ira mieux demain. Car ayant su limiter à 5 ans pas plus l'observation du malaise, le traitement pourra se cantonner à un régime simple : on purge bébé, on supprime les "privilèges Sarkozy" et les "cadeaux fiscaux", et hop ça repart pour 5 années heureuses d'un programme simple comme l'œuf de Christophe Colomb. Il suffisait d'y penser.
À la lecture du résumé des épisodes à venir, on ne sort cependant qu'à moitié rassuré. Première alerte : la Fée Carabosse Thomas Piketty, qu'on présente trop souvent comme un économiste, n'a pas manqué de se pencher sur le berceau des dispositions fiscales. Son contentement fait froid dans le dos. La fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG, par exemple, peut aller très loin dans l'absurdité, dans le renforcement de la progressivité, et l'incitation des hauts revenus à l'exil. On nous berce du fait que ce projet est demeuré depuis 10 ans "dans les cartons de Bercy" : il serait sage de l'y renvoyer.
Un regard honnête et averti remarque cependant aussi le caractère hybride du projet supposé passe partout, rassembleur, avec un zeste d'écologie à 30 ans. Mais avant tout il semble avoir été dessiné pour une convergence à la fois impossible et follement désirée. Le sac à bière de Lille et le sac à fric de Washington sont appelés à pouvoir entrer dans le même cornet de frittes bruxellois. Difficile pour l'élégant DSK d'endosser pourtant l'uniforme de la cantinière.
On se paye d'ores et déjà de mots. On remarquera ainsi que le plafonnement des hauts salaires fixes concernera en fait 3 ou 4 personnes, que l'égalité hommes/femmes a déjà fait l'objet stérile de plusieurs réglementions purement théoriques, etc.
Mais, à restaurant ouvrier, cuisine bourgeoise. Et, dans un décor supposé rendre compte de la scène du déclin, le délabrement indiscutable des finances publiques vient en bonne place pour introduire le client à un menu de Carême.
De ce fait chacun prendra bonne note de la volonté, ou de la prétention d'équilibrer les dépenses nouvelles par des hypothèses de recettes accrues. Tel programme coûte-t-il 5 milliards d'euros ? Eh bien les voilà!, nous annoncent nos jeunes amis.
Hélas cette bonne nouvelle suppose tout simplement une croissance de 2,5% par an, pendant toute la période du plan quinquennal, de la richesse produite par le pays. Mais qui va donc contribuer à un tel retour aux années que l'on décrit si souvent comme "glorieuses".
Dans la pratique, on découvrira que les 300 000 emplois promis aux jeunes, une vieille recettes remontant à 1997, les caseront dans les administrations ou les services sociaux.
Ne disons pas ici que cela les condamnerait nécessairement à l'oisiveté ou à l'inutilité : ne revanche les 4 milliards d'euros promis pour être dépensés de la sorte par l'État assècheront les disponibilités de la collectivité. De plus on recrutera d'abord les meilleurs et les moins mauvais et les 120 000 jeunes qu'annuellement notre excellent système scolaire laisse sur le carreau attendront encore 5 ans, dans le meilleur des cas pour bénéficier de l'apprentissage à 14 ans. Il en résultera 600 000 vies gâchées supplémentaires, immolées à leur tour sur l'autel de l'idéologie des années 1930, le plan Langevin Wallon ayant été élaboré dans le cadre du socialisme maçonnique de la IIIe république, affiché en 1944 et concrétisé en 1959 par un simple décret signé Boulloche lors de la passation de pouvoir du cabinet De Gaulle, dernier gouvernement de la IVe république, à celui dirigé par Debré. Une longue marche sinueuse pour une belle réussite.
Le nouveau projet s'enorgueillit aussi de placer la production avant la redistribution. En réalité il réhabilite l’intervention de l’État, mais il le fait mollement : "État stratège et incitateur (…) On n’est pas dans la période des nationalisations, on réanime l’État, mais il ne décide pas de tout", dit encore Aubry. Ce programme se gratifie lui-même de l'étiquette "social-écologiste".Il prône "l’inversion du mix énergétique" ou la TVA écomodulable. Et de faire aussi une petite risette à Mélenchon, en vue du second tour.
À ceux enfin qui nous reprocheraient de n'avoir vu dans ce programme qu'une laborieuse rédaction économique, sociale et fiscale, répondons que nous n'en avons pas vu l'inspiration poétique, grandiose et continentale. Car à vrai dire, il en semble encore fort dépourvu. Les révolutionnaires du XIXe siècle imaginaient partir "à l'assaut du Ciel". Éluard croyait pouvoir écrire "Le monde sera beau je persiste et je signe". L'ombre même de cette espérance a déserté les rêves de la gauche parisienne.
JG Malliarakis
Apostilles
- Journal du Dimanche 3 avril 2011
- au château de Meudon le 14 avril 1711
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On dit que ce "programme" est le fruit d'une réflexion de 2 ans (à part le truc du nucléaire qui ne doit pas être si vieux...).
Il faut se frotter abondamment les yeux pour admettre que les auteurs du programme socialiste déclarent sans rire qu'en fabriquant 300 000 fonctionnaires, et en réduisant le salaire de quelques personnes, on va aboutir au "redressement" du pays. Ce serait drôle si ce n'était pas lamentable...
Rédigé par : Pierre Allemand | mardi 05 avr 2011 à 17:00