Pas toujours facile de savoir respecter ses adversaires. Le camarade Didier Le Reste, chef de la CGT du chemin de fer français, et militant communiste, mérite en tout cas une mention pour son authenticité. Voilà au moins un ennemi déclaré du capitalisme.
Il ne s'agit pas d'une posture. Il déclare combattre ce que les marxistes, et quelques perroquets, appellent la mondialisation libérale.
Les auditeurs de France-Inter pensaient peut-être ce 7 octobre n'entendre qu'un syndicaliste parmi d'autres. Invité fugace de Patrick Cohen à 8 h 20 il devait s'exprimer 9 minutes sur 2 heures d'émission matinale. Sa principale particularité, sans doute, consistait à les menacer d'une galère de plusieurs jours dans les transports à partir du mardi suivant.
Secrétaire de la fédération des cheminots CGT il revendiquait, en 2005, 29 500 adhérents et 22 000 retraités. Effectifs à peu près inchangés paraît-il : un tour de force si on le compare à tous ses partenaires.
Avec celles du gaz et de l'électricité cette composante de la grève du 12 octobre joue évidemment un rôle central. Elle pousse à la montée d'un cran dans la contestation de la réforme des retraites.
Or, on ne doit pas s'en dissimuler la signification.
À Montreuil, au siège de la CGT, dans le bureau du camarade Le Reste, "l'effigie omniprésente de Che Guevara et un portrait dessiné de Benoît Frachon" (1) rappellent au visiteur qu'il se trouve en présence d'un représentant du "syndicalisme de lutte des classes et de mobilisation".
Il ne semble jamais avoir exprimé de réserves publiques, par ailleurs, quant à l'interdiction de la grève à Cuba par un certain Guevara ministre de l'Industrie. De manière probable, le bilan demeure à ses yeux, "globalement positif".
La biographie du personnage précise le trait. Elle ne laisse place, au fond, ni à l'indifférence ni à l'ambiguïté. Né en 1955, confié à l'Assistance Publique, maltraité par une première famille d'accueil, il sera recueilli par une famille paysanne du Morvan. Muni d'un CAP et un BEP de mécanique, il travaille à 17 ans dans une fonderie à Nevers. Il adhère alors au parti et à la CGT. Après son service militaire, il entre en 1976 comme contrôleur à la SNCF. Il ne cesse de gravir les échelons. En 2000, quand Thibault est élu à l'unanimité secrétaire général de la centrale stalinienne, il lui succède à la tête des cheminots cégétistes. À 55 ans, il arrive à la veille de sa propre retraite d'agent de maîtrise.
Cet homme a toujours montré sa fidélité à ses convictions et une grande rigueur personnelle. On le remarque même dans son apparence vestimentaire. Décrit comme "très dur" par ses adversaires, c'est-à-dire par tous ceux qui ne partagent pas son engagement, "très fiable" par ses camarades, il est considéré comme "très correct" par ses autres interlocuteurs.
Lors du référendum de 2005, il aurait imposé à son secrétaire général et prédécesseur d'engager les forces syndicales dans la campagne du Non à la Constitution européenne. On prétend même qu'un vote démocratique serait intervenu. À l'époque, on évoqua même un "différend Thibault-Le Reste" (2). Ne surestimons pas cette hypothèse (3), digne des vaines supputations de soviétologues d'hier, toujours prêts à préférer les "modérés" aux "durs". (4)
Jusqu'à preuve du contraire tous deux demeurent fidèles au vieux parti. L'un se veut simple militant dans une cellule du 12e arrondissement de Paris. L'autre n'a jamais fait connaître ni sa démission ni sa répudiation des crimes commis au nom du marxisme- léninisme.
Thibault a encore mis les choses au point lui-même :
"Il n'y a aucune ambiguïté de notre côté sur les objectifs et la démarche à suivre dans les rangs de la CGT. Ceux qui pensent pour se rassurer qu'il y aurait un problème de stratégie vont être démentis par les faits" (5).
La stratégie commune aux cégétistes, aux communistes, et au "parti de gauche", consiste à lier étroitement, et à combiner tactiquement, interventions politiques et syndicales. Le pur débat au sein du parlement ne les intéresse pas.
Il s'agit pour eux, à la fois, de donner à la grève un contenu idéologique et d'aligner la gauche sur la bureaucratie cégétiste. Celle-ci ne perd jamais une occasion de se montrer l'aile marchante de l'ensemble des centrales. Les 7 autres organisations seront gentiment associées dans l'arrêt de travail reconductible du 12 octobre aussi bien dans les chemins de fers, dans les transports urbains et dans le secteur de l'énergie. À remarquer une fois de plus que l'impact se concentre sur les ressortissants des régimes spéciaux. Depuis 1920, ceux-ci ont totalement retourné en leur faveur la situation sociale. La droite aime à y dénoncer des "privilèges". Mais en face la rhétorique cégétiste s'exerce à en saluer le caractère de "conquête", car "l'action syndicale ça paye".
Le parti communiste et le parti de gauche manifestaient ce 5 octobre. Le gratin syndicaliste se retrouvait sous la conduite de leurs deux chefs politiques, Pierre Laurent et Mélenchon devant le Sénat. L'ex trotskiste aux côtés du fils d'apparatchik stalinien, voilà un beau symbole de réconciliation. Le mur de Berlin n'est pas tombé en vain.
Venue en voisine et comparse d'un soir, Mme Aubry confirmait par sa présence qu'elle mise sur l'alliance socialo-communiste. Elle avalise des tactiques de harcèlement peu dignes d'un parti socialiste qu'on croyait définitivement reconverti lui-même à la social-démocratie. Ce rassemblement de quelques centaines d'activistes, 4 000 prétend la CGT (6), devant le Sénat visait en effet à l'intimidation de la Haute Assemblée, en faisant notamment pression sur son président Gérard Larcher.
Le règlement de cette assemblée en effet n'a pas subi la réforme du temps de parole, mise en place par le "grand républicain" Séguin à l'Assemblée Nationale (7). De la sorte socialistes et communistes vont se livrer à un tir de barrage oratoire parfaitement conforme aux traditions parlementaires. Cela devrait durer jusqu'au 20 octobre. Un tel délai pourrait permettre aussi de reconduire chaque matin lors des assemblées générales la grève des transports publics. La connivence socialo-communiste se retrouve ici jusqu'au nombre des amendements déposés par les deux groupes (8), pourtant de tailles fort inégales : 600 chacun, 1 200 au total.
L'irréparable bipolarisation semble se développer, à droite comme à gauche, dès maintenant, en vue du scrutin de 2012. Pas sûr qu'il s'agisse vraiment du bien de la France. .
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. Le Monde du 23 novembre 2005
- cf. entretien avec Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, publié par Le Parisien du 16 novembre 2005
- C'est elle qui permettra évidemment, après psychodrame, un arrangement. Le scénario le prévoit dans la deuxième quinzaine d'octobre, en lien avec le remaniement ministériel.
- À opposer ainsi les premiers aux seconds, l'occident s'est de la sorte toujours trompé sur ses adversaires. Il a favorisé le jeu de Staline contre Trotski. On continue en Afghanistan à chercher le contact avec d'imaginaires "talibans modérés".
- RTL le 7 octobre
- Ce nombre de manifestants donné par L'Humanité du 6 octobre est celui revendiqué par la CGT qui multiplie toujours par deux ou trois. Nous ne connaissons pas l'évaluation de la Préfecture de Police.
- Sur cette question, il peut paraître stupéfiant de penser qu'au moment de sa disparition, aucun des laudateurs du de cujus n'ait songé que ce "grand président de l'Assemblée nationale" (de 1993 à 1997), admirateur de Napoléon III, s'est précisément employé au cours de son mandat à museler un peu plus l'expression des députés.
- Les camarades de M. Melenchon siègent dans le groupe communiste CRC-SPG soit : "communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche", présidé par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sénateur communiste de Paris.
Jusqu'au 15 octobre les lecteurs de L'Insolent peuvent commander directement "L'Histoire du communisme" par Alfred Sudre, un livre de 459 pages proposé en souscription au prix franco de port de 18 euros. Il sera ultérieurement commercialisé au prix de 25 euros.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique
sur le site de Lumière 101
Cette critique, comme beaucoup d'autres me paraît totalement justifiée mais en système démocratique, il existe une constitution et des partis politiques... et une majorité !
Est-il possible de créer un parti qui ait envie et soit capable de corriger les monstruosités que vous dénoncez avec talent ?
Petite réponse
Si la question est de savoir à quel parti vont mes préférences, la réponse est que je n'appartiens personnellement à aucun parti politique et ne me situe que sur le terrain des idées, de [la recherche de] la vérité, des institutions. On peut se servir de mon travail dans des courants d'opinions apparemment fort éloignés et le courrier que je reçois, de gens très divers, me le confirme.
Rédigé par : Pierre HERVIEUX | jeudi 07 oct 2010 à 14:10