On annonce pour imminent le changement au sein de l'équipe gouvernementale. Au-delà de ce feuilleton, on aimerait apprendre que certaines options se trouveront redressées. Prenons l'exemple des choix de politique internationale. Ce 8 novembre au matin, sur RTL le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner était interrogé par Jean-Michel Apathie. Pénible confrontation. Habituellement plutôt astucieux, très politicien, le journaliste montrait en cette occasion précise les limites de son propre exercice. Son interlocuteur chercha d'ailleurs à le sauver de son désastre en lui décochant un conseil aussi charitable que judicieux : "ne soyez pas lourdingue".
En gros, une seule chose semble préoccuper les gazetiers. Elle relève, depuis des semaines, d'une cuisine républicaine strictement intérieure : quand aurait lieu le remaniement ministériel ? Le titulaire actuel du portefeuille a-t-il, en prévision, par désaccord ou par lassitude, donné par avance sa démission ? La rumeur propagée (1) d'une lettre adressée cet été doit-elle être prise pour argent comptant ? etc.
Dois-je dire à quel point un tel questionnement me semble à la fois superficiel et peu digne d'intérêt ? Tout le monde a compris, et l'intéressé l'a souligné dès 2007, que les conceptions personnelles, un peu désincarnées, du chef nominal du Quai d'Orsay, ne prévalent pas nécessairement et en toutes circonstances, face à certaines pesanteurs d'État.
Au nombre de celles-ci figurent certes les pratiques gouvernementales de la Ve république. En 1959, un congrès du parti gaulliste a fait prévaloir l'interprétation selon laquelle la diplomatie faisait partie d'un domaine réservé, non prévu par le texte constitutionnel, mais qui entra dès lors dans la tradition. Les 3 cohabitations en ont confirmé l'usage. L'actuelle "hyperprésidence" comme on l'appelle ne l'a évidemment pas démenti. L'architecture de l'action extérieure de l'État passe évidemment par l'Élysée. Elle tient compte aussi du rôle de maître d'œuvre, auprès du chef de l'État, de Jean-David Levitte, ancien ambassadeur à Washington.
Cela, même les observateurs les plus obtus le comprennent. La véritable question se pose dès lors, au-delà des personnes elles-mêmes, en termes d'orientation de cette diplomatie.
S'agissant des personnes nous avons cru pouvoir parler (2) de la dérision attachée à un certain concept Kouchner. La faute en revient en très grande partie à la construction de son image par lui-même. On se le rappelait déchargeant des sacs de riz en Somalie à l'usage trop repérable des caméras. Certains avaient déploré son action vers l'indépendance du Kossovo. Il s'était faufilé au milieu de quelque 18 autorités juridiques différentes tournant les résolutions de l'ONU qui l'avaient fait procurateur. Il semblait agir au profit de ce projet d'une sorte d'Internationale pro-musulmane qu'on appelle par convention "Eurabia" (3).
Tous ces souvenirs avaient laissé chez bon nombre de citoyens une assez mauvaise impression : l'ancien militant communiste, désormais confortablement recyclé, passait dès lors pour une sorte d'instrument cosmétique de la gouvernance mondiale.
Par la suite, on doit reconnaître qu'entre le nouveau ministre et les réticences et conservatismes de son administration, on ne peut pas soutenir que celle-ci ait représenté ni le bon droit, ni même l'intérêt national.
On a souvent reculé devant les absurdités du traitement purement "humanitariste" des questions. Cependant demain, il restera à définir comment Paris pose les grandes lignes de sa politique étrangère.
Parmi les critiques que suscite l'action des appareils humanitaires, quand ils s'investissent dans la politique concrète la plus sérieuse s'interroge sur leur choix bien-pensant. Il se révèle le plus souvent arbitraire : tel camp devient "bon", tel autre est supposé "méchant".
En toute honnêteté, malgré tout, la question sérieuse ne se pose pas de savoir quels pays doivent être tenus, aujourd'hui comme hier, pour respirables : aucun pays occidental ne peut ignorer, en gros, certains critères de base. Reste que, dans le détail, une certaine mauvaise foi s'introduit pour en faire l'objet de choix strictement prédéterminés et hypocrites.
La préparation du G20 va, d'ailleurs, dans les semaines à venir, focaliser toutes les attentions. Elle conduit explicitement à un renversement d'attitude vis-à-vis de la Chine. On la considère comme porte-parole des pays émergents aux côtés du Brésil, de l'Inde et de la Russie, mais aussi de la Turquie et de l'Indonésie, un bloc totalement hétéroclite en réalité.
D'autres considérations vont hélas dans le même sens. Elles sont liées au financement des déficits français par le marché financier international (4). Or les pays prêteurs se recrutent en très grande partie entre la banque centrale de Chine et les détenteurs de pétrodollars. Ne parlons même pas du grand commerce des armes et des transferts de technologie. Rappelons que le président actuel avait annoncé, il y a 3 ans : "Je ne passerai jamais sous silence les atteintes aux Droits de l’Homme au nom de nos intérêts économiques. Je défendrai les Droits de l’Homme partout où ils sont méconnus ou menacés et je les mettrai au service de la défense des droits des femmes." Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer.
On est donc passé des excès droits-de-l'hommistes aux faux calculs les plus cyniques et les plus sordides.
Contrairement même à ce qu'elle prétend la diplomatique française, à l'inverse de sa vieille rivale britannique, n'a jamais su penser ses propres objectifs à long terme. Dans aucun dossier depuis plus de 200 ans, les dirigeants parisiens n'ont jamais vraiment clarifié les ambitions d'un pays qu'ils ont pratiquement engagé pourtant, dans tous les conflits.
Le véritable problème de demain, consisterait à rompre avec cette surprenante frivolité.
Au soir du 6 mai 2007, on a entendu, dans l'euphorie de sa victoire, le nouvel élu proclamer par exemple que la France, et son armée singulièrement petite pourtant, agirait désormais comme une sorte de "SOS femmes battues" à l'échelle mondiale. Personne n'a pris cela au sérieux.
En revanche on doit se demander jusqu'où la tendance à privilégier les liens d'affaires avec les dictatures les plus ignobles et les régimes les plus corrompus correspond à une vision saine de l'intérêt des nations, et particulièrement celui de la France et de l'Europe.
Les transferts de technologie coûteront d'autant plus cher qu'ils seront opérés au profit de pays pratiquant la contrefaçon sur une grande échelle.
Entre ces deux extrêmes revenons au bon sens. Cessons de vendre des winchesters aux Indiens, et la France retrouvera une part de sa dignité.
JG Malliarakis
Apostilles
- Le 6 octobre, le Nouvel Observateur publiait un texte en date du 25 août.
- cf. L'Insolent du 18 mai 2007 lorsqu'il entra au gouvernement
- sur ce concept, à la suite du livre de Bat Ye'or, il conviendra de revenir
- rappelons que 70% des produits du Trésor public français sont souscrits par des opérateurs étrangers.
Vient de paraître : L'Histoire du communisme avant Marx les lecteurs de L’Insolent peuvent commander directement "L'Histoire du communisme avant Marx par Alfred Sudre, un livre de 459 pages au prix franco de port de 25 euros.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de notre chronique
sur le site de Lumière 101
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Un oeil attentif sur les faits et gestes de Kouchner depuis des années, voire des décennies, verrait en effet sa proximité avec cette idée d'"islam modéré", qui ne semble être qu'un paravent de la "mondialisation heureuse". Kouchner est proche de cette frange des néo-conservateurs (Perle, Wolfowitz, Kagan), souvent d'anciens démocrates d'ailleurs, qui ont favorisé l'"islamisme modéré" pseudo-"démocratique" au détriment de régimes réputés "militaristes" et "autoritaires", tout en poursuivant des buts géopolitiques classiques (obsédant Brzezinski) de "containment" des deux puissances continentales que sont la Russie et dans une moindre mesure la Chine. Il n'est pas anodin que Kouchner soit de longue date étroitement mêlé à l'activisme kurde en Irak, mais aussi en Iran et en Turquie (se joignant au militantisme de Danielle Mitterrand) : il a entretenu des liens d'intimité avec les deux leaders séparatistes kurdes Talabani (Irak) et Ghassemlou (Iran). A son poste actuel de ministre, il ne manque pas d'afficher sa proximité avec la mouvance chiite Amal (qualifiant l'Imam Sadr de "maître") et avec le "néo-ottomaniste" Davutoglu (son "ami", dit-il), l'"islamisme modéré" ayant sans doute pour lui l'avantage d'être plus "coulant" que le stato-nationalisme séculier s'agissant de l'agitation kurde. Les Kurdes occupent une haute place dans la vision de Kouchner comme dans celle des néo-conservateurs, musulmans non-arabes (médiatiquement décrits comme "modérés" et "oppressés") par ailleurs liés aux services secrets israéliens depuis au moins les années 70. On est tenté de s'interroger sur l'étendue de l'influence qu'il a pu avoir sur le président Mitterrand : je pense surtout aux dossiers kurdo-irakien (création onusienne d'une "zone de protection" dans le nord de l'Irak) et algérien (critique française de l'interruption du processus électoral).
Rédigé par : I. K. | mercredi 10 nov 2010 à 21:59