Contre cette aliénation de l'identité nationale s'organiseront clandestinement, sur une base initiatique, des mouvements d'inspiration plus ou moins taoïstes, les Triades, mais aussi le Lotus blanc, aux racines plus anciennes etc. (1)
Du point de vue de la culture universelle, on ne peut qu'approuver rétrospectivement leur aspiration. Elle se reflète d'ailleurs, aujourd'hui encore, et quoique d'une manière discrète, généralement à peine perceptible pour les occidentaux, dans les meilleures productions du cinéma qui nous vient d'Extrême-Orient. Au bout du compte les derniers conquérants asiatiques de l'Empire du milieu lui ont imposé une terrible stagnation culturelle, ce qui ne les empêcha pas, d'ailleurs, d'agrandir considérablement le territoire du pays.
Quiconque a visité, par exemple, le joli petit musée de Shanghaï et s'est intéressé à l'étage du mobilier a pu remarquer la beauté des pièces antérieure à 1644, et leur finesse en comparaison de la lourdeur et du mauvais goût de la période suivante (1644-1911).
Si l'on descend à l'étage de la peinture, on constate qu'elle reste encore mal mise en valeur. On doit noter pourtant que celle-ci était considérée par les classiques comme l'art national par excellence. Elle prend pratiquement fin avec le XVIIe siècle. À peine est-il mentionné la présence de deux ou trois, je ne me souviens plus exactement, œuvres du plus grand peintre de l'Empire du milieu. désigné sous le nom de "Moine citrouille amère" (2), il s'agit d'un prince de la dernière dynastie nationale. Sauvé et élevé par un monastère bouddhiste on le connaît en occident sous son surnoM de Shi-tao (3).
Cependant après la double catastrophe subie par ce grand pays au XIXe siècle, c'est-à-dire la révolte des Taï-ping (1851-1864) et les guerres de l'opium (1839-1842 puis 1856-1860), le patriotisme chinois des sociétés secrètes s'investira un peu moins dans la lutte contre la dynastie usurpatrice et un peu plus contre la domination étrangère des puissances européennes et du Japon.
On appellera cela, dès lors : "xénophobie." En grec ce mot veut dire : crainte des étrangers.
À partir de 1919, sous l'influence des étudiants de l'université de Pékin on remplacera le mot par celui de nationalisme. Cela développera le parti de Sun Yat-sen lui-même cadre de la triade des Trois-Harmonies etc… Mais ce parti, le Kouo-min-tang fondé en 1912 formait officiellement la suite des mystérieuses organisations anti-mandchoues.
En 1920, sous l'influence de Radek, le Komintern avait lancé au congrès de Bakou, le concept de soutien à la révolte des peuples de l'orient. Cette stratégie de la Troisième internationale faisait suite à l'échec des tentatives de révolution en Europe centrale. Pendant quelques temps, jusqu'en 1927, il deviendra donc politiquement correct même en occident d'admirer aussi le nationalisme turc de Mustafa Kemal, principal bénéficiaire, et première délégation au congrès de Bakou, mais aussi le nationalisme indien du parti du Congrès et bientôt le Baas dans les pays arabes. Tous ces partis et tous ces régimes opprimaient sauvagement les partis communistes locaux, ils pouvaient pratiquer une politique jugée rétrograde par les intellectuels de gauche, mais ils luttaient au plan stratégique contre ce que les Soviétiques appelaient l'impérialisme occidental.
Secret bien gardé du XXe siècle, de la même boîte de Pandore était sorti à la même époque le soutien des bolcheviks à la Reichswehr (1922 traité de Rapallo) et, au bout du compte, la participation à l'ascension du national-socialisme. En 1931, d'ailleurs Staline assigne comme principal danger , pour les peuples du monde, l'impérialisme français et comme premier ennemi, pour parti communiste allemand, la social-démocratie.
Le critère est retenu non seulement par les soviétiques mais aussi, en définitive, par la gauche la plus intelligente du monde.
Il existe donc, aux yeux des bonnes consciences, un nationalisme progressiste, chez les autres. Il s'agit de celui qui s'alliait à l'URSS sur la scène internationale. Ceci, répétons le, s'évaluait indépendamment de son propre régime intérieur. Ainsi Mustafa Kemal pouvait pendre les dirigeants communistes turcs le jour où il signait un traité avec Moscou.
Quand De Gaulle visita Staline en décembre 1944 pour sceller une "belle et bonne alliance", il ne comprit pas la suggestion du dictateur soviétique de mettre en prison les apparatchiks Du PCF. Deux mois plus tard à la Conférence de Yalta, en février 1945, le maître du Kremlin en avait tiré les conclusions : "la France restera, dira-t-il à ses interlocuteurs anglais et américains, un pays charmant mais faible. "
Revenons donc à la Chine. Lors de la révolte de Boxers de 1899-1901 on assista à l'instrumentalisation par le régime mandchou et par l'impératrice Tseu-hi des "Poings de justice". Le front commun contre les diables étrangers se mettait en route.
Dans la mesure même où le communisme de Mao Tsé-toung prit victorieusement le relais du nationalisme de Tchang Kaï-chek en 1949, l'idée même de liberté va sembler incompatible avec la dérive sanglante de Pékin, au moins pendant 30 ans.
Or, depuis le retour en force de Deng Xiao-ping à la fin des années 1970, après la mort de l'abominable "Grand Timonier" (1976), ce même pays, tout en se proclamant officiellement continuateur du maoïsme, a fait d'une certaine forme d'initiative économique, restreinte pour le moment aux profits des gros industriels proches des pouvoirs militaires locaux, l'instrument de sa puissance. Cette part de libre entreprise explique l'ascension actuelle.
En comparaison des échecs et des mutilations de la période précédente, on observe quand même ainsi quel épanouissement national peut résulter d'une alliance de la liberté et de l'idée de patrie, dès lors qu'un peuple n'est plus menacé par les étrangers.
Cette leçon tirée de l'histoire d'un pays situé à l'autre bout du monde (4) pourrait bien s'appliquer à d'autres. On serait tenté de la recommander fortement à tous ceux, et à toutes celles, qui voudraient sincèrement relever leur pays.
. ApostillesJG Malliarakis
- On peut consultera, mais avec beaucoup de précautions, le petit livre de François Chesneaux ("Les sociétés secrètes chinoises" coll. Archives/Julliard). Cet auteur communiste enseignait dans ma jeunesse rue Saint-Guillaume. Il a inculqué à plusieurs générations d'étudiants des idées qui font hélas encore autorité à Paris. Je reconnais qu'il m'a fallu des années pour m'en remettre.
- Les "Propos sur la peinture du Moine Citrouille amère" ont été traduites par le grand sinisant belge Pierre Ryckmans (qui signa Simon Leys ses incontournables "Essais sur la Chine" rassemblés dans la collection Bouquins)
- François Cheng aujourd'hui académicien français a consacré à "Shitao (1642-1707) : La Saveur du monde" un très bel album en 1998, qu'on doit recommander, plutôt dans sa version cartonnée d'origine, à toute personne désireuse de s'initier à la culture chinoise. Sa fille, la philosophe de formation française, Anne Cheng a consacré à "l'Histoire de la Pensée chinoise" un remarquable manuel qui démente la plupart des clichés habituellement répandus par les faux lettrés occidentaux.
- Pour comprendre les ressorts spécifiques de cette histoire nationale je recommande une fois de plus ici les excellents ouvrages de Xavier Walter, et notamment son "Pékin Terminus" (FX de Guibert éditeur).
Vient de paraître : L'Histoire du communisme avant Marx les lecteurs de L’Insolent peuvent commander directement "L'Histoire du communisme avant Marx par Alfred Sudre, un livre de 459 pages au prix franco de port de 25 euros.
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L'apogée du mobilier chinois se situe certes au milieu du XVII° siècle, mais le XVIII° siècle est encore estimable.Beurdeley a voulu réhabiliter le Tao Kouang. En revanche, l'ameublement chinois est devenu Napoléon III sous Napoléon III. En porcelaine, l'apogée appartient au début de l'ère Ts'ing. Les prémices d'un affaiblissement, pas encore d'une décadence, apparaîssent à la fin du règne de K'ien-long.
Rédigé par : Pirée | mercredi 17 nov 2010 à 12:57
Mr Malliarakis ,
Vous êtes un des rares analystes qui évoque les accords secrets de Rapallo , et je vous en félicite ; peu d'historiens se sont préoccupés de ces accords qui semblent avoir échappés aux regards des diplomates de la Conférence de Gène en 1920 ; or ils permirent à l'Allemagne vaincue de réconstituer et former son encadrement militaire , d'expérimenter ses nouveaux armements , d'entraîner ses aviateurs... tout ceci à l'insu des alliés et au profit des soviétiques , et qui de proche en proche avait créé un climat de confiance entre Staline et Hitler tel qu'il rendit possible l'accord en 1939 entre Ribbentrop et Molotof ; rares ou inexistants furent les historiens qui évoquèrent les conséquence du bon fonctionnement de la confiance et de l'admiration que Staline portait à Hitler qui fut dans de nombreux domaines son imitateur ; à Nuremberg comme en France cryptocommuniste , personne ne s'interrogea sur l'origine des balles para-bellum qui furent employées à Katyn !
Bien cordialement : Jean-François Dufour
Rédigé par : Jean-François DUFOUR | mercredi 17 nov 2010 à 17:28
NB à propos de mon commentaire sur Rappallo : j'ai bien voulu dire que ce fut Staline qui admirait Hitler au point que Staline cherchait à l'imiter dans de nombreux domaines .
Avec mes excuses pour cette ambiguïté dans mon texte . Jean-François Dufour
Rédigé par : Jean-François DUFOUR | mercredi 17 nov 2010 à 17:32