En dehors de l'extrême gauche et des cercles les plus cyniques du pouvoir actuel, qui en porteraient une part de responsabilité, personne ne peut ni ne doit souhaiter une radicalisation de ce mouvement de protestation contre la réforme des retraites.
Cette affaire traîne en longueur. On doit mesurer ce que coûterait à tous les Français une seule vraie semaine de paralysie économique : à peu près l'équivalent de notre pauvre taux de croissance, sans aucun profit pour personne, et surtout pas pour les caisses de retraites. Ah, bien sûr, les confortables rémunérations des collaborateurs de M. Baroin n'en pâtiront pas.
Évidemment les gens du NPA n'exercent actuellement aucune prise sur l'événement du fait de leur audience propre. Mais par eux-mêmes ils savent ce que crier veut dire. Ils lancent donc cyniquement le mot d'ordre "Une seule solution : grève générale reconductible !" et s'appuient sur un certain nombre d'éléments (1) qui tiennent au bout du compte à la rotation des manifestants protestataires.
Citons une fois n'est pas coutume les amis de Besancenot :
"Le 2 octobre, beaucoup de nouveaux manifestants ont défilé dans plus de 200 villes sur tout le territoire. Les cortèges étaient différents de ceux des 7 et 23 septembre. Moins de salariés venus des grandes entreprises, mais plus de salariés de catégories et de métiers qui ne peuvent faire grève ou ne sont pas organisés, etc."Certes M. Soubie (2) qui affirmait péremptoirement le 8 octobre que la réforme serait définitivement adoptée le 23, peut bien dénoncer les "irresponsables". Il vise ceux qui ont inventé de lancer des lycéens, aussi minoritaires qu'incompétents sinon étrangers au dossier, dans la rue.
Les premières escarmouches de cette nouvelle agitation semblent n'avoir touché que quelque 300 établissements sur les 4 300 que compte l'Hexagone. Les premiers résultats devraient faire réfléchir : deux gamines brûlées en Haute-Savoie, un policier roué de coups à Saint-Quentin portent les premiers stigmates d'une lamentable violence.
Or au stade où les choses en arrivent on risque de créer durablement une situation où aucun gouvernement ne pourra procéder à la moindre réforme.
L'un des plus nets avantages des journées de grèves s'observe, dès l'aube, par l'écoute du flux radiophonique. Les chaînes d'État ne déversent plus leur forme grossière ou subtile de mensonge. Elles diffusent exclusivement cette inimitable musique d'aéroport à quoi on reconnaît leur qualité culturelle et qui permet de les identifier. On peut ainsi passer commodément à l'authentique expression de notre société de consommation qu'assure l'annonce publicitaire en alternance.
Sur RTL écouté un peu distraitement ce 12 octobre au matin, deux entretiens non négligeables méritaient quand même l'attention. Ils témoignaient de l'avenir préoccupant qui se dessine, au delà même du psychodrame entretenu autour de la pauvre réforme Woerth-Fillon.
D'abord, Jean-Marc Ayrault était poussé dans ses retranchements par Jean-Michel Apathie, à propos des manifestations extraparlementaires : "la rue fait-elle la loi" ? Puis José Bové se voyait interrogé par Yves Calvi s'agissant de ses actions illégales à répétition contre les OGM.
Les deux sujets ne se recoupaient pas. Je ne peux pas croire que ces deux journalistes de talent aient pu obéir à des consignes venant des annonceurs ou des centrales d'achat d'espace. Au contraire, c'est bien des propos de leurs deux interlocuteurs apparemment si différents, que l'on pouvait tirer des conclusions convergentes.
Le président des députés socialiste, souvent mieux inspiré, – lorsque par exemple il s'exprime, plutôt habilement, au long des débats de l'Assemblée nationale, –plaidait, presque contraint, pour le blocage du vote de la loi par des démonstrations de rue.
Quant à l'eurodéputé, il a incidemment soutenu la candidature d'une magistrate à la présidence de la république. (3) Mais paradoxalement il nargue la loi et la justice. Yves Calvi, comme Jean-Michel Apathie quelques minutes plus tôt, a cherché à lui faire comprendre que l'on ne peut pas impunément se croire et se dire au-dessus des lois. Malgré toute la qualité de l'homme de médiats, manifestement il n'est pas parvenu à convaincre son interlocuteur vedette de la Confédération paysanne, récidiviste de la violence.
Tout ce climat a probablement suscité un légitime rappel au bon sens de la part de François Hollande. (4) Son propos confirme l'irritation très nette que lui inspire, comme à tous ceux que nous appellerons socialo-centristes, – et à bien d'autres Français – la ligne actuelle d'un Mélenchon, aggravée par la "vulgarité" et les injures à l'encontre des journalistes. Il la met en symétrie avec l'attitude du pouvoir. Il s'écarte largement en cela de toute l'aile gauche de son parti celle que flatte Mme Aubry, celle qui s'exprime par la voix du porte-parole officiel le camarade Benoît Hamon au regard si vide et au raisonnement si creux.
On ne peut que partager un tel sentiment de malaise face au double blocage dans lequel est entré le pays, pas seulement de la faute de l'extrême gauche, mais aussi par la continuation de l'inguérissable autisme de nos technocrates.
Or, la France va avoir besoin de rétablir sa crédibilité internationale, très amoindrie, y compris sur le plan financier.
On conçoit aisément que ceux qui le savent manifestent plus que de la contrariété devant les jeux actuels.
La bipolarisation systématique est entretenue depuis un demi-siècle par notre constitution mal conçue, mal gérée et mal réformée. Elle ne cesse de produire ses dommages collatéraux. Il serait temps de prendre ce problème à bras-le-corps.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. Lettre d'information du NPA N° 45 du 11 octobre.
- cf. notre chronique du 19 juillet "L'homme de l'ombre des monopoles sociaux".
- Mme Eva Joly s'est d'ores et déjà mise en campagne pour Europe-Écologie. On doit rappeler à ce sujet que cette méthode de travail a déjà réussi à son parti au scrutin européen de juin 2009.
- cf. "Matinales" de Canal + de ce 12 octobre.
Jusqu'au 15 octobre les lecteurs de L’Insolent peuvent commander directement "L'Histoire du communisme" par Alfred Sudre, un livre de 459 pages proposé en souscription au prix franco de port de 18 euros. Il sera ultérieurement commercialisé au prix de 25 euros.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique
sur le site de Lumière 101
Dans un pays "normal", un problème comme celui des retraites, se règle par de longues discussions autour d'une table, assorties de simulations diverses fonction des hypothèses des participants. En aucun cas il n'y a de "négociation" car il n'y a pas 2 parties qui s'affrontent, mais un groupe de personnes (les salariés) qui gèrent au mieux leurs propres deniers.
Chez nous, on commence par faire une ligne de démarcation entre des "adversaires" qu'on invente. Cela permet de transformer la recherche d'une solution en match de foot.
Lamentable.
Rédigé par : Account Deleted | mercredi 13 oct 2010 à 11:05
Bonjour, l'expression "bipolarisation systématique" me chatouille le cortex cérébro-frontal, et ce de manière intelligente.
Ce que Barthes appelait le match de catch... l'un c'est le bon, l'ange blanc, et l'autre, le méchant, le bourreau de Béthune!
Ce dualisme pue... et pollue bien des systèmes de pensée, auxquels je m'oppose juste en existant presque tous les jours.
Le meurtre est philosophique, comme je disais depuis le début. Il y a donc bien un meurtrier dans cette histoire.
Rédigé par : minvielle | mercredi 13 oct 2010 à 15:33