Au moment où ces lignes sont écrites la France sort à peine d'une sorte de crise, ou de psychodrame, autour de ce qu'on appelle "la" réforme des retraites. Elle a pu enregistrer le 6 novembre, la défaite des syndicats, pourtant unanimes à défiler pour la 8e fois. Trop de manifs ont tué la manif.
Le pays va donc entrer maintenant dans un nouveau cas de conscience autour de la remise en cause, par un amendement parlementaire, de l'Aide médicale d'État. Ces deux affaires découlent directement d'ailleurs du système social de l'hexagone si souvent décrit comme le meilleur du monde.
Lorsque l'auteur de cette chronique avait commencé à travailler sur les questions de sécurité sociale (1) et sur le syndicalisme, la plupart des intellectuels et des militants de droite qu'il fréquentait alors lui faisaient part de leur condescendance, ou, pour les plus aimables d'entre eux, de leur ironie. Quelle importance les retraites ? Quelle importance le décalage entre les travailleurs indépendants, interdits de parole et surtaxés, et les bénéficiaires régimes spéciaux ? Quelle importance l'assurance maladie ?
Et puis, après un quart de siècle de cette obscure spécialisation, et quelque dix années de travail à temps plein sur le sujet, on peut quand même se demander, si, finalement, ces points de détail, auxquels on s'était si imprudemment attaché, ne contiennent pas une part d'importance.
Avec l'A-M-E, nous nous trouvons en présence du paradigme ultime de notre système de redistribution. Nous arrivons au bout de l'aberration économique. Ce financement, par des pouvoirs administratifs très généreux de l'argent des autres, s'opère aux frais du travail des Français.
La petite réforme proposée du système en question ne vient ni du gouvernement, ni encore moins des technocrates de Bercy.
La question se pose aussi, nous dira-t-on : Faut-il, en étant supposé faire plaisir aux électeurs d'un parti innommable, s'exposer à perdre son âme ? Ici ce mot recouvre un acronyme, celui de l'A-M-E. aide médicale d'État.
Rappelons, de manière succincte, le dispositif et ce que le vote de l'assemblée modifie de son fonctionnement et de son évolution.
Cette aide d'État offre une couverture médicale gratuite aux étrangers en situation irrégulière. Les seules conditions, très mal contrôlées, supposent que leurs ressources ne dépassent pas 634 euros mensuels. Quelque 215 000 personne en ont bénéficié en 2009. Le coût en a été estimé pour 2010 à 540 millions d'euros, mais cette enveloppe sera largement dépassée. Le rythme de progression est trois à quatre fois supérieures à celui des dépenses de santé de tout le pays : + 13 % en 2009 et encore + 17 % au début de cette année. Cela dure depuis plusieurs années. Cela ne peut plus continuer.
En 2003 et en 2007, l'Inspection générale des affaires sociales et l'Inspection générale des finances avaient émis des recommandations. Les pouvoirs publics les ont suivies de manière très lente et très partielle. Ainsi a-t-il fallu plusieurs années pour que les attestations d'A-M-E deviennent moins falsifiables, qu'elles comportent la photo du bénéficiaire, et qu'elles soient, enfin, plastifiées.
Deux visions vont donc s'affronter.
Dans son intervention du 2 novembre à la tribune de l'Assemblée nationale, M. Dominique Tian, député des Bouches-du-Rhône constate (2):
"l’AME est devenue, au fil des années, parfaitement inégalitaire, puisqu’elle donne plus de droits à un étranger en situation irrégulière qu’à un étranger en situation régulière ou à un Français qui cotise à la sécurité sociale. C’est inadmissible. Les bénéficiaires de l’AME sont, en effet, dispensés de l’avance des frais et choisissent librement leurs prestataires. Ils ont également droit au tiers payant intégral et ils sont remboursés à 100 %, alors que le travailleur relevant du régime de base de la sécurité sociale n’est pris en charge qu’à hauteur de 70 %.
Enfin, le système est l’objet de nombreuses fraudes. Pour aller à l’essentiel, je me limiterai à citer le rapport annuel de performances présenté au Parlement [mission 183, indicateur 2.2] relatif au contrôle de l’aide médicale d’État en 2009. Ainsi, au cours de contrôles effectués en 2009 auprès de 106 caisses primaires d’assurance maladie sur 5 % de dossiers de bénéficiaires de l’AME, le taux d’erreur est de 49,86 % pour, c’est-à-dire qu’un dossier sur deux instruit par les caisses d’assurance maladie est faux, parce que mal rempli. C’est inquiétant. À cet égard, les institutions internationales nous donnent une leçon. En effet, l’ONU a mis en garde l’État français à plusieurs reprises, en insistant, notamment, sur le trafic de subutex (2), lequel est extrêmement développé. Sa source est souvent la CMU ou l’AME."
Après un débat subtil, où intervinrent à la fois, pour la droite, l'initiateur de l'affaire M. Dominique Tian, puis M. Claude Goasguen et enfin Mme Bachelot de petites restrictions furent finalement agréées, notamment un droit d'entrée des bénéficiaires de l'A-M-E à concurrence de 30 euros. Cette somme est jugée considérable par les grandes consciences de gauche.
En face de cela en effet le groupe socialiste oppose les réticences de la commission des affaires sociales. Or, ce sont les contraintes économiques qui ont amené à ce vote dans le cadre de dispositions budgétaires, avec l'agrément de la commission compétente, celle des Finances.
Tout ce qu'accomplit actuellement le pouvoir semble d'ailleurs déterminé par la difficulté des finances publiques, la nécessité d'emprunter à l'étranger pour boucler les fins de mois.
Le quotidien "Le Monde", dans son édition du 2 novembre induit, à notre avis, ceux qui le lisent et le suivent en erreur. Le journal parisien de référence, présentant ce vote comme "restrictif", en date l'origine du débat sur la loi d'Éric Besson relative à l'immigration. Le sous-entendu évident consiste à nous faire croire que la majorité parlementaire et le gouvernement sont motivés par une certaine forme de xénophobie, de racisme, de stigmatisation, voire de "haine de l'Autre". Les grands mots ne coûtent pas cher : pourquoi s'en priver.
En réalité, plus modestement, cet amendement a été déposé et accepté (3) dans le cadre du vote sur la loi de finances pour 2011. Il complète d'un article 986 E le code général des impôts. Rien à voir avec la nationalité.
Au moment du plan de Constantine de 1959, je me souviens de l'enthousiasme avec lequel une partie de notre génération avait accueilli ce discours qui se terminait par la péroraison fameuse : "comme c'est grand ! comme c'est généreux la France !". La suite des événements se révéla moins glorieuse.
Le socialisme s'écroule comme un château de cartes quand soufflent les vents de l'économie.
Et la France amoindrie et appauvrie d'aujourd'hui ne saurait donc ouvrir son vaste cœur aux dimensions désormais réduites de sa pauvre tirelire.
JG Malliarakis
Apostilles
- Au milieu des années 1980 pour le compte du CDCA. J'ai réalisé pendant une dizaine d'années son "bulletin quotidien" et son mensuel "Le Légitime" essentiellement consacrés aux débats sur la protection sociale, grande faucheuse des petites entreprises.
- Ce substitut légal est délivré aux héroïnomanes sur ordonnance dans les pharmacies.
- L'amendement N° II–11 était présenté par M. Tian, M. Mariani, M. Delatte, M. Aboud, Mme Boyer, Mme Dalloz, M. Door, Mme Gallez, M. Lefrand, M. Luca, M. Morange, M. Perrut, Mme Poletti et M. Leonetti. Il fut adopté comme article additionnel après l'article 86 de la loi de finances pour 2011 n° 2824.
Vient de paraître : L'Histoire du communisme avant Marx les lecteurs de L’Insolent peuvent commander directement "L'Histoire du communisme avant Marx par Alfred Sudre, un livre de 459 pages au prix franco de port de 25 euros.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de notre chronique
sur le site de Lumière 101
Les décideurs que nous subissons me font penser à ces cadres supérieurs qui vous invitent ci et là sur note de frais sans motif commercial. Ils manifestent ainsi leur importance à compte d'autrui, leur entreprise. Quand arrive le premier jour de leur retraite et la fin des notes de frais, ils sont perdus et retournent dans leurs doigts une carte bleue toute neuve qui va leur déchirer le compte joint !
L'irresponsabilité du pouvoir est patente, quasiment statutaire, l'emblème de l'Etat n'est-il pas la Semeuse ? Toucher à l'AME est entamer "l'importance" des ministères.
Rédigé par : Catoneo | mardi 09 nov 2010 à 12:06
A quand un budget en équilibre pour la SS ?
Il ne faut pas oublier que les 35h ont complétement déstabilisé les hôpitaux.
Les médicaments ne représentent que 17% de l'assurance maladie et 4% de la SS. Toutes les mesurettes prises sur les médicaments n'auront aucun effet.
Dire que nous avons la meilleure SS du monde me semble une gigantesque farce. Si on prend par exemple le nombre de centres susceptibles de prendre en charge les AVC: 17 en France, 40 en Allemagne...
Rédigé par : jjw1 | mardi 09 nov 2010 à 14:23