Tirer le bilan de l'insipide scrutin cantonal nous a donné l'occasion de déplorer les progrès de ce qu'il faut bien appeler désormais le "mélenchonisme". Ceux-ci ne doivent pas se mesurer seulement au très faible gain électoral du parti communiste et de son allié. Ils passent de 9,2 % en 2008 à 9,5 %. Et cette hausse de pourcentage correspond peut-être seulement au progrès de l'abstention, manifestement plus forte à droite qu'à gauche. Les communistes disposaient de 105 sièges, ils en obtiennent 118 environ en comprenant les 5 élus du "parti de gauche" – l'alouette mélenchoniste de ce pâté dont le cheval n'est autre que le percheron de l'appareil stalinien.
Mais ce qui doit nous préoccuper plus encore correspond plutôt au "socialisme" pratique, à "l'étatisme diffus", à la peur de la mondialisation, qui imbibent les esprits. Une telle intoxication, à laquelle les fabricants des médias concourent grandement, coupe les Français des perspectives appropriées aux vrais besoins de l'Europe, dans son ensemble. Même le regard sur les difficultés inhérentes au fonctionnement de l'Union européenne fausse la prise en compte du véritable intérêts des ressortissants de l'Hexagone. Ces difficultés ont en effet été largement engendrées par l'influence, durant un demi-siècle, des politiciens et des technocrates... français.
À la faveur de cette situation certains groupes d'intérêts imaginent de propulser leurs mots d'ordre en vue des changement politiques à l'échéance 2012.
Dans un entretien publié le 25 mars dans "Le Monde" (1), M. Guillaume Pépy que l'on présente comme le "patron" de la SNCF, pousse ainsi le bouchon assez loin. "Patron" il ne l'est que par la grâce de l'État central parisien qui le nomma en 2008. Ce rôle de "patron" il ne fait sembler d'y jouer qu'avec le concours et la connivence des syndicats, c'est-à-dire de la CGT.
On notera, de ci de là, quelques remarques apparemment justes. Par exemple :
"le financement des lignes à grande vitesse ne peut se faire au détriment du financement du réseau existant. La question est : voulons nous un réseau LGV de pointe connecté à un réseau classique en déshérence ?"
Or, une telle "question" situe précisément la gestion de l'entreprise ferroviaire dans le cadre du débat public. "Faut-il accorder plus ou moins de subventions". Et cette manière de renvoyer l'interlocuteur à une interrogation "citoyenne" lui évite de devoir placer son offre sur le marché des usagers de son service, comme le ferait un véritable entrepreneur, un "patron".
Ce grand subventionnaire a eu l'audace de publier des résultats 2010 artificiellement en bénéfices. Totalement fictifs bien entendu. Il considère, malgré cela, qu'il "manque 1 milliard par an pour financer le ferroviaire" en France. Et, il met en cause, c'est devenu une ritournelle, l'organisme auquel la réforme de 1997 a confié la gestion des voies ferrées, et qui a hérité aussi de l'énorme dette accumulée par le transporteur depuis sa nationalisation de 1938 et qui représente plus de 20 milliards d'euros. Pour que ce passif n'entre pas dans les calculs de l'endettement global des administrations publiques, en vue de la création de l'euro, on a dû le détacher juridiquement du bénéfice du statut de la fonction publique. Par conséquent le personnel affecté à l'entretien des voies est demeuré, lui, dans ce statut très favorable que la CGT et Sud-Rail défendent bec et ongles, et il fait partie des effectifs de la SNCF dont il constitue la branche "infrastructure". Le propriétaire des voies, près de 15 ans après la réforme, passe obligatoirement par son concessionnaire pour les entretenir, et paye naturellement le prix fort.
En avril 2008, la Cour des comptes publiait un rapport dit thématique de 178 pages intitulé "Le réseau ferroviaire : une réforme inachevée, une stratégie incertaine" qui fait le point de la situation. M. Pépy aurait gagné à lire ce document, instructif et suggestif. Aujourd'hui, il singe l'esprit européen en suggérant que la France "comme l'Allemagne" puisse donner au transporteur la maîtrise de son infrastructure. Il affirme à l'usage des lecteurs du "Monde" que "les Français sont allés très loin dans la séparation de l'infrastructure et du transport", contrairement aux Allemands qui auraient gardé une holding commune. Contre vérité technocratique et journalistique typique. On évacue les raisons historiques de cette situation qui remonte à la Loi fondamentale de la Bundesrepublik créée en 1949.
La réalité se révèle bien différente et elle est soulignée dans le rapport de la Cour des Comptes : elle résulte du grand écart de l'activité d'entretien de l'infrastructure qui mobilise encore 32 000 personnes au sein de la SNCF, personnel extrêmement coûteux et qui représente un très gros bataillon cégétiste. Or le coût du travail continue d'y augmenter de 3 % par an, pour une productivité en hausse de 2 %. En comparaison les gains de productivité par tête dans le reste l’industrie sont nettement supérieurs à hauteur de 3,4 % par an de 1997 à 2004 en moyenne malgré le ralentissement 2001-2002 dû aux 35 heures.
"La maintenance de l’infrastructure, indique le rapport, occupe à la SNCF 32 000 personnes dans 68 établissements d’entretien généralistes, 13 établissements dits 'logistiques' regroupant des moyens en matériels et personnels, 7 établissements industriels faisant, par exemple, de la soudure de rail et 2 établissements spécialisés sur les bâtiments. Chacun de ces établissements a de multiples implantations. Les effectifs au siège et en directions régionales sont d’environ 1 500."
Le rapporteur suggère au bout du compte que ce personnel, facturé de manière strictement monopoliste, cesse de travailler sous statut ferroviaire et monopoliste.
Ce que bien entendu ni la CGT ni Sud Rail ne sauraient accepter.
Après la chute de Billancourt, "citadelle ouvrière", le bastion ferroviaire demeure avec les docks de Marseille, un des lieux essentiels de la mémoire ouvrière. Il est supposé démontrer en termes d'acquis sociaux que "l'action syndicale, ça paye".
Pour les organisations syndicales cégétistes les grandes grèves de mai 1920 font partie de la légende fondatrice. Louis Aragon en décrit le contexte, à sa manière "très objective" dans ses romans. Ces événements contemporains du congrès de Tours donnèrent lieu avec la victoire du cartel des gauches en 1924 à une première revanche, consolidée par la nationalisation sous le gouvernement Chautemps et par la Libération. On rappellera ainsi que le congrès de Tours qui vit la scission fondatrice du parti communiste fut ardemment soutenu par la municipalité, ferroviaire par excellence, de Saint-Pierre-des-Corps. Le maire de l'époque, le camarade Hénault répondait au charmant prénom de Robespierre. Ses 22 colistiers rejoignirent la "Section française de l'Internationale communiste" en formation. Son successeur actuel, la camarade Marie-France Beaufils, sénatrice d'Indre-et-Loire, a été élue en tant que maire communiste et siège à ce titre. Elle appartient naturellement au front de gauche mélenchoniste. Aux élections municipales de 2008, la liste d'union PS-PCF qu'elle dirigeait l'emportait encore dès le 1er tour avec 57,2 % des voix. En 2009 elle figurait comme tête de liste du Front de Gauche dans la circonscription Centre-Massif Central pour les élections européennes. Notons d'ailleurs que, membre du corps enseignant elle symbolise à sa manière le remplacement des travailleurs de l'industrie et de l'agriculture par les fonctionnaires et les professions intellectuelles dans les rangs de la gauche et de l'extrême gauche.
Aux élections syndicales de la SNCF mars 2011, le léger tassement constant de la CGT continue en douceur. En recul de 2 points, elle demeure cependant avec plus de 37 % des voix la première force, avec comme rivale sur sa gauche Sud Rail (17 %) et un pôle réformiste UNSA (21 %) et CFDT (14 %).
Mais le paradoxe la transforme, de ce fait, en un syndicat "central". Déjà observée lors de la crise des retraites, cette tendance, à laquelle travaille le camarade Thibault depuis 10 ans, se révélera aussi néfaste que la situation conflictuelle antérieure. Pépy est donc son allié de fait, la CGT militant pour le maintien des avantages acquis, lui défendant le monopole historique.
Dès lors que désire vraiment Guillaume Pépy ?
"Nous allons vers une impasse financière. Notre système RFF-SNCF n'a pas d'avenir", dit-il. Il soutient ainsi que son propre problème de gestion serait lié aux "hausses des péages demandés par RFF sur le réseau à grande vitesse". Or ces péages couvrent à peine le coût des travaux facturés... par la SNCF à RFF. Et d'agiter le risque d'une "fuite des usagers vers l'automobile".
Sur ce terrain on pourrait lui indiquer que les retards, les difficultés de correspondance et autres nuisances de la compagnie elle-même, parfaitement guérissables sans subventions, nuisent certainement plus à l'image de marque de la SNCF que les hausses tarifaires que d'ailleurs personne ne comprend puisque personne ne sait plus à l'avance ce que va coûter un billet de chemin de fer.
Mais on doit aussi tenir compte de la mauvaise organisation du travail.
À titre indicatif signalons ainsi que les pertes de la branche infrastructure s'étaient fortement accrues de 2002 à 2006 passant de 23 millions d'euros à 84 millions d'euros. Or, dès 2005, un rapport d’audit du professeur Rivier "mettait en exergue une organisation des travaux, spécifique à la France, qui entraîne des coûts considérables (...)." Et il les évaluait alors à 210 millions d'euros par an pour l’entretien et à 60 millions d'euros par an pour le renouvellement. Le seules économies que permettraient un allongement des plages de travaux, une généralisation des dispositifs de circulation à contresens et des dispositifs de protection automatique des chantiers épongerait sans difficultés les gâchis du système actuel.
"Le moment est venu, conclut notre énarque, de faire un vrai bilan de la réforme de 1997 qui mérite des ajustements". Ceux-ci ne se traduiront pas par un retour de la dette et du patrimoine dans le giron de la SNCF. Impossible d'imaginer que le monopole historique se trouve dans la situation, non plus, de gérer demain la concurrence et les attributions de "sillons" – concessions de créneaux horaires – à ses concurrents européens ou privés français.
La solution qui lui convient est donc toute trouvée : les "ajustements" consisteront à demander des péages artificiellement bas, et donc plus de subventions.
JG Malliarakis
Apostilles
- Édition papier datée du 26 mars.
- Rapport de la cour des comptes d'avril page 98.
- Ibid.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de nos chroniques sur le site de Lumière 101 → Version vocale du jour
Les 5 dernières chroniques : •"Obama et la guerre" Officiellement, c'est à Paris le 19 mars et non à Washington qu'a été prise la décision de mener contre la dictature libyenne des opérations de guerre. Officiellement encore, c'est à Londres (...) → Texte et notes → Version vocale
• "Variations sur un débat millénaire" Une partie de la classe politique avait prétendu fixer au 5 avril un débat sur la laïcité, qu'on croyait elle-même figée depuis la loi de 1905. Dérision de ce rendez-vous. Puis (...) → Texte et notes → Version vocale
• "La mélenchonisation des esprits" Largement dépourvues d'intérêt en elles-mêmes, préparées par une campagne parfaitement creuse, les élections cantonales des récentes ides de mars ont néanmoins permis de mesurer un certain nombre de tendances. Sondages pour de vrai, elles fournissent certaines indications, pas nécessairement justes d'ailleurs, sur les évolutions de l'opinion.(...) → Texte et notes → Version vocale
• "Le choix britannique de la concurrence fiscale" Certains suggèrent que, sortant de l'euro, certains pays pourraient tout à leur aise revenir aux bonnes vieilles pratiques de la planche à billets et de la dévaluation.(...) → Texte et notes → Version vocale
• "La guerre son commencement et sa mémoire" Les historiens, plus quelques bricoleurs de mémoire se préoccupent, en ce printemps, d'évoquer le 70e anniversaire du retournement de l'Allemagne en 1941 contre son alliée soviétique.(...) → Texte et notes → Version vocale
• "Siegfried, Homère et la colère des dieux" Dans le monde actuel, l'Europe ne se connaît pas beaucoup de vrais pays amis. Le Japon faisait partie, et il se comptera encore demain, du petit nombre. (...) → Texte et notes → Version vocale
Puisque vous avez aimé l'Insolent Aidez-le par une contribution financière !
Les commentaires récents