Depuis quelque temps nous voyons réapparaître en France, dans des milieux fort différents, le thème du recours au référendum. Certains y voient, volontiers, une planche de salut pour une démocratie en crise. Il semble nécessaire de la situer dans son contexte avant d'en juger la pertinence.
Le 23 septembre, puis le 2 octobre, les hommes [et les femmes] politiques du parti socialiste se sont joints aux marcheurs des syndicats, pour sauver le droit de partir à la retraite à 60 ans.
À ce sujet une petite remarque s'impose. Si cette revendication avait été placée sous le signe de la liberté, on aurait pu les rejoindre sans arrière-pensée. En effet : il aurait suffi simplement que l'on demandât le droit de toucher une pension proportionnelle à ses cotisations, sans décote pénalisante. Cela existe dans de nombreux pays de l'Union européenne, comme dans les systèmes que l'on appelle par points. De tels mécanismes appartiennent au champ de la répartition : ils ont l'honnêteté de calculer chaque année la valeur du point de retraite et de laisser aux bénéficiaires le soin d'arbitrer entre la pension qu'ils souhaitent toucher et l'âge auquel ils décident d'en bénéficier, en toute connaissance de cause, y compris en fonction de situations familiales.
Or il doit être noté que pas un seul instant, la gauche hexagonale, la plus intelligente du monde, pour sûr, ne reprend à son compte, ni de près ni de loin, une formulation de ce genre. Elle la jugerait très certainement trop favorable à la liberté des individus. Dirigée par des énarques, elle s'accorde avec les technocrates d'en face pour ne prendre en considération que des solutions de contraintes, d'étatisme, de redistribution arbitraire et forcée.
Chez tous ces gens, l'esprit de dictature sommeille. Il se réveille dès qu'ils éprouvent le sentiment de s'appuyer sur une majorité des Français. L'illusion de se trouver en symbiose avec le peuple a été diffusée dans leur esprit le 2 octobre. On doit redire à ceux qui ont manqué le début (1) que cela est dû essentiellement à de faux sondages et de trompeurs comptages
L'ivresse de ce fallacieux rapport de forces fait dire dès lors n'importe quoi à certains dirigeants de la gauche.
On sait que M. Montebourg ne manque pas d'aplomb. Ses déclarations du 3 octobre l'ont encore démontré. Reproduisons le plus honnêtement possible l'essentiel de son propos :
"Puisqu'on a un gouvernement qui utilise les statistiques de la police pour minimiser la force du mouvement (...), je propose qu'il soumette son projet au référendum et là ce sera un vrai comptage ! On comptera les voix, on verra qui est pour et qui est contre". (2)
Il ose donc sur ce point se revendiquer de Mme Aubry, alors que celle-ci s'est démarquée du piège que lui tendait le [trop] subtil Jean-Michel Apathie (3). Elle ne se rallie pas à ce projet mis en avant par Mme Royal et par le "parti de gauche".
L'inégalable Mélenchon est d'ailleurs allé plus loin. Interrogé le 5 octobre sur les débats parlementaires, il a souligné le peu d'intérêt qu'il accorde à la démocratie représentative. Les élus, susceptibles de converger avec ses vues sur tel ou tel point, ne méritent même pas qu'on cherche à les convaincre. Selon lui "un centriste est toujours un être fourbe et faux qui trahit au moment où on a besoin de lui". La pente naturelle de l'idéologie bonapartiste l'amène à devenir, assez rapidement, "bolivarienne" comme on dit au Venezuela.
Il lui faut donc trancher sur les sujets en attendant de pouvoir couper les têtes. On n'admire jamais impunément Robespierre, Saint-Just et Gracchus Babeuf (4).
D'autres bons esprits, dans le camp adverse, voudraient bien, eux aussi, circonvenir par la procédure référendaire, la démocratie représentative. Ils jugent peut-être que celle-ci ne les a pas suffisamment gâtés au scrutin uninominal. Leur préférence se porte sur un système qui leur permette d'être nommés en position éligible, dans n'importe quel département, par un état-major parisien. Et, à défaut, ils se vengeraient par la procédure du plébiscite.
D'autres, désireux de faire barrage à une immigration excessive, rêvent des succès obtenus par la "votation" dans un pays comme la Suisse. Ils perdent peut-être de vue qu'il s'agit de la tradition politique de ce pays, sans doute un modèle à de nombreux égards, mais un modèle fédéraliste, ce qu'en général les tenants de la "démocratie directe à la française" exècrent.
Que ne militent-ils d'abord pour les libertés locales dans notre malheureux pays centralisé ! Dans la question des nomades, ils pourraient faire ainsi avancer des solutions de responsabilité. Contrairement à la loi Besson, celles-ci ne feraient pas de l'aménagement des terrains de campement une obligation non négociable pour les communes de plus de 5 000 habitants, mais l'objet d'accords contractuels.
Si l'on reste dans le registre de l'immigration, "unique objet de leurs ressentiments", nos plébiscitaires pourraient s'interroger sur ce qui se passe à l'étranger. Or la plupart des succès obtenus par les "populistes" sont plutôt intervenus dans le cadre d'élections classiques. Cela s'observe aussi bien au Danemark qu'en Italie du nord, aux Pays-Bas, en Autriche, en Suède etc. Certains véritables "populistes" réussissent en Europe. Ils s'inscrivent tous dans le cadre des traditions institutionnelles de leurs pays respectifs.
Martelons le fait. L'Union du centre de Blocher en Suisse ne fait aucunement exception, pas plus que notre voisine alpine n'échappe complètement au danger de mort qui plane sur toute notre famille de peuples. L'idéologie politiquement correcte règne d'ailleurs à Genève à peu près comme à Annecy. La résistance des compatriotes de Guillaume Tell se montre seulement plus intelligente et plus coriace dans les vieux cantons, parce que le sens profond des libertés ancestrales y demeure ineffaçable.
Au contraire en France il existe une fort longue lignée de "césarisme insurrectionnel". Elle remet systématiquement en cause les institutions et cherche à contourner le principe même de la démocratie représentative. Ce courant s'est incarné successivement :
- dans les deux bonapartismes, celui qui sombre à Leipzig puis à Waterloo comme celui qui se conclut à Sedan,
- puis dans le boulangisme dont le héros éponyme se suicidera sur la tombe de sa maîtresse,
- puis dans les ligues de l'entre-deux-guerres et leur antiparlementarisme aveugle et sommaire, incapables de s'unir.
- et enfin le gaullisme a donc repris ce flambeau, celui du parti de l'appel au peuple, militant contre le parlementarisme dès 1947.
La procédure référendaire est inscrite depuis 1958 dans une disposition constitutionnelle dont on doit mesurer l'esprit. Article 3 : "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum." Le dangereux balancement ne peut échapper à personne. L'article 11, réformé en 1995 et en 2008, en a peut-être changé les modalités ou étendu le domaine d'application. Le fond demeure identique, peut-être même plus pervers encore. On se souvient de la caricature de Daumier. Ne perdons pas de vue qu'il s'agissait du plébiscite de mai 1870, fort proche de la catastrophe survenue en septembre de la même année.
Qu'on me cite un seul exemple où cette façon de sommer les Français de répondre, en général sur des projets complexes, de manière binaire, par oui ou par non, se soit révélée pleinement profitable à ce pays. Et alors je voudrais bien reconsidérer la méfiance que m'inspire ce soi-disant populisme.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. sur les comptages et le sondage L'Insolent du 4 octobre.
- cf."Grand Rendez-vous Europe 1/Le Parisien-Aujourd'hui en France" dépêche AFP du 3 octobre à 12 h 42
- lire à ce sujet "Référendum sur les retraites : Aubry détourne à nouveau le regard" sur le Post du 23 septembre 2010 à 12 h 27 - mis à jour le 23 septembre à 16 h 01
- cf. Public Sénat
- cf. sur le communisme pendant la révolution française "Histoire du communisme" chapitre XIV.
Jusqu'au 15 octobre les lecteurs de L’Insolent peuvent commander directement "Histoire du communisme" par Alfred Sudre, un livre de 459 pages proposé en souscription au prix franco de port de 18 euros. Il sera ultérieurement commercialisé au prix de 25 euros.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique
sur le site de Lumière 101
Il y a lieu de distinguer entre le referendum sur initiative gouvernementale (un mot latin qui veut dire oui), et le referendum sur initiative populaire, par lequel, comme en Suisse, le peuple, entendu comme la somme arithmétique des personnes habiles à voter,
se prononce sur un texte. Dans le système représentatif, le peuple élit librement ceux qui décideront en son nom, mais à sa place.
Rédigé par : Pirée | mercredi 06 oct 2010 à 10:21
Soit dit en passant, il y a "Le referendum au point de vue économique" qu'on peut lire au chapitre XV de Pareto, V. (2008) "Le péril socialiste", éd. du Trident.
Rédigé par : G.L. | mercredi 06 oct 2010 à 19:18