Ce système s'est baptisé lui-même "répartition". Dans ce contexte, les caisses n'investissent pas. Donc elles ne génèrent aucun revenu. Aussi ne peuvent-elles redistribuer que ce qu'elles perçoivent, déduction faite de leurs frais de fonctionnement.
Par conséquent, cette loi, qui ne change rien sur ce plan, ne pourra consister qu'en une rétraction des droits à pensions. La réduction se révélera inégale selon le degré de pression corporatiste de chaque groupe. Les professions indépendantes perdront certainement plus que les bénéficiaires des régimes spéciaux ultra-syndiqués et susceptibles de mouvements de blocages comme ceux des cheminots. Quand on évoque "la grève" du 12 octobre il s'agira d'abord d'un arrêt de travail dans les transports publics.
On voit reculer, d'étape en étape, le pouvoir sur certains points, manifestement prévus à l'avance. La question qui se pose se résume donc à ceci : quelle ligne de résistance ultime s'impose au gouvernement.
Or, la principale préoccupation des responsables de l'État central parisien a été explicitée. On la trouve sous la signature du rapporteur nominal du projet Woerth-Fillon au sein de l'Assemblée nationale. Voici donc ce que souligne à ce sujet le rapport Jacquat : "Faire sauter le tabou des 60 ans. La mesure-phare et emblématique de ce projet de loi est bien sûr le report de l'âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans et le report parallèle de 65 à 67 ans de l'âge du taux plein." (2)
Reculer sur cette décision de principe non négociable affolerait tous les observateurs sur les marchés financiers. Cela détériorerait la notation des emprunts de l'État français auprès des agences bien connues Moody's et Standard & Poors. Tant que celle-ci reste AAA les technocrates de Bercy pourront émettre des produits financiers d'État à 2,5 % nominal en dépit d'une érosion monétaire de 2 %, soit de l'argent gratuit, en empruntant à nouveau pour couvrir les échéances. On retrouve ici la grande folie financière que l'idéologie française a héritée du saint-simonisme au XIXe siècle.
Nos compatriotes vont donc pouvoir découvrir une à une les vraies conséquences de cette pseudo-réforme. Cela les éclairera sur la stérilité générale de tous les dispositifs administratifs contraignants.
Certains ont déjà évalué par exemple que la notion de "carrière complète" était remplie à l'âge de 67 ans par 86 % des hommes et seulement 44 % des femmes. Elle exclut donc, de fait, 14 % des Français et 56 % des Françaises du bénéfice de leur merveilleux système, le meilleur du monde pour sûr.
Mais cela ne les dispense aucunement de payer la CSG, ni demain tous les judicieux mécanismes que l'on rêve d'inventer pour financer le social autrement que par des cotisations taxant le travail, c'est-à-dire en faisant fuir, un peu plus le capital, et en appauvrissant encore la terre.
Reconnaissons au moins un mérite au chef actuel du gouvernement, M. Fillon annonce très poliment des choses inacceptables, au fond, pour ses propres alliés potentiels. Il sait leur dire non. Et on peut douter qu'il sache dire autre chose. Il ne remettra jamais en cause les décisions des technocrates, telles qu'elles ont été prises et lui ont été communiquées.
Ainsi, dès le 9 septembre, il avait fait savoir aux "partenaires sociaux qui gèrent l'assurance chômage", qu'ils "vont devoir intégrer", dans leur dispositif conventionnel [ce qu'on appelle par antiphrase] "la réforme des retraites".
Or, le déficit de l'Unedic est prévu à hauteur de 13 milliards fin 2011. Son vice-président issu des instances patronales M. Geoffroy Roux de Bézieux, préconise sans surprise des "mesures d'économies" et le "plafonnement des indemnités".
Dans un tel contexte, l'allongement, purement nominal et strictement contraint de l'âge technique de la retraite transformera d'éventuels retraités en chômeurs effectifs. Rudement bien joué de la part de nos technocrates !
De la sorte au fur et à mesure de la mise en place du nouveau système, les comptes à dormir debout de l'assurance-chômage s'en trouveront alourdis, à partir de 2015. Des estimations internes ont été adressées le 27 septembre aux administrateurs syndicalistes. Elles ont été diffusées discrètement le 28 septembre auprès des médiats qui, jusqu'ici s'en moquent.
Or la simulation arithmétique donne un accroissement de charges, et donc un découvert supplémentaire pour l'organisme Unedic, à concurrence de
- 200 millions d'euros pour l'année 2015, puis
- 420 millions d'euros pour l'année 2016,
- puis 440 millions d'euros pour l'année 2017. On arrive à
- 530 millions d'euros par an à l'horizon 2018. À partir de cette date, d'ailleurs, on sait que de toute façon une nouvelle réforme des caisses vieillesses devra, par ailleurs, intervenir. Et on appelle cela : "pérenniser le système". On l'avait déjà annoncé en 1993 et 2003. Le délai se raccourcit.
Les syndicats réformistes co gestionnaires du dispositif se trouvent ainsi frappés de plein fouet dans leur possibilité de s'accorder avec le pouvoir.
M. Laurent Berger au nom de la CFDT déclare : "Ce serait bien que le gouvernement ne reporte pas la charge de la réforme des retraites à l'Unedic, c'est le renvoi de la patate chaude. Faire des économies en allant les chercher dans la poche des autres, moi aussi j'en suis capable !".
Mme Gabrielle Simon de la CFTC : "le gouvernement nous piège en se défaussant sur les partenaires sociaux, auquel il est demandé de prendre des décisions très difficiles dans la future négociation d'assurance-chômage. … Nous ne voulons pas que cette réforme des retraites se traduise par une baisse des indemnisations chômage" (3).
Cette attitude de l'État central parisien ressemble fort à la politique qu'il mène aussi vis-à-vis des collectivités locales. À la fois il prétend contrôler, de plus en plus étroitement, leur liberté de mouvement sur le terrain financier. Et il se décharge sur elles de responsabilités coûteuses et inflationnistes, en particulier certaines dépenses d'aides sociales, fixées par la loi etc.
La prise en étau des interlocuteurs raisonnables peut sembler une tactique de Gribouille. Remarquons à ce sujet que l'expression est reprise par le secrétaire général de la CFDT.
Mais on peut aussi la mettre en parallèle avec la stratégie de l'appareil gaulliste : "entre les communistes et nous, il n'y a rien". (4)
Tout cela tendra donc à conférer à la CGT et au camarade Thibault le rôle central dans la fin de crise.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. Les Échos du 4 octobre. François Fillon en a accepté le principe le jour même sur M6.
- Rapport Jacquat N° 2270 cf. L'Insolent du 28 septembre.
- On attribue cette idée à Malraux, comme s'il s'agissait d'une boutade, d'un trait d'esprit. Elle aurait été prononcée en 1947 à l'époque où le RPF imaginait de monopoliser tout l'espace non-communiste. Elle semble plus généralement constitutive de l'action de De Gaulle lui-même, pour qui les communistes ne sont critiqués, au plus, à la même époque, celle où on le considère comme un rempart contre leur influence, que comme des "séparatistes".
Jusqu'au 15 octobre les lecteurs de L’Insolent peuvent commander directement "L'Histoire du communisme" par Alfred Sudre, un livre de 459 pages proposé en souscription au prix franco de port de 18 euros. Il sera ultérieurement commercialisé au prix de 25 euros.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique
sur le site de Lumière 101
Bonjour, Que le sénateur Larcher du roi veuille bien déjà considérer, encore un fois pour ma part, une redite, le travail clandestin dans la musique, et le spectacle, et déjà à Rambouillet.... après on parlera de rembourser les dettes et les bavures financières... non?
Rédigé par : Minvielle | mardi 05 oct 2010 à 12:05