L'incident de cette soirée au Palais-Bourbon est venu du fait du jeune Baroin. Les députés avaient osé voter 39 amendements qui disconvenaient aux calculs opérés par les technocrates de Bercy, dont cette apparence de ministre répercute les oukases.
Ici, sur le principe, on doit bien distinguer deux choses, d'ordres bien différents.
La première ne doit rien aux accords européens, et à la limitation des déficits, politique désirée par la commission de Bruxelles et la banque centrale de Francfort. La constitution de 1958 tendait à imposer l'équilibre des finances publiques par le jeu de l'article 40, dans son esprit. En empêchant les députés d'adopter des dépenses, sans qu'ils prévoient des recettes ou des économies correspondantes, on pensait pourvoir à la mise en ordre des comptes.
"Les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique." Voilà ce que proclame l'article 40 de la Constitution du 4 octobre 1958
Malheureusement cette disposition s'est révélée aisément contournable. On propose traditionnellement de renchérir la taxe sur le tabac.
Et, à l'usage, ce léger frein n'a pas suffi à bloquer la machine, à partir de 1968. De la sorte, et depuis 30 ans les comptes de l'État ont pris l'eau. Les administrations publiques se trouvent non seulement surendettées mais également submergées par les conséquences annualisées de leurs engagements, qu'on pourrait qualifier de "hors bilan" dans une comptabilité commerciale. Les charges à long terme qui en résultent n'ont jamais été évaluées. Ainsi, les guichets sociaux, mais aussi les subventions aux institutions de forme associative, les dotations aux collectivités territoriales, les soutiens aux entreprises étatiques, les compensations d'exonérations, développent autant de cancers financiers publics. Et de cette hypothèque de l'avenir on se refuse à considérer l'agrégat, et moins encore le poids prévisionnel.
Des garanties ont souvent été données à la légère. Les bénéficiaires devraient cesser de les prendre pour argent comptant. La crédibilité de l'État central parisien s'en trouve donc durablement atteinte.
À cet égard, l'intervention d'une tête à claques comme le petit Baroin pêche, sur ce point, par sa faiblesse plus que par son autoritarisme.
De vraies réformes doivent être envisagées sur ce terrain. D'abord, il conviendrait une fois pour toutes de renforcer l'article 40. On doit définitivement poser, vulgairement et brutalement, que l'État central parisien ne saurait légalement s'engager à des dépenses supérieures à ses recettes, qu'il doit en aller de même pour l'ensemble des collectivités locales, ainsi que des autres administrations publiques. Là aussi, l'euro ne nous paraît pas trop rigoureux mais trop laxiste.
En revanche, une deuxième considération s'impose : une fois admise cette règle, qui devrait être coulée dans la Constitution, il doit être rappelé à nos ministricules qu'ils détiennent seulement le pouvoir exécutif.
La loi dans une démocratie ne procède pas des désirs de l'administration. Elle exprime la volonté de la nation par l'effet du vote des représentants des citoyens et contribuables. Et cela commence par la loi de finances.
La protestation contre les verrouillages de l'outrecuidant Barroin ne sont pas spécialement venus de l'opposition mais de la majorité elle-même. Gilles Carrez, pilier de l'UMP, constate ainsi : "Je suis rapporteur du Budget depuis 2002. C'est la première fois que nous avons une seconde délibération remettant en cause autant de votes de notre Assemblée". François Sauvadet proteste également en tant que président du groupe Nouveau centre "membre de la majorité". Enfin au nom du groupe socialiste M. Pierre-Alain Muet, nullement inhibé par son patronyme, s'écriait : "Nous avons consacré des heures et des heures à débattre de sujets importants. Que fait le gouvernement ? Il remet tout en cause. C'est un mépris du Parlement". (2)
Un autre incident significatif était intervenu, le 15 septembre. Il s'est produit lors du passage en première lecture du projet Woerth-Fillon. Pour accélérer la discussion, le président de l'Assemblée Accoyer décida de passer à un vote bloqué. Or, et le règlement et l'esprit de la Constitution imposent dans cette circonstance que tous les députés qui le désirent puissent alors s'exprimer pour exposer leurs explications de votes. 16 orateurs étaient inscrits, y compris des gens qui allaient voter la loi mais qui tenaient à faire part de leurs réserves. Ce point ne doit pas être négligé car il permet aussi de sortir du vote strictement binaire qu'adorent les tenants de la tradition bonapartiste. On doit se prononcer, selon leurs injonctions, ou "pour" ou "contre" ce qu'ils appellent "la" réforme. "Je ne veux voir qu'une seule tête, silence dans les rangs", tel demeure le mot d'ordre de leur caporalisme. Et le toutou Accoyer imposa le silence. Il ordonna dès lors de passer à un vote sans phrases, dans la plus pure tradition du Corps législatif napoléonien.
Un député de droite, M. Daniel Garrigue développa donc une protestation véhémente contre cette manière anticonstitutionnelle de procéder. Ceci fut alors instrumentalisé par la gauche. Ayrault soutenu par les parlementaires socialistes en profita pour mettre une bonne fois en cause la personne, ou plutôt l'attitude systématique, du président de l'Assemblée nationale. Il demanda sa démission dans des termes qui donnèrent à penser un moment que l'on s'acheminerait vers une crise. En réalité la manœuvre consistait pour la gauche de l'Assemblée à se braquer sur des points de procédure. Ceci lui éviter de se prononcer sur le fond du texte lui-même. Fâcheusement destiné à sauver, rappelons-le, la retraite dite "par répartition", il va globalement dans le sens du "socialisme sans les socialistes". (cf. Pareto)
Avouons, au sujet du petit garde-chiourme du Palais Bourbon, qu'il suscite un manque total d'objectivité. S'agissant de mesurer l'estime qu'inspire ce falot personnage, le mètre étalon ne fonctionne guère. Depuis plusieurs années il s'identifie aisément à cette phalange de médecins, et assimilés, qui monopolisent le débat sur la sécurité sociale dans son ensemble. Les lecteurs de Georges Lane (3) ont certainement intériorisé le fait que cette institution para-étatique ne se résume pas à l'assurance-maladie. Et d'ailleurs même cette dernière ne s'analyse pas seulement du point de vue de la santé publique. On supposera courtoisement que le corps médical peut contribuer à cette dernière mission.
Pourquoi donc, sinon par l'effet d'une arrogance corporatiste incroyable, des gens qui n'ont aucune compétence particulière en matière juridique ou économique s'appliquent-ils à présider de la sorte à des décisions d'ensemble dont l'impact leur échappe ?
On ne les a guère entendus, par exemple, sur le terrain de l'absence de tout budget autonome de la Santé, même quand ils occupent le ministère du même nom. On ne les a jamais su mobilisés contre la domestication de plus en plus angoissante de l'exercice de leur propre métier.
Professionnels détachés de la paupérisation de leurs confrères, on ne s'étonnera pas de leur noble indifférence quant à l'avenir des petites entreprises étranglées par les charges.
Méfiance totale par conséquent face à leur intervention.
Et puis Accoyer, personnellement, avec ses cheveux si bien coiffés et ses petits costumes bien coupés, mérite une mention particulière pour son excellence à manier la brosse à reluire. Voilà bien un élu godillot comme on a toujours pu les apprécier.
On lit avec enchantement sa fiche Wikipedia. Né en 1945, fils d'un pharmacien militaire. Dans sa jeunesse, à l'âge où d'autres ne connaissent que Tintin, il se passionne, lui, pour Léonard de Vinci. Son engagement viendra plus tard. "Appelé par Pierre Mazeaud, [une valeur sûre, celui-là, de la lutte antialcoolique], il entre dans la vie politique en 1989. [Cela nous change des gaullistes de 1940 à Londres, ou des gens "qui entrent en politique comme on entre en religion."] Il est alors élu maire d'Annecy-le-Vieux en Haute-Savoie, où il possède un garage [une forme d'enracinement comme une autre], en battant le député UDF et maire sortant Jean Brocard." Quel courage de se confronter ainsi avec un centriste dans une circonscription qui vote à droite !
Plus loin : "Activités en tant que maire : Cette section est vide [...]"
Que ne se précipite-t-il pas pour nous annoncer les grandes choses réalisées au profit de ses concitoyens ? Que sais-je ? Il doit bien se trouver quelque chose : des plans sociaux qu'il a fait subventionner, des églises transformées en garages, des maternités qu'il a fermées, etc. Internautes amis d'Accoyer, à vos claviers.
Voilà donc l'insignifiant ectoplasme dont l'UMP a fait un président de l'Assemblée. Jamais, depuis un demi-siècle de Ve république, le parlement n'était tombé aussi bas. Au moins, quand le haineux Laignel lançait aux opposants de droite son fameux : "vous avez juridiquement tort puisque vous êtes minoritaires", il exprimait, si fâcheuse fût-elle, l'existence d'une majorité.
Dépassé par la situation, et rappelé au règlement par M. Daniel Garrigue, il avait donc décidé irrégulièrement de clore tout débat. Le constat affirmé par le député de la Dordogne tombait sans appel : "Vous êtes sortis du domaine du droit, vous êtes entrés dans le domaine de l’arbitraire" le 15 septembre 2010. C'est bien l'impunité d'une telle attitude autiste qui pose problème.
En d'autres temps, au XVIIe siècle, des parlementaires de Westminster avaient déclaré à leur souverain :
"Si quelqu'un vous a dit que les rois d'Angleterre ont le pouvoir absolu, Votre Majesté a été mal informée. Ils ne peuvent légiférer dans les matières spirituelles, et, en ce qui touche le temporel, ils doivent agir en accord avec le Parlement. Nous avons négligé de nous occuper de ces questions pendant les dernières années de la feue reine, mais nous voulons aujourd'hui affirmer notre droit." (4)L'avertissement était adressé en 1604 à Jacques Ier. Pour n'en avoir pas su tenir compte, ses successeurs mais aussi également le peuple anglais, durent faire face à une guerre civile, un régicide, une république, une dictature, pour aboutir enfin en 1688 à ce que la Grande Bretagne considère comme sa Glorieuse Révolution. Ces épreuves en effet la transformèrent en une démocratie parlementaire.
Les technocrates qui nous gouvernent de façon si arrogante et en même temps si frivole gagneraient sans doute méditer sur cette expérience. Pas plus que les Stuarts, ils ne daigneront probablement y consentir.
. ApostillesJG Malliarakis
- cf. dépêche AFP 18 novembre 2010 00 h 49
- cf. déclarations diffusées sur RTL le 18 novembre à 8 h 30
- cf. Son livre sur "La sécurité sociale et comment s'en sortir".
- cf. Edmond Sayous "Les Deux Révolutions d'Angleterre"p. 48.
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« le chien de garde Accoyer imposa le silence »
Je préférais quand vous nous parliez de sa « jolie coiffure de caniche docile et bien peigné », ça rendait mieux le personnage.Pur avis personnel.
Petite réponse
Vous avez raison. Je vais donc dire : le "toutou Accoyer". On pourrait écrire aussi : le serre-file. Chien de garde a un côté trop viril, trop abrupt pour ce courtisan.
Rédigé par : Le Cri du Contribuable | lundi 22 nov 2010 à 17:37