On pourrait commencer par deux aspects. Certains les jugeront anecdotiques. L'essentiel du projet en cours aboutira matériellement à multiplier par trois les frais que les établissements d'enseignement supérieur pourront facturer aux étudiants en Grande Bretagne.
Mais d'abord, question non négligeable dans son principe, la disposition centrale s'appliquera à la seule Angleterre. Elle fonctionnera de manière différente pour les universités des autres parties du Royaume-Uni, l'Écosse, le pays de Galles et l'Ulster. Le parlement de Belfast votera un texte à part. Les étudiants gallois poursuivant leurs études à Londres, Oxford ou Manchester payeront même peut-être des tarifs distincts.
On évoquera aussi de regrettables incidents, très probablement fortuits. Ils sont survenus, le jour même du vote des Communes le 9 décembre à Londres à l'encontre du Prince de Galles. Ils ont permis à quelque 500 manifestants gauchistes d'entourer la Rolls Royce princière et d'horrifier, manifestement, la malheureuse Camilla, duchesse de Cornouailles. Les quotidiens londoniens en faisaient leur première page le 10 décembre. On a publié des photos, certes très attristantes, de l'atmosphère à l'intérieur du véhicule. Ces clichés ont fait le tour du monde.
Autour de ce pénible événement, très choquant pour le profond civisme britannique, les commentaires se sont accumulés. Faut-il s'étonner de les compter plus nombreux peut-être que les précisions à propos de la réforme des droits universitaires et de l'éclatement du groupe parlementaire libdem, lors du vote le même jour. La fusion de 1988 du vieux parti whig et de la dissidence "sociale démocrate" du parti travailliste pourrait bientôt éprouver de fortes difficultés à surmonter cette crise. Rappelons que son appoint demeure indispensable au gouvernement conservateur de David Cameron.
De plus, le texte de la loi, voté par les Communes, risque fort de se heurter à l'opposition des Lords, appelés à se prononcer à leur tour. La théorie constitutionnaliste à la française, selon laquelle le passage à la chambre haute se réduit à une consultation de pure forme reçoit, une fois de plus, un cinglant démenti. La situation peut paraître paradoxale pour les bons esprits qui se représentent la vieille assemblée de Westminster aux sièges rouges, comme un bastion de propriétaires fonciers et de privilégiés anachroniques. La réalité se présente de manière toute autre.
Mal présenté à une partie de l'opinion, totalement déformé sur le continent, le projet tend à liquider une fois pour toutes l'illusion d'études supérieures "gratuites" et par conséquent "accessibles à tous".
En termes financiers les étudiants anglais pourront en effet être amenés à débourser jusqu'à 9 000 livres par an, soit environ 13 000 euros pour recevoir leurs cours. En diminuant de 4,2 milliards de livres sterling, soit environ 6 milliards d'euros, la part des universités autonomes dans le budget de l'État britannique ce financement de leurs études par les étudiants aboutit à la privatisation complète du système.
Or ces sommes considérables pourront être remboursables par les diplômés, sur une durée de 30 ans, à concurrence 9 des leurs revenus, au-delà d'un certain montant. Ce montage, très simple dans l'esprit des banquiers dépasse peut-être l'entendement ordinaire prêté par les rédacteurs aux lecteurs du Monde ou de Libération.
Et il s'écarte radicalement de la culture civique actuellement dominante en Europe et tout particulièrement en France.
À celle-ci il est répondu que "les études supérieures ne sont pas un droit mais un privilège" (1).
Notons à ce sujet un argument assez révélateur développé par les conservateurs. Il consiste à évoquer des situations et des évolutions allant dans le même sens au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Australie, et bien entendu aux États-Unis, tout en remarquant, chiffres à l'appui, que ce type de système favorisait paradoxalement la circulation des élites. Dans la pratique l'accès aux diplômes les plus élevés des milieux les plus défavorisés y progresse. Et de citer des chiffres, presque convaincants. On imagine en France la réaction du camarade Mélanchon.
Croisés Trafalgar square, les manifestants donnaient surtout l'impression de très jeunes gens, plutôt des lycéens, encadrés par des mouvements gauchistes en ébullition, mais encore balbutiants. À leur sujet, le chef des libéraux-démocrates Nick Clegg, vice premier ministre du gouvernement actuel déclarait : "les étudiants vivent dans un monde de rêve". (2)
L'intéressé en sait quelque chose. Le scrutin de mai 2010 a permis à son parti d'obtenir 57 députés à la chambre des Communes avec 23 % des suffrages. Après son éclipse historique de 1935, et un demi-siècle de marginalité autour de 10 à 20 sièges, il était réapparu au-dessus de 50 élus en 2001. Désormais il est revenu comme force de gouvernement. Or, pendant la campagne électorale du printemps son chef de file s'était affiché aux côtés de syndicalistes étudiants. Et il leur avait naturellement promis de ne pas augmenter droits d'inscription et frais de scolarité. Ceux-ci avaient été substantiellement augmentés sous l'effet de mesures prises par le New Labour de Tony Blair. Rappelons qu'en Grande Bretagne l'organisation considérée est supposée représenter non pas l'extrême gauche mais 95 % des étudiants.
Mais alors pourquoi cette brutale application d'un tel revirement par le pacte de gouvernement scellé entre "tories" et "libdems" au lendemain des élections ?
Et pourquoi cette maladroite précipitation ?
Tout simplement parce que les finances du Royaume-Uni ont atteint et dépassé la cote d'alerte.
Il ne s'agit pas des "critères" d'ailleurs eux-mêmes laxistes fixés par le traité négocié à Maastricht en 1991, remodelés par le texte d'Amsterdam de 1997 et jamais appliqués.
Il ne s'agit pas de la "zone euro" tant décriée, puisque Londres s'en est tenue à l'écart.
Il s'agit de la plus élémentaire arithmétique budgétaire.
Le déficit d'État britannique dépasse 11 % de son produit intérieur brut. Les crises "grecque", "irlandaise", "portugaise" ou autres ne font figures que de minuscules hors d'œuvre. Les marchés financiers auxquels on recourt toujours, en les dénigrant d'autant plus vigoureusement, ne peuvent plus accorder leur confiance aux paniers percés de l'État Providence.
Redisons d'ailleurs à ce sujet une fois de plus que le calcul sur la base du PIB dissimule les vraies proportions du gouffre : 10 % du produit intérieur, cela représente un pourcentage beaucoup plus élevé des dépenses publiques, et par définition une part plus lourde encore des recettes fiscales de l'État. (3)
Les souverainistes français devraient donc réfléchir à ceci. La diminution de la dépense publique constitue la même priorité, avec les mêmes conséquences, qu'elle soit exprimées en euros ou en livres sterling. Elle s'imposera rapidement à hauteur d'au moins 30 %. Ceci qui amènera à de nombreuses situations de privatisations radicales et inévitables. Et d'ailleurs celles-ci se révéleront bénéfiques, si elles sont conduites intelligemment, tant pour les usagers que pour les contribuables. Ni la Grande Bretagne ni la France ne sont encore sous la tutelle du FMI. Certes, la gauche parisienne et l'opinion sondagière semblent souhaiter confier la régence de l'État à son directeur actuel. Mais, sous une forme ou sous une autre, à Londres comme à Paris la rigueur s'imposera.
JG Malliarakis
Apostilles
- Lu dans le Guardian le 10 décembre.
- Gros titre de l'Evening Standard du 9 décembre.
- Cf. à ce sujet l'excellent petit livre "Faillite de la France ?" de Philippe Herlin ed. Eyrolles, que nous évoquerons bientôt.
Deux livres pour comprendre les institutions britanniques
"Coningsby" par Benjamin Disraëli...
Coningsby par Benjamin Disraëli : Oui ! La direction secrète de l’Europe ! Quelle position ! Mais à quoi bon multiplier les exemples ? L’histoire des héros est l’histoire même de la jeunesse. — Ah ! dit Coningsby, je voudrais être un grand homme ! Paru en 1844, ce récit, sous un agréable habillage romanesque, décrit la re-fondation d’une véritable droite en Angleterre, après le bouleversement considérable introduit par la Réforme électorale de 1832. Au travers du personnage de Coningsby, dans lequel les contemporains identifiaient aisément l'animateur de la Jeune Angleterre [George Smythe], l’auteur exprime la volonté politique des jeunes conservateurs. — L’époque présente ne croit pas aux grands hommes parce qu’elle n’en possède pas. Pourtant l’esprit d’une époque est précisément ce qu’un grand homme peut changer. (...) ••• Un livre de 574 pages 29 euros, port compris, à commander sur le site des Éditions du Trident.
"Les Deux révolutions d'Angleterre" par Edmond Sayous.
Le public français ne dispose trop souvent sur l'Histoire de nos voisins d'outre-Manche que d'informations parcellaires, schématiquement fausses et caricaturales. Le livre très vivant d'Edmond Sayous restitue le XVIIe siècle anglais dans toute sa richesse fondatrice. Il met l'accent sur les questions et les doctrines religieuses et politiques, mais aussi sur l'essor scientifique, les mathématiques, la physique, la pensée expérimentale. Les noms de Hobbes et Milton d'un côté, de Bacon, de Halley ou de Newton de l'autre ne restent pas isolés. Or, le peuple anglais a conquis ses libertés de haute lutte au cours de ses Deux Révolutions qui se sont échelonnées au cours du XVIIe siècle. La première, violente, ressemblait à celle de nos horribles jacobins. Cromwell, sa religiosité en plus, préfigurait Robespierre. La seconde leur apporta une liberté que le peuple français n'a hélas jamais su stabiliser. ••• Un livre de 226 pages au prix de 20 euros ••• à commander sur le site des Éditions du Trident.
L'achat d'une automobile n'est ni un droit, ni un privilège. Le fait qui peut. Il en va de même des études supérieures. Mais, dans les deux cas, on peut recourir au crédit. On peut aussi soulager financièrement les étudiants les plus prometteurs. Au moyen de bourses, par exemple. Sous la dynastie mandchoue, cela faisait partie des "charges vides", comme on appelait les emplois fictifs, qui étaient parfaitement officiels.
Rédigé par : Pirée | jeudi 16 déc 2010 à 14:56
Mais que font-ils de notre fric??? Je ne leur laisserai jamais le porte-monnaie de ma petite sœur, ils sont vraiment trop nuls...
Rédigé par : minvielle | vendredi 17 déc 2010 à 12:31
Ne jamais oublier, qu'avant Thatcher l'Angleterre était sous tutelle du FMI. Une humiliation que les dirigeants britanniques ont toujours en mémoire.
Amitiés
Rédigé par : Patrick L. | lundi 20 déc 2010 à 13:23
C'est pourquoi l'on veut très tardivement voter une Règle d'Or budgétaire gravée dans la Constitution. Encore faudra t-il s'y tenir, alors que la notion d'équilibre comptable n'est pas vraiment un objectif très populaire par les sacrifices qu'elle implique.
En 2008, Le Nouvel Economiste constatait déjà qu'un enfant de cadres sur quatre sera ouvrier.
- Eric MAURIN. La peur du déclassement. Seuil
- aux PUF/Que sais-je?:
Pierre MULLER. Les politiques publiques et d'Antoine GISCARD D'ESTAING. La gestion publique
- Repères/La Découverte:
Bernard PERRET. L'évaluation des politiques publiques et d'Antoine BOZIO- Julien GRENET. Economie des politiques publiques.
- Institut des Politiques Publiques IPP.EU
- CONTEXTE.COM Politiques française et européenne
Rédigé par : Coriolan | vendredi 26 déc 2014 à 16:01