L'Italie en revanche ne bénéficie ni de la même cote de sympathie, ni du même traitement. Le ministre de l'Intérieur de Rome Roberto Maroni, est accusé tranquillement d'appartenir à "l'extrême droite raciste". (2) Il avait en effet osé évoquer la possibilité d'un déploiement de policiers italiens afin d'enrayer la vague d'immigration sauvage qui frappe son pays : 5 000 clandestins arrivés à Lampedusa en cinq jours. Son idée fut jugée "inacceptable" par le porte-parole du gouvernement tunisien.
Incapable d'appliquer la convention destinée à lutter contre le trafic des êtres humains, le merveilleux pouvoir tiers-mondiste réputé démocratique de l'après Ben Ali, se permet donc de mettre en accusation ses interlocuteurs européens.
Précisons pourtant que les passeurs qui assurent l'émigration illégale de leurs compatriotes et les débarquent sur l'île de souveraineté italienne située à 138 km des côtes tunisiennes ne se montrent pas désintéressés du tout. Ils encaissent par unité de "coke en stock" entre 2 000 à 2 500 dinars soit entre 1 000 et 1 300 euros. (3)
On assure également que leurs clients affirment fuir un "pays à la dérive".
On a pu demeurer quelque peu prostré, sinon indifférent au charme de cette prise de pouvoir par les militaires en Tunisie et en Égypte.
Il faut en revanche admirer les gens, en effet, qui dès le 14 janvier savaient, à l'avance, tous les bienfaits que ces changements de régimes allaient immédiatement et inéluctablement apporter.
Un mois jour pour jour après la chute de Ben Ali on peut mesurer la beauté de leurs prophéties.
Imperméable à leurs prospectives si heureuses, le [méchant] gouvernement italien a proclamé le 12 février l'état d'urgence. L'Italie avait demandé le 10 février, l'aide de l'Union européenne et "le déploiement immédiat d'une mission Frontex d'interception et de patrouille au large des côtes de Tunisie pour le contrôle des flux", mettant en garde contre le risque d'une "crise humanitaire".
Ce 14 février Catherine Ashton débarquait enfin à Tunis en tant que chef de la diplomatie européenne. Elle avait été précédée de Guido Westerwell, venu promettre e le 12 à Tunis un "soutien concret" de l'Allemagne pour aider à la transition démocratique. Or, avait-il prévenu, "la Tunisie a entamé un mouvement de liberté et de libération, il est important qu'il ne soit pas seulement irréversible mais qu'il soit façonné d'une manière réussie". (4) Son homologue britannique Willian Hague avait également insisté le 8 pour que les élections se déroulent cette année de "manière libre, transparente et démocratique".
Beaucoup plus prosaïquement, le ministre italien de l'Intérieur déplore :
"Nous sommes seuls. L'Europe ne fait rien. Je suis très préoccupé. J'ai demandé l'intervention urgente de l'Union européenne parce que le Maghreb est en train d'exploser. Il s'agit d'un tremblement de terre institutionnel et politique qui risque d'avoir une impact dévastateur dans toute l'Europe, d'un bout à l'autre du continent en passant par l'Italie" (5)Or le ministre Maroni se trouve confronté à une directive communautaire, vieille de 15 jours, tendant à paralyser l'arrestation des clandestins par les forces de l'ordre.
"J'en pense, déclare-t-il toute le mal possible. Je suis effondré d'une telle approche bureaucratique."(6)On peut quand même s'étonner de l'illusion naïve de ceux qui croient possible de passer en quelques jours d'un régime dictatorial à des normes juridiques anglo-saxonnes. Sans se départir d'une juste admiration pour les institutions britanniques et le peuple anglais on rappellera que c'est une très long processus, étalé de 1603 à 1688, qui a permis à nos amis d'outre Manche, au cours du XVIIe siècle, au terme d'une guerre civile, de deux révolutions et d'un changement de dynastie (7) de créer le modèle qui prévaut aujourd'hui dans quelque 20 ou 30 démocraties véritables dans un monde dominé, par ailleurs, par l'existence de quelque 150 dictatures. Ce système parlementaire imparfait, le pire de tous assurément, à l'exception de tous les autres, ne s'installe pas en huit jours. En attendant on peut craindre que, votant avec leurs pieds, des centaines de milliers de Tunisiens et d'Égyptiens souhaitent fuir le paradis démocratique que chantent à l'unisson nos journalistes, nos radioteurs et autres enfumeurs.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. déclaration de M. Taïeb Baccouche porte-parole du Ministère des Affaires étrangères tunisiennes, rapportée par l'AFP le 13 février 2011 à 22 h 55
- cf. la déclaration du même personnage à la télévision Al-Arabiya.
- cf. déclarations à l'AFP de Hassin Betaieb, représentant de la centrale UGTT
- AFP du 12 février 2011 à 23h20
- Déclaration sur TG 5 le 13 février.
- cf. dépêche ANSA du 13 février
- cf. "Les Deux révolutions d'Angleterre".
sur le site de Lumière 101
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