Ce 18 avril mon vieux camarade Jean-Luc de Carbuccia me demandait d'enregistrer un entretien à propos du sujet turc. Comme tous les auteurs j'accours assez volontiers dès qu'il s'agit de s'exprimer à partir de mon livre.
Beaucoup de sottises lues et entendues à propos de la Turquie donnent en effet envie de répondre, y compris à des spécialistes agréés, réputés incontournables, comme Alexandre Adler. L'occasion une fois saisie, mon hôte me mettait sous les yeux un de ces articles dont Le Figaro détient le secret sur la "carte turque", signé de ce chroniqueur turcophile. (1) À vrai dire elle part d'un postulat intimidant par vocation : "C'est unanimement, affirme en effet notre spécialiste, sans le démontrer que les opinions européennes ont enfin découvert l'importance du modèle turc… place al-Tahrir au Caire." Et il poursuit, comme triomphant : "Les mêmes qui ne cessaient de mettre en cause le sérieux démocratique de la Turquie se sont abruptement rendu compte de l'importance mondiale de ce que les Turcs avaient réalisé ces dix dernières années".
Il y a quelques mois le même Adler participait, dans sa chronique vocale sur France Culture (2), à une campagne orchestrée par l'opposition laïciste et militaire kémaliste. Il s'agissait de mettre en garde les Français contre l'installation à Villeneuve-Saint-Georges de la première école du réseau Fethullah Gülen dans notre pays. Ce mouvement, très proche de l'AKP actuellement au pouvoir à Ankara, mais dont le chef réside aux États-Unis, compte quelque 2 000 établissements scolaires dans le monde. Son implantation en Asie centrale est considérée par les experts comme l'instrument d'une pénétration occidentale, dans le cadre du nouveau "grand jeu". On appelle ainsi depuis le XIXe siècle la rivalité opposant dans les six anciennes républiques soviétiques les relais de ce qui constituait autrefois l'Empire britannique à la Russie. Or ces menées sont dénoncées de la manière la plus vigoureuse par le principal État de la région, l'Ouzbékistan (2) qui voit dans les confréries turques, les "nourdjous" comme les "naqshbendis" des foyers à la fois islamistes et mafieux.
On se trouve avec Adler en présence d'un ami des laïcistes turcs. Pas question pour lui de considérer que ce qui a été "accompli depuis 10 ans" serait dû au gouvernement actuel. Il ose ainsi la pirouette suivante : "si les anciens islamistes ont su devenir un parti conservateur, défenseur des valeurs musulmanes, dans un cadre pluraliste et ouvert, ils ne le doivent pas seulement à leur propre capacité de changement et d'autocritique. C'est le kémalisme trop souvent aujourd'hui accusé de tous les maux qui a permis sur la longue durée l'essor actuel de la démocratie". Habile rhétorique, trop habile.
Aujourd'hui notre cher turcophile conseille donc doctement : "Ne négligeons pas la carte turque".
Remarquons simplement ceci : pour "jouer une carte", encore faut-il en disposer dans son jeu, ou s'il s'agit d'un tricheur, dans sa manche.
Détenons-nous cet éventuel atout ? Depuis mars en effet, on constate par exemple que le gouvernement d'Ankara critique la prise de position interventionniste de Paris dans l'affaire libyenne. Ceci ne peut pas être dissocié du fait que le Premier ministre Erdogan a accepté en décembre 2010 de recevoir le "prix Kadhafi des Droits de l'Homme". (3) Mais il va plus loin : pour justifier son changement de position réclamant que les bombardements soient réalisés dans le cadre de l'OTAN, il invoque "la méfiance que lui inspire la France" et le "scepticisme" à propos de son action. (4)
Posons dès lors une autre question : lesquels doit-on prendre au sérieux parmi les écrits propagandistes récurrents de M. Adler à propos de la Turquie ? Ceux qui affirment que la Turquie représente une puissance ascendante au plan mondial ? Ou ceux qui en parlent comme d'une carte que l'on joue à sa guise ?
Sur le "modèle turc" au bout du compte, on produit beaucoup de fumée autour de l'AKP. Ce parti attrape tout, s'est montré certes, depuis 10 ans, fort habile pour manier la démagogie. Il semble bien décidé à rechercher désormais une majorité absolue des suffrages aux élections législatives, et peut-être même capable de l'obtenir. Mais le rapport entre ce qu'il représente et la place Tahrir au Caire, à supposer même que celle-ci ait défini un avenir prévisible pour un monde arabe dont l'unité n'a jamais existé que sur le papier ne peut convaincre que des gens décidés comme M. Alain Juppé. Celui-ci, nous assure-t-on, "veut que la France change son regard sur le monde arabe" (5).
Citons La Croix :"Lors d’un colloque organisé par le ministère des affaires étrangères à Paris, le chef de la diplomatie française a tendu la main aux mouvements islamistes qui respectent l’état de droit, les principes démocratiques et le refus de la violence".
"Comme c'est beau, comme c'est grand, comme c'est généreux la France" disait déjà De Gaulle lançant en 1959 le plan de Constantine destiné à concrétiser économiquement l'Algérie française.
Que veut donc dire l'accouplement de tous ces mots, "islamistes" d'une part, et, d'autre part, "qui respectent l’état de droit, les principes démocratiques et le refus de la violence".
Qui cherche-t-on à tromper avec ce genre de discours creux : les Turcs ? les Arabes ? ou plus probablement les Français.
JG Malliarakis
Apostilles
- La chronique d'Alexandre Adler du 15 avril 2011
- Le matin à 7 h 23.
- Rappelons au besoin que ce pays de 28 millions d'habitants et de 447 000 km2 n'est pas plus "négligeable" que la Turquie.
- cf. L'Insolent du 4 avril "Les deux visages de l'islamisme modéré"
- cf. article "Wary of France, Turkey wants NATO in charge in Libya" publié par le gouvernemental "Today's Zaman" le 25 mars 2011.
- cf. "La Croix" du 17 avril 2011.
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Les discussions, voire les quasi-alliances circonstancielles, avec les islamistes, sont une assez vieille histoire :
http://www.debriefing.org/30277.html
Dans un contexte donné, on peut s'allier momentanément avec le choléra pour éviter la peste : les USA avec l'URSS contre Hitler, puis les USA avec les musulmans contre le "communisme sans Dieu". Mais maintenant il s'agirait de faire ami ami avec les islamistes contre... Contre qui, au fait ?
M. Juppé connaît-il, non seulement l'islamisme, mais carrément l'islam tout court ?
Rédigé par : Curmudgeon | mercredi 20 avr 2011 à 18:01
La Turquie,
"La grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf ."
...
"En gros, la Turquie et ses bientôt 100 millions d’habitants sont un immense réservoir de main-d’œuvre pas chère et donc de rentabilité à nos portes. Du (… ) turc pour construire nos bagnoles. Oui mais voilà, la Turquie en Europe, c’est le retour au Moyen-âge. (… )"
http://www.lorgane.com/FEU-SUR-LA-TURQUIE-_a1041.html
Rédigé par : holothurie | jeudi 21 avr 2011 à 12:30
Point de vue d'une ancienne juge turque :
http://www.spiegel.de/international/world/0,1518,758101,00.html
Rédigé par : Curmudgeon | jeudi 21 avr 2011 à 15:57