On ne peut pas comprendre l'affrontement qui se déroule actuellement dans l'Hexagone sans se référer à la turbulence monétaire qui a secoué ces derniers mois le groupe de l'euro. Cette question menace encore l'ensemble de ce qu'on appelle, depuis les ravages de Jacques Delors, l'Union européenne.
Tout le débat tournait alors autour de la crise dite "grecque".
On ne saurait occulter plus longtemps ce qui se dissimule derrière ce paradigme.
Vu de loin, on a pu le caricaturer à gros traits, accablant le pays considéré de critiques souvent injustes et de calomnies récurrentes. Mais en fait c'est la faillite financière du prétendu modèle, à vrai dire du contre-modèle social français, qui obsédait, déjà, les esprits des gens informés. Et on se cristallise désormais, dans les cercles de la gouvernance internationale, autour du report technocratique, prévu par la réforme Fillon-Woerth, des bornes d'âges à 62 ans, et même 67 ans.
Or, on peut maintenant commencer à tirer les leçons de ce qui s'est déroulé à 3 000 km de Paris. Un an s'est écoulé depuis le changement politique très profond qui s'était produit à Athènes en octobre 2009. La déroute électorale subie par le parti de la Nouvelle République (1) ramenait au pouvoir, sous le drapeau du PASOK nominalement encore socialiste, l'héritier de la dynastie Papandréou. Contrairement à son père Andréas, volontiers démagogue et idéologue gauchisant, Georges appartient à la tendance modérée, sociale-démocrate, proche de Dominique Strauss-Kahn au sein de l'IS (2). Ce bon garçon, né en 1952 aux États-Unis exerce depuis 2006 la présidence de l'Internationale.
Dès son discours d'investiture il préconisa, chose exceptionnelle pour un chef de gouvernement élu par la gauche, une politique de rigueur financière. Il faut, déclara-t-il "changer ou sombrer". Excellente doctrine.
À ce moment, et probablement parmi les premiers nous avions indiqué que ce tournant, décisif pour l'avenir du sud-est européen au plan politique, allait poser rapidement la question de la réévaluation, par les marchés financiers, de ce qu'on appelle le risque souverain (3).
Les mesures drastiques prises pendant l'hiver et au printemps 2010, imposées certes par la rigueur des conditions d'emprunt, ont rendu un service immense à la Grèce.
Je persiste à le penser, contre toutes les sottises que j'ai pu lire, à droite comme à gauche, contre tous les clichés, tous les stéréotypes, toutes les mythologies.
Le peuple grec peut donc remercier tous ceux qui ont serré la vis à ses gouvernants, y compris ceux qui se sont crus autorisés à accabler une nation, laquelle, en toute objectivité, en vaut une autre. (4) Même les injures, même les sarcasmes, même la vulgarité, même l'ignorance, même les calomnies nous enseignent quelque chose. La lumière éclaire d'autant plus qu'elle ne nous réchauffe pas. Pays et culture quatre fois millénaires, la Grèce ne requiert, semble-t-il, ni compliments inutiles, ni faux amis. Elle sait abandonner aux Turcs cette stérile cohorte de courtisans.
Dès le printemps 2010, il est apparu que les nécessaires et parfois douloureuses mesures d'assainissement s'y accomplissaient avec l'assentiment global majoritaire du pays. La seule vraie critique portait et porte encore légitimement sur le sentiment que la population "paye pour les politiciens".
Aujourd'hui on peut constater que le déficit des comptes publics a été d'ores et déjà divisé par deux. La loi de finances pour l'exercice 2011 est évaluée à un solde négatif égal à 7 % du produit intérieur brut, contre presque 14 %. La performance calculée sous le contrôle de l'Union européenne et du Fonds monétaire international se révèle même meilleure que le cadrage initial de 7,7 %. Certes on peut et on doit considérer ces chiffres comme encore préoccupants, et toujours pénalisants, mais on revient de beaucoup plus loin. En comparaison, l'État central parisien prévoit actuellement, pour l'an prochain, un chiffrage équivalent à hauteur de 7,6 %.
Dès le 5 mars, on a pu comprendre que le virage était pris (5) en accord avec Berlin plus encore qu'avec Bruxelles.
Les difficultés du crédit et de la consommation ne doivent pas dissimuler un important rattrapage de compétitivité dans l'industrie et les services.
Avec quelque six mois de retard, un certain beuse s'est développé cet automne autour des investissements prévus par une compagnie maritime chinoise, décidés et annoncés depuis le printemps, dans le port du Pirée. On a évidemment communiqué, dans les feuilles parisiennes, de manière stupide et catastrophique comme s'il s'agissait d'une mauvaise nouvelle, d'une agression de "la Chine" contre l'Europe. En l'occurrence ce partenariat, essentiellement industriel et commercial, ne peut qu'apporter au pays d'accueil, et dans le cas précis, un flux bénéfique d'activités en direction de l'espace danubien et balkanique. Même le signe, bien réel, lui, de la puissance des pays émergents semble incompris.
Il devient urgent de se représenter, de toute manière, que les détenteurs mondiaux de liquidités ont cessé de s'identifier à ce qu'on appelait autrefois le pharmacien de Carpentras, mais les émirs du pétrole, mais les institutions financières dépendant de la banque centrale de Chine, mais les caisses de retraites privées, ces fonds de pension, d'autant plus gros et d'autant plus méchants, éventuellement ineptes, qu'ils sont gérés par des syndicats etc.
Si l'on ne veut pas se trouver à la merci des marchands de Venise, il faut cesser de vouloir dépenser plus que ce que l'on gagne. Pour ne pas dépendre de l'usure, il convient de ne pas recourir à l'emprunt.
JG Malliarakis
Apostilles
- Il est curieux que la presse parisienne ait renoncé à la traduction originelle de "Nea dimokratia". Ce parti est largement issu de l'ancienne "ERE" des années 1950. En 1974, au moment du renversement de l'éphémère république instituée en 1973 par les colonels, la droite grecque, sous la conduite de Constantin Caramanlis [oncle et homonyme du Premier ministre vaincu de 2009] préféra contribuer à fonder une "nouvelle république". Son parti prit alors ce nom de "Nea dimokratia". Le mot dimokratia en grec peut se traduire aussi bien par "démocratie" que par "république"[le régime de la monarchie constitutionnelle était considérée comme une "république couronnée"]. Mais, à l'origine, la droite grecque se référait au gaullisme français dont le parti s'est longtemps appelé "Union pour la nouvelle république" : "UNR" devenue UDR, puis RPR, puis UMP.
- Ce sigle désigne évidemment l'Internationale socialiste, la "deuxième" internationale, et non l'Intelligence service MI-6. Encore que.
- cf. L'Insolent du 27 novembre 2009. Dévoilons d'ailleurs notre arrière-pensée : inciter leur clientèle à prêter aux États offre une opportunité particulièrement confortable aux financiers les plus routiniers. Lorsque, de 1995 à 2002, les républicains ont imposé à Clinton une réduction radicale de la dépense publique, tirant vers le bas l'endettement du Trésor américain, ils ont singulièrement gâché ce métier. Il fallait que l'on revienne, dans l'intérêt de la communauté internationale sans doute, à des possibilités accrues de placements sans risque. La gauche en général y pourvoit très bien. Une "bonne guerre" peut aussi toujours aider.
- De toutes façons, depuis un bon millier d'années, on doit se résoudre à supporter les âneries récurrentes du "préjugé antibyzantin" auquel Charles Diehl me semble avoir plus ou moins définitivement répondu.
- cf. les déclarations de Mme Merkel "la stabilité de la zone euro est assurée". Et "la question d'une aide financière à la Grèce n'est pas posée et je suis même optimiste qu'elle ne sera pas posée" la Grèce allait devoir "faire davantage qu'assainir son déficit": il faut qu'elle modernise son économie et l'Allemagne va l'aider".
Vient de paraître : L'Histoire du communisme avant Marx les lecteurs de L’Insolent peuvent commander directement "L'Histoire du communisme avant Marx" par Alfred Sudre, un livre de 459 pages au prix franco de port de 25 euros.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de notre chronique
sur le site de Lumière 101
"Pays et culture quatre fois millénaires, la Grèce ne requiert, semble-t-il, ni compliments inutiles, ni faux amis. Elle sait abandonner aux Turcs cette stérile cohorte de courtisans."
Les quelques victoires que les Turcs ont remportées face à leurs ennemis à l'époque contemporaine, ils ne le doivent pas à la générosité d'amis (qu'ils n'ont pas), mais avant tout à leur seule volonté en effet. Les Turcs ont tenté de se frayer un chemin entre les grandes puissances, pour éviter de se faire écraser par l'une en se faisant manipuler par l'autre (une question de simple survie), alors que les Grecs (à la fois membres de l'OTAN ET de l'UE) peuvent avec plus de souplesse et d'aisance qu'eux (et que les Arméniens ou Kurdes enclavés) jouer sur plusieurs tableaux : atlantisme, russophilie, tiers-mondisme, etc. Les Grecs ont pour eux l'Antiquité et l'invention de la démocratie, ce que n'ont pas les Turcs, dès lors ce seront toujours les premiers qui seront perçus du bon côté de la ligne séparant la "civilisation" de la "barbarie", et ce seront toujours eux qui bénéficieront de la compassion des "bonnes âmes" romantiques des grandes capitales occidentales. Pas grand chose n'a changé depuis le XIXe : les victimes musulmanes des crises balkaniques et autres guerres ne sont que des feuilles mortes balayées par le vent de l'indifférence, il n'en va pas de même pour les chrétiennes.
Si les Turcs doivent manoeuvrer hardiment, ce n'est pas pour acquérir un soutien contre quelqu'un de bien précis mais pour ne pas se retrouver au milieu d'une hostilité générale et coordonnée (et plus le temps passe, plus j'ai l'impression qu'on s'en approche par la faute d'Erdogan-Gül). Le rapprochement récent de la Grèce avec Israël, par exemple, n'a pas remis en cause, que je sache, les bonnes relations entretenues avec le monde arabe depuis l'époque des colonels, de Makarios et du premier Papandréou. Par contre, si les Turcs se diversifient diplomatiquement, cela fait beaucoup, beaucoup de bruit, et entraîne des retombées (et des insultes maintenant quotidiennes).
Les positions de chacun ne sont donc pas aussi également inconfortables, à la fois géopolitiquement et médiatiquement. Les quelques grimaces devant les tracas économiques de la Grèce ne sont pas grand chose, honnêtement.
Je ne crains pas la haine des ennemis avérés de la Turquie, je crains l'éclaboussement par la bêtise discursive de ses pseudo-amis, cette "stérile cohorte de courtisans" comme vous dites, qui s'amourachent du gouvernement démagogique actuel sous divers prétextes ("réformes", "libéralisation", "fraternité musulmane").
Rédigé par : I. K. | mardi 19 oct 2010 à 22:46
c'est à dire que l'auteur n'admet pas les critiques. C'est encore un grand démocrate.
Petite réponse : vous faites ici allusion à la mention installée par "Typepad" sur la "modération" des commentaires et sur "l'approbation" : c'est un mention légale.
Elle correspond au fait que les "commentaires" s'ils ont diffamatoires à l'encontre des personnes ou illégaux tombent sous le coup de la responsabilité éditoriale du site.
Pour ma part, si j'accepte volontiers les critiques, quand elles ne sont pas injurieuses, si je me refuse à censurer, je ne me prétends aucunement un "grand démocrate". (Je vous suggère de re-lire la Lettre VII de Platon à Dion : les accusateurs de Socrate étaient déjà de "grands démocrates.")
Cordialement
Rédigé par : o'icaros | mercredi 12 oct 2011 à 14:14