Ce beau résultat a culminé à Lyon où l'on a comptabilisé environ 1 300 casseurs cagoulés regroupés dans le centre-ville pour mettre à sac la capitale des Gaules. Le bilan des saccages et la valeur des dégâts, pas encore évalués, marquent à l'évidence un nouveau tournant dans ces émeutes, qualifiées de guérilla urbaine.
Cela laisse de sérieux doutes quant à la prétendue approbation sondagière. Elle marque encore un recul certes, mais on la présente encore pour majoritaire à 59 %. Soulignons que la propagation médiatique de cette rumeur se base sur un sondage téléphonique réalisé
- la semaine précédente,
- avant ces violences
- et avant le début de la pénurie de carburant.
On s'éloigne ici, dira-t-on, de la démocratie représentative. Mais qui s'en préoccupe encore dans les médiats ? Quelle place accordent-ils à la retransmission ou à l'analyse des débats parlementaires ? Si la gauche a déposé 1 200 amendements au Sénat, peut-être souhaite-t-elle les évoquer ? Rappelons que dans cette assemblée l'UMP ne détient pas la majorité absolue. On finit par se demander si, dans ce qu'on nomme le mouvement social, la question de l'avenir des droits à pension intéresse plus que le désir de défier le pouvoir.
Poser ce genre de question conduit à y répondre. Et bien évidemment, dans le cortège parisien, compté officiellement encore à hauteur de 60 000 personnes, les aspirations réformistes de la CFDT ne rejoignent les motivations gauchistes de SUD et le suivisme de la CGT, que de manière tout à fait conjoncturelle. La réunion de l'intersyndicale de ce 21 octobre donnera la mesure de la lassitude des centrales modérées. Déjà la CFE-CGC semble en retrait et l'UNSA ne paraît pas bien flambarde.
Parmi les slogans de cette journée du 19 octobre, décernons d'ailleurs une palme au plus créatif et au plus sincère : "la retraite on s'en fout, on veut pas bosser du tout".
Ne mentionnons même pas l'irresponsabilité de Mme Royal qui avait encouragé par ses propos les gamins à se ruer dans la bagarre pour la retraite à 60 ans, qu'ils ne connaîtront eux-mêmes jamais. Attirer l'attention sur une telle vedette correspond exactement à ce qu'elle attend. Ne croyons pas que les "jeunes des banlieues" l'écoutent ou éprouvent le besoin de ses conseils.
L'attitude de la CGT pétrole, et celle de son coordonnateur, le camarade Charly Foulard, paraît plus problématique. Son organisation s'est en effet investie depuis le 5 octobre dans la paralysie quasi insurrectionnelle des raffineries.
Contrairement à ses camarades, opérant dans d'autres entreprises, Foulard se grise probablement des succès obtenus par son syndicat, sous sa conduite, cet hiver. Peut-être, lui ou ceux qui l'inspirent, confondent-ils les situations. Les bénéfices énormes du groupe "Total" rendaient indécente sa prétention de délocaliser la raffinerie des Flandres. Les dirigeants du gros trust pétrolier ont pu reculer, également, parce que la part salariale dans le chiffre d'affaires se révèle beaucoup plus faible dans le raffinage, que dans le chemin de fer par exemple. Ceci laisse une marge de man≈ìuvre importante à la négociation. Les actions coup de poing orchestrée et dirigée par ce "coordonnateur" de la CGT-pétrole ont "payé" dans ce contexte. Son homologue à la SNCF Didier Le Reste (1), est contraint au contraire à plus de réalisme dans l'analyse des capacités financières de ses interlocuteurs.
Les pertes abyssales de nos caisses de retraites ne s'inscrivent pas dans la même logique. On évalue dès maintenant à 10 % la part des pensions d'assurance vieillesse versées aux anciens cotisants par le biais d'emprunts émis chaque mois par la direction du Trésor sur les marchés financiers honnis de nos bons esprits. Les générations suivantes devront rembourser deux fois : on ne "répartit" même plus.
Quoiqu'ils en prétendent, les chefs syndicaux savent parfaitement, d'autre part, que, journée après journée, le taux de grévistes recule partout, comme le nombre de manifestants réels. Et cela se vérifie même dans les bastions le plus habitués au blocage de la vie des autres Français. Les études par sondages, qui ne reflètent que partiellement l'opinion véritable des citoyens, démontrent, elles aussi à méthode constante, un recul de la sympathie pour ce mouvement en pleine radicalisation.
Nous avons tenté de démonter (2) l'origine de la fable des 7 Français sur 10 "approuvant la mobilisation". Elle relevait dès le départ du bouteillon cégétiste ordinaire. Le mot d'ordre a été lancé le 1er octobre par cette bonne vieille "Huma" que l'on entend citer tous les jours comme représentative elle-même de la presse quotidienne nationale.
En fait une manière d'ébauche avait été publiée auparavant, début septembre. Elle démontrait que 73 % (3), à ce moment-là de la situation, rechignaient, plus ou moins. Mais sur les 73, très variables selon les tranches d'âges, très peu se préparaient à descendre dans la rue, et ils l'ont prouvé. On se rappellera que parmi les motivations des manifestants le rejet de certains aspects du pouvoir d'État compte au moins autant que celui du projet de loi.
Une minorité imaginait pouvoir échapper à la réforme, et 48 % considéraient que la gauche ne reviendrait pas sur cette mesure. Car alors, aucun dirigeant socialiste ou syndicaliste sérieux n'osait encore remettre en cause de front le déplacement des "bornes d'âge" de deux ans. Voilà la base de la rumeur des 7 Français sur 10, dont on a continué de se servir, en la remodelant par la "méthode des quotas" un mois plus tard.
Parmi les centrales la direction de Force ouvrière réclamait, seule, depuis le début, le retrait pur et simple du projet. Cette position reflète la formation commune à tous les lecteurs du "Foulan", livre bleu destiné à l'endoctrinement (4) de la secte trotskiste lambertiste. Celle-ci s'est emparée de FO dans le sillage et à l'époque de Blondel (1989-2004). Elle a renforcé son emprise sur la centrale depuis l'accession de Mailly au poste de secrétaire général.
Sa doctrine mérite l'attention. On me pardonnera, j'espère, d'en résumer le propos. Car elle professe, comme prémisse, qu'il faut, pour des raisons non élucidées, "détruire la société", postulat de base. Or, le meilleur moyen d'y parvenir consiste, au fond, à s'arquebouter sur la "défense des acquis". Ceci a inspiré l'action de FO dans les services publics notamment.
Mais aussi par surenchère, on en est arrivé à l'extension aux autres miettes de la représentativité syndicale (8 confédérations se partagent 7 % des salariés de notre pays) et à cette attitude de blocage conservateur, que le monde nous envie, et qui s'exerce assez efficacement à l'encontre de toute réforme.
Au XIXe siècle certes on ironisait déjà sur ce pays qui adore les révolutions mais déteste le changement. Au XXIe siècle le sourire se fige et fait place à la consternation.
Un rapport de force au sein de la gauche politique semble se formuler. La seule stratégie raisonnable a été préconisée par un Cohn-Bendit. En dépit, ou peut-être en raison de son passé d'agitateur soixante-huitard indiscutable, il suggérait à ses amis, socialistes, écolos, mélenchonistes et communistes ceci : s'unir, se réunir et dialoguer entre opposants au projet actuel pour savoir ce qu'ils proposeront pour l'échéance constitutionnelle de 2012.
Voilà au moins une doctrine responsable. Voilà qui pourrait se prévaloir du mot de démocratie. Voilà qui corrigerait une impression générale de plus en plus défavorable à l'opposition, du moins à terme, celle d'un combat douteux entre l'ordre et le désordre.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. L'Insolent du 7 octobre : "Le chef de la CGT du chemin de fer annonce la couleur".
- cf. L'Insolent du 15 octobre : "Les professionnels du bobard"
- sondage publié dans "20 minutes"et "France Info" le 9 septembre.
- "Introduction à l'étude du marxisme" par Pierre Foulan (Selio 1973). "Fou-lan" = Pierre Fou-geyrollas + Pierre Lam-bert.
Vient de paraître : L'Histoire du communisme avant Marx les lecteurs de L’Insolent peuvent commander directement "L'Histoire du communisme avant Marx" par Alfred Sudre, un livre de 459 pages au prix franco de port de 25 euros.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de notre chronique
sur le site de Lumière 101
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