Une partie de la classe politique avait prétendu fixer au 5 avril un débat sur la laïcité, qu'on croyait elle-même figée depuis la loi de 1905. Dérision de ce rendez-vous. Puis, les remugles subséquents au scrutin cantonal ont conduit le porte-parole du gouvernement à suggérer (1) ce 28 mars de "certainement mettre un terme à tous ces débats". Nouvelle dérision que cette velléité d'enterrer la confrontation des opinions. Celle-ci devrait pourtant constituer, au-delà des institutions, si j'ai bien lu Jacqueline de Romilly, l'essence même de la démocratie héritée des Anciens.
Curieusement cette forme d'agoraphobie des dirigeants, exprimée par le jeune ministre, lui vaut l'approbation d'un lecteur du Monde, ce 29 mars à 00 h 17. Sous la signature de "*JP", cet abonné écrit sans détour :
"Il semble qu'il reste à M. Baroin quelques unes des valeurs qu'a dû lui inculquer son père, qui bien que de droite, fut un républicain exemplaire... Que fait-il dans ce gouvernement mobilisé pour une seule cause : la réélection d'un homme dont la seule fin est la division, l'exacerbation des rivalités, quels que soient les moyens utilisés. Style action française et croix de feu ! Quand on a eu un papa franc maçon, on a un devoir de lutter contre ce président-là !" (2)
Toute l'évolution de la politique française depuis 2008, époque où la popularité sondagière du chef de l'État se situait à son zénith, semble ainsi résumée.
On dirait ainsi que certains cénacles veulent réserver à leur intimité le privilège de débats qu'ils tronquent et censurent dès lors qu'ils sortent du cercle allégorique du monopole de compétence qu'ils se reconnaissent.
Prétention aussi dérisoire que celle de nos politiciens.
Censure dépourvue de signification, sauf à redécouvrir la "nuisance maçonnique".
Mais précisément la franc-maçonnerie sectaire française (3), à laquelle font implicitement allégeance tous ces "républicains", a mis en place cette fameuse "laïcité" il y a un siècle. Ses adeptes voudraient ne la faire évoluer que par un débat restreint dans le temps et/ou discret dans l'espace. Or l'institution en remonte au contexte de quasi-guerre civile de l'affaire des fiches (4) de 1904, et l'on voudrait encore que cet acquis constituât l'un des paradigmes de l'identité française.
Sur un point au moins, nous pourrions rejoindre, et même nous devons revendiquer le concept de "laïcité", s'il s'agit de reconnaître la "neutralité religieuse" de l'État. Mais il convient nécessairement alors de s'entendre sur le mot "neutralité" comme sur la notion même de "religion".
On remarquera cependant que le dialogue ou la confrontation entre le christianisme, sous ses divers aspects, et les adeptes de la foi mahométane existe depuis l'apparition de celle-ci au VIIe siècle. Débat plus que millénaire par conséquent.
Il semble temps de répondre, du point de vue où l'auteur de ces lignes se situe à un certain nombre de réflexions. Je les repère ainsi sur un fil de discussion sympathique que je suis depuis plusieurs années, le "Réseau Liberté". L'un des intervenants y écrit :
"Le mécréant que je suis est un peu surpris. J’avais cru comprendre que le Coran était la parole vraie du prophète et la Bible celle de Dieu. (...) Les mérites mutuels des trois grandes religions me dépassent un peu : je vois toujours in fine des êtres humains à qui l’on demande une indéniable allégeance sinon soumission.”
Les amis de cette chronique me permettront de leur faire part de la remarque que cet énoncé appelle.
Le libre croyant que je suis pense que ce double présupposé contient trop d’erreurs pour ne pas appeler une série de réponses.
On pouvait parfaitement s’accorder sur le reste du propos de cette intervention, intéressante par ailleurs.
Mais, au départ, son laïcisme ironique, mettant christianisme, judaïsme et islam sur le même terrain, celui de la “soumission” fait bon marché du travail accompli depuis des siècles, au sein de l’Europe chrétienne en faveur de la liberté humaine.
Pour faire court l'auteur confond christianisme et augustinisme. Comme pour Voltaire, quelque malencontreux janséniste d’autrefois a dû introduire un contresens dans sa réception, si française hélas, du christianisme.
Quant au Coran, il n’est pas reçu par les musulmans comme la "parole vraie du Prophète" mais au contraire comme la récitation d’un texte incréé, invariant, mystérieusement TOTAL. De plus la Tradition des "hadiths" s’impose comme source de Loi. Et comme, depuis le XIIIe siècle au moins, l’Interprétation (5) est supposée close : tout débat non seulement sur la religion, mais sur la société (puisque cette “religion” englobe une législation) y est donc par définition interdit. Toute idée nouvelle est supposée impie.
Il existe donc certes des versions antilibérales du christianisme, chez les fondamentalistes protestants et chez certains traditionalistes catholiques par exemple, comme il existe aussi, et plus encore un antilibéralisme issu des Lumières : si l’homme est soumis aux sensations, comme l'affirmaient les "philosophes" du XVIIIe siècle, son “libre arbitre” se révèle un leurre. Et cela donne le socialisme.
Mais au sein du christianisme
1° Il existe un débat précisément sur la lecture de la Bible, et même sur chaque péricope et chaque parabole de l’Évangile. De même, il existe un débat analogue entre juifs, ce qui se retrouve dans les deux Talmuds.
2° La vraie tendance de fond n’est pas de “soumettre” l’homme [et la femme] mais de considérer que “Dieu s’est fait homme, pour que l’homme devienne Dieu”, c’est-à-dire pour le tirer vers le haut.
3° Enfin les trois principales “confessions” chrétiennes sont d’accord aujourd’hui pour poser la liberté de conscience comme intangible. Ceci entre en contradiction avec le "hadith" que l'on retrouve dans le recueil d'El Bokhari (IXe siècle) : “celui qui change de religion tue-le”. Ce mot d’ordre se voit rapporté, de manière très fragile, à Mahomet. Or il est toujours admis, aujourd’hui encore, dans la loi ou dans la pratique, par la plupart des 57 États membres de l'Organisation de la Conférence islamique.
En ce sens se reconnaître pour chrétien et s'exposer à être tenu pour un dangereux libéral me semble très voisin.
JG Malliarakis
Apostilles
- sur France Info le 28 mars à 8 h 17
- Cf. LEMONDE.FR avec AFP et Reuters le 28.03.11 à 9 h 57
- cf. "La Loge maçonnique" par Alfred Vigneau
- cf. "L'Affaire des Fiches" par Jean Bidegain.
- cf. "L'Islam, croyances et institutions" par Henri Lammens.
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Merci pour cet article excellent et très juste.
Dire que les responsables religieux se sont associés pour rédiger une pitoyable tribune pour demander l'annulation du débat.
Mauvaise alliance.
Rédigé par : Xpressionlibre | mercredi 30 mar 2011 à 08:03
Sur la tradition du laïcisme militant, à distinguer de la "laïcité (terme bizarre mais reçu), Philippe Nemo présente des analyses d'un vif intérêt, par exemple dans "Les Deux Républiques françaises".
M. Malliarakis touche du doigt le fond du problème quand il indique qu'il faut s'entendre sur le sens même du mot "religion". Les débats sur l'islam sont presque entièrement pollués par l'incapacité systématique à comprendre comment l'islam s'auto-définit selon ses docteurs. L'islam est un "dîn", mot qu'on traduit faussement par "religion". Faussement, parce que, en français du XXIe siècle, "religion" renvoie à une notion assez claire, qui n'est justement qu'une partie de ce qu'est l'islam.
L'islam est un système idéologique total, dont le cœur est certes une religion, mais qui vise à régenter l'intégralité de l'existence humaine. Contrairement à la halakha juive, le "dîn" de l'islam est politique, depuis Mahomet à Médine. C'est ce qui est explicité par le vieux slogan des Frères musulmans, "al-islâm dîn wa dawla" : l'islam est "religion" et Etat. Ensuite ce système total vise la conquête du monde, le sort des non-musulmans étant l'élimination, ou la soumission (statut de la dhimma) ou le "retour" à l'islam, Voie intégrale innée (sic !) de l'humanité. Sous la "Lettre ouverte de la mosquée de Lyon" du 22 mars 2011, un commentateur musulman a indiqué ceci : "L’Islam n’est pas une secte pouvant être une menace contre l’ordre social. Sa définition stricte est soumission à Dieu." Ce que ce commentateur a omis de rappeler, mais ce que tous les docteurs de l'islam rappellent, sauf quand ils s'adressent à des kouffar candides, c'est que la soumission à Dieu implique la soumission à sa Loi intégrale, et que cette loi a prévu des dispositions expresses pour les non-musulmans.
Les propos du "mécréant" que vous commentez émanent d'un ignorant satisfait qui ne sait même pas la différence entre l'"inspiration" telle que conçue par les juifs et les chrétiens (leurs Ecritures sont écrites par des êtres humains) et le statut du Noble Coran incréé, parole divine intégrale de Dieu, contenu et expression, ipsissimis verbis en claire langue arabe. Il ignore le statut des hadiths et de la Sira, le rôle de Mahomet, prophète final de l'islam (car tel est son statut exact, puisque l'islam, pur monothéisme, a été proclamé par tous les prophètes, de Noé à Jésus), comme "beau modèle", et ce qu'implique la charia.
Rédigé par : Curmudgeon | mercredi 30 mar 2011 à 10:26
J'ai posté sur le blog "Expression libre" de LOmiG le commentaire suivant :
Le document des représentants des religions (déclaration commune, 30 mars 2011) se signale, comme attendu, par le cliquetis de mots habituels : "amalgames", "stigmatisation", "vivre ensemble", "dignité", "confiance". Il parle de "cultes", et implique ainsi que l'islam est un "culte", ou comme on dit encore une "confession", une "religion", comme le judaïsme, les trois branches du christianisme, le bouddhisme.
Ceci est totalement contraire aux faits avérés, sauf si l'islam de France a subi tout récemment une réforme radicale dont je n'ai pas eu connaissance. Le texte déclare que "tous les cultes adhèrent sans réserve" aux principes fondamentaux de la loi de 1905. Là encore, si c'est le cas, c'est que l'islam en France est devenu subitement une branche totalement hérétique de la "religion" d'Allah, ce dont je me réjouirais, mais qui semble peu probable. Ou alors que les deux signataires musulmans, MM. Mohammed Moussaoui et Anouar Kbibech, sont radicalement incompétents pour parler de ces choses, ce qui augure mal de l'avenir. Ou alors qu'ils disent aux non-musulmans ce que ces derniers ont envie d'entendre, tout en pratiquant ce que la politesse appellera "réserve mentale", et ce que la connaissance réaliste de l'islam appellera "taqiyya".
Rédigé par : Curmudgeon | mercredi 30 mar 2011 à 10:50
J'ai posté ceci ailleurs :
Un des signataires du document publié ce 30 mars, M. Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman, a déclaré au quotidien Le Monde le 9 mars 2011 : "Nous pourrons dire qu'il y a un seul islam, mais avec plusieurs expressions, qui dépendent du contexte historique et géographique dans lequel il est pratiqué."
1)
Contrairement aux experts qui ne cessent de dire que "il n'y a pas un islam mais des islams", que "l'islam est pluriel", et qu'il faut fuir le piège de l'"essentialisme", M. Moussaoui rappelle, bien entendu, qu'il y a un seul islam. Conséquemment, s'il y a un seul islam, l'islam de France, même "contextualisé", est représentatif de cet islam unique. Nous en connaissons la nature, celle d'un "dîn" englobant (et conquérant), selon les définitions unanimes des savants de l'islam orthodoxe.
2)
M. Moussaoui a signé un document affirmant l'attachement des musulmans au principe de laïcité.
Il existe une incompatibilité entre (1) et (2). Or M. Moussaoui est un universitaire spécialiste de mathématiques. Il est tenu, professionnellement, de sanctionner chez ses étudiants l'affirmation conjointe de deux propositions contraires P et non-P. Lui-même affirme conjointement à deux dates différentes deux propositions contraires.
Quelle interprétation proposer pour ce comportement ?
Rédigé par : Curmudgeon | mercredi 30 mar 2011 à 12:35