La réunion ce 14 avril en Chine de ce groupe paradoxal et bancal appelé "BRICS" a au moins donné lieu ce matin à une intéressante conclusion.
Tout d'abord, revenons sur la globalité de ce qu'on appelle ici des pays émergents. Ces 5 États revendiquent certes 40 % de la population mondiale et 18 % d'un agrégat statistique supposé calculer et additionner le produit intérieur brut. Si l'on accepte les notions si couramment utilisées, et même serinées, en d'autres circonstances, cela signifie qu'ils se trouvent au-dessous du "seuil de pauvreté". Cela semble leur interdire toute adhésion aux utopies écologistes.
Quoi qu'il en soit, les 5 dirigeants et présidents du Brésil plus Russie plus Chine plus Inde auxquels s'est jointe désormais l'Afrique du sud sont convenus "que l’énergie nucléaire continuera de jouer un rôle majeur dans leurs bilans énergétiques. Ils ont pour cela appelé à une coopération internationale pour un nucléaire plus sûr". (1)
On se trouve assez loin des fantasmes qui renouvellent dans les salons germanopratins et au sein de la petite gauche le vieux démon du tiers-mondisme.
Certes cependant la naissance du G20, ce groupe de "BRICS" et de broc, peuvent annoncer des évolutions vers un "monde multipolaire", à condition de s'entendre sur le sens des mots. Certes M. Alexandre Adler peut se permettre de parler impunément un matin du "désarroi américain", et le lendemain (2) de saluer les "nationalistes" latino-américains, émules de Chavez en qui il se refuse à voir le disciple et le successeur désigné de Castro (3).
Tout cela remonte à de puissantes racines dans le passé.
J'ai la faiblesse d'identifier cette filiation géopolitique de la subversion à la veille ligne Radek.
En août 1920 se produisit devant Varsovie le fameux "miracle de la Vistule" : la victoire des soldats de Jozef Pilsudski sur les rouges commandés par Mikhaïl Toukhatchevski. Sauvant son indépendance, la Pologne brisait pour 20 ans en Europe occidentale la progression de la révolution bolchévique. En janvier 1919 la révolte spartakiste avait été écrasée à Berlin, en mai disparaissait à Munich l'éphémère république des conseils de Bavière, en août 1919 Bela Kuhn était balayé en Hongrie.
L'une après l'autre, les tentatives d'exporter la dictature léniniste vers les centres industriels de l'occident avaient donc échoué.
La ligne que cherchait à imposer Zinoviev, au sein de l'Internationale communiste naissante en 1919, va être mise sous le boisseau. Les idées du président du Soviet de Petrograd, certes, réapparaîtront en 1926 dans le cadre de la "troïka des purs" constituée avec Trotski et Kamenev dirigée contre la NEP, au lendemain de la mort de Lénine. Mais favorable à l'instauration du "socialisme dans plusieurs pays" ce groupe sera vaincu par Staline au nom du "socialisme dans un seul pays".
Lénine considérait comme nécessaire "la subordination des intérêts de la lutte prolétarienne dans un pays à l'intérêt de cette lutte dans le monde entier". Cette théorie constitue la base même de la discipline au sein du Komintern, dissous en 1943 officiellement, mais auquel succédera le Kominform. De la sorte dans le mouvement communiste international Moscou dirige. La "solidarité internationale" est posée comme condition de l'adhésion.
En 1920 certes Zinoviev préside toujours le Komintern, mais Karl Radek secrétaire général va imposer la nouvelle tendance.
En avril 1920 le comité exécutif de l'IC convoque à Moscou les révolutionnaires de 40 pays, mais pour des nations aussi importantes que le Japon, la Chine, la Perse ou l'Inde ce sont les provenances qui sont citées, non les organisations. Par exemple un "manifeste du parti révolutionnaire des Indes", en gestation, signé de trois personnalités dont Manabendra Nak Roy est supposé représenter le sous-continent. On peut y voir la naissance du tiers-mondisme tel que nous l'avons connu à l'époque de la décolonisation.
Le Deuxième congrès de l'Internationale communiste en juillet 1920 développe ainsi la théorie suivante : "Les colonies constituent une des principales sources des forces du capitalisme européen. C'est par l'esclavage de centaines de millions d'habitants de l'Asie et de l'Afrique que l'impérialisme anglais est arrivé à maintenir jusqu'à présent le prolétariat britannique sous domination bourgeoise. La plus value obtenue de l'exploitation des colonies est un des appuis du capitalisme moderne. Aussi longtemps que cette source de bénéfices ne sera pas supprimée, il sera difficile à la classe ouvrière de vaincre le capitalisme".
Mais la ligne Radek va encore plus loin dans la définition d'une géostratégie révolutionnaire mondiale. Voilà ce qu'il écrit en juillet 1920 : "Les Alliés ont condamné à mort la Russie des Soviets et la Russie des Soviets vit, elle se libère, elle brise ses chaînes dans la lutte pour son existence, et elle détruit les fondements de la réaction occidentale.
"Les Alliés n'ont pas condamné à mort l'impérialisme allemand, qui est déjà vaincu devant l'Histoire, mais ils ont condamné le peuple allemand aux travaux forcés. Des cruautés de la guerre civile, un nouveau peuple allemand est né, un prolétariat allemand devenu force révolutionnaire, comme une Samson à qui jamais nulle Dalila ne coupera la chevelure, comme un Samson qui lorsqu'il se lèvera ébranlera les piliers sur lesquels repose entièrement la paix des Alliés.
Les Alliés ont condamné à mort, non pas le vieux nationalisme turc, mais le peuple turc lui-même. Ils voulaient en faire un peuple sans pays. Mais ce peuple, composé de paysans que n'a pas touchés la culture moderne s'est soulevé et a pris les armes". (4)
Cette ligne Radek a dominé en fait la conduite de l'Empire communiste. Elle assignait donc essentiellement deux alliés à l'URSS :
1° la Turquie kémaliste avec laquelle elle signera le traité de Kars en 1921 et se partagera le Caucase. (5) Elle liquidera de la sorte au passage les républiques indépendantes de Géorgie et d'Arménie, coupables d'adhérer à l'hérésie menchevique.
2° L'Allemagne avec laquelle elle signera le traité de Rapallo en 1922. Elle ne partagera avec elle l'Europe central et orientale qu'à la faveur des deux années de l'Alliance entre Staline et Hitler, entre 1939 et 1941, dont tous les acquis, du côté soviétique, seront confirmés par les accords de Yalta et de Potsdam en 1945.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. "Déclaration de la réunion des pays émergents du Brics"
- Chronique d'Alexandre Adler sur France Culture les 13 puis 14 avril 2011 à 7 h 23.
- cf. L'Insolent du 13 août 2009 "Échec au démago marxiste Chavez".
- cf. Bulletin communiste N°21 du 29 juillet 1920 p. 15
- cf. "La Question turque et l'Europe"
"L'Alliance Staline Hitler"
Sous ce titre est paru un ouvrage de l'auteur de ces lignes retraçant le contexte de la politique soviétique pendant toute l'entre deux guerres. Il comprend en annexe, et expliquant, plus de 80 documents diplomatiques, caractéristiques de cette alliance. Il est en vente au prix de 29 euros.
Les lecteurs de L'Insolent peuvent se le procurer, soit en passant par la page catalogue des Éditions du Trident, soit en adressant directement un chèque de 29 euros aux Éditions du Trident 39 rue du Cherche Midi 75006 Paris Tel 06 72 87 31 59.
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