Les vaseux communicants s'en étaient emparés. Certaines institutions salissent tout ce qu'elles touchent. Ainsi, l'on a pu entendre pendant quelque temps, sur les ondes hertziennes, de mielleuses voix publicitaires suggérer de tirer parti de ce que l'on nommait des avantages. On présentait comme des niches fiscales ce qui, au contraire, aurait dû faire partie d'une émancipation des corsets corporatistes. Ceux-ci, c'est-à-dire en particulier les régimes sociaux dits "alignés" interdisent concrètement, aux Français respectueux de la réglementation, d'entreprendre. La loi Royer de 1973 leur avait retiré subtilement le droit de travailler pour leur compte. Le gouvernement Balladur, pas plus que ses successeurs n'allait tout de même pas le leur rendre ! Cela eût constitué une atteinte à l'égalité.
Ne remontons pas trop loin dans le temps. On pourrait revenir aux apôtres. On s'abstiendra ici d'évoquer trop longuement le vote du 4 août 1789. Retenons simplement que sa disposition fondamentale se révéla fort difficile à appliquer dès lors qu'on s'attaqua aux droits particuliers dits privilèges des vassaux. Ces difficultés entraînèrent entraîna la fameuse loi d'Allarde de mars 1791 (2).
Plus tard, la liberté du commerce et l'industrie se verra explicitement reconnue par les constitutions de l'an III ("il n’y a ni privilège, ni maîtrise, ni jurande, ni limitation à la liberté du commerce et à l’exercice de l’industrie et des arts de toute espèce") et celle de 1848 ("la Constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l’industrie") mais celles de 1946 et 1958 n'en parlent pas.
Aujourd'hui plus qu'hier la liberté de l'entreprise se heurte principalement aux monopoles des caisses sociales.
Actuellement "chargé du Commerce, de l'Artisanat, des Petites et Moyennes Entreprises, du Tourisme, des Services et de la Consommation", tout çà à la fois pour un simple secrétaire d'État, Hervé Novelli demandait au printemps 2008 un rapport à M. François Hurel. Celui-ci étudie ces questions depuis des années. Ses conclusions aboutirent à la création du statut de l'auto-entrepreneur, assez rapproché dans son principe des idées de nos revendications formulées en 1991-1992, voici bientôt 20 ans. Cette réforme fut intégrée dans la loi dite "de modernisation de l’économie" du 4 août 2008. Son succès semble considérable. Dès le printemps suivant, Le Monde se voyait obligé de reconnaître que "le statut d'auto-entrepreneur dope le nombre de créations d'entreprises". (3)
On peut espérer que la masse critique soit désormais atteinte, plusieurs centaines de milliers d'adhérents au système constitueront la meilleure force de résistance au retour de bâton.
Car nous ne devons en rien perdre de vue cette probabilité. Elle découle de l'hostilité des caisses sociales et de leurs gestionnaires, liés à "l'Union patronale artisanale", c'est-à-dire principalement à la CAPEB (4). Celle-ci ne manque jamais une occasion de dénoncer la "concurrence déloyale" de ces indépendants. Pour les dupes et les adeptes de leur néo-corporatisme administratif en carton pâte l'artisan ou le paysan français qui choisit une prévoyance sociale moins chère, pratique une forme de travail au noir. Tout peut et doit être fait pour l'éliminer, quitte à l'évacuer vers l'économie souterraine (5). Les "plombiers polonais" n'ont pas attendu, doit-on le rappeler, la directive Bolkenstein pour développer leur activité, probablement utile, dans notre bel Hexagone.
Dans l'Italie des années 1922-1938, on parlait à Rome de "relève de la garde". Dans la pratique de la Cinquième république, on mitonne plus régulièrement ce qu'on appelle des remaniements ministériels. Et on les accepte à la discrétion du chef de l'État assisté du secrétaire général de l'Élysée. Mais, dans le livre de notre jungle politique ceci forme la trame d'une "autre histoire".
Une rotation ministérielle pourrait donc amener l'excellent Hervé Novelli à d'autres fonctions. Disons que, peut-être, il faut le lui souhaiter, à lui personnellement, et aussi aux équipes gouvernementales.
Ne doutons pas, en revanche, que, dans une telle hypothèse, nos chers monopolistes sauront réveiller leur nuisance. Grisâtres et gluantes, les vieilles murènes ont toujours su se tapir, à marée basse,dans leurs replis confortables et discrets. Leurs conseils d'administration et leurs bienfaisances philosophiques leur assurent de tels repaires. Elles attendent, pour frapper, le moment opportun que la frivolité de leurs adversaires leur fournira.
Redoutons qu'alors d'efficientes capacités répressives soient mises en batterie. Alors il faudra se dresser pour arrêter le massacre des auto-entrepreneurs.
Il en va de même pour un nombre considérable de situations, de dossiers, de résistances passives ou sournoises des bureaucraties. Conservatrices de leurs poussières, les décorant du nom de pacte républicain, elles se dressent en ennemies de tout vent de réforme et de liberté.
L'affaire de la loi Fillon-Woerth, repoussant simplement de 2 ans les bornes d'âge légal de la retraite-couperet l'a dores et déjà, une fois de plus, démontré. Une triste structure, permanente et non conjoncturelle, de notre psychologie sociale paralyse en effet cette nation, autrefois vivante et créatrice.
Qu'on se rassure cependant, d'une certaine manière. Si les grandes époques culturelles de ce pays, celle des peintres impressionnistes ou celle du théâtre classique, se sont éloignées, si les lumières semblent éteintes, l'inventivité demeure. Elle s'est réfugiée dans les domaines les plus inattendus. On la retrouve ainsi aussi bien chez les informaticiens que chez ces fromagers qui persistent encore à renouveler leur registre, au pays des 400 spécialités, pour ne citer qu'un exemple parmi les innombrables métiers que la technocratie n'est pas encore parvenue à broyer.
L'alliance toutefois de la pression fiscaliste et de l'égalitarisme envieux persistera à développer ses ravages, à désertifier cette société, à tiers-mondiser ce peuple.
JG Malliarakis
Apostilles
- Ce "nous" désigne ici le CDCA au sein duquel votre serviteur jouait le rôle, pas toujours facile, d'écrivain public.
- À tort, on emploie encore aujourd'hui le terme anachronique de décret. Dans le droit constitutionnel républicain un "décret" se met en place en vertu du pouvoir réglementaire. Un "décret" des assemblées révolutionnaires indique simplement un vote. Dans le cas précis la proposition venait du baron d'Allarde (1749-1809), élu en 1789 député de la noblesse de Franche-Comté. Militaire passionné d'économie, il s'oppose à Necker. Il fit voter l'institution fiscale des patentes, supposées assurer la liberté du commerce et de l'industrie. Le texte du 2 mars 1791 fut accepté le 2 mars par l'assemblée constituante et ratifié par le roi le 17 mars. Contrairement à l'usage qui les amalgame, ce texte doit absolument être distingué de la Loi Le Chapelier votée en juin 1791 et abrogée en 1884.
- cf. Lemonde.Fr avec AFP qui publie en ligne le 22 avril 2009 :"Le nombre de créations d'entreprises en France a de nouveau nettement augmenté (+ 10 %) en mars par rapport à février, une hausse liée à la prise en compte du nouveau statut de l'auto-entrepreneur, a annoncé mercredi l'Insee. Depuis le 1er janvier, ce statut permet aux salariés, chômeurs, retraités ou étudiants de développer une activité à titre principal ou complémentaire pour augmenter leurs revenus, avec des démarches simplifiées. "C'est un nouveau record mensuel historique qui reflète le succès du statut de l'auto-entrepreneur", s'est félicité le secrétaire d'Etat chargé des PME, Hervé Novelli, précisant que "145 300 personnes" s'étaient inscrites à ce régime au 20 avril. Parmi les profils des auto-entrepreneurs, 8 % sont des retraités, a précisé M. Novelli à l'AFP. Au total, 47 121 entreprises ont été créées en mars contre 42 682 en février, indique l'Institut national de la statistique. Le nombre cumulé de créations des mois de janvier, février et mars est en hausse de 43,2 % par rapport aux mêmes mois un an auparavant. Les secteurs qui contribuent le plus à cette hausse sont les activités de services, le commerce et la construction, selon l'Insee."
- "Confédération de l’Artisanat et des Petites Entreprises du Bâtiment". Présidé par M. Patrick Liebus, ce syndicat patronal se veut celui des 362 000 entreprises artisanales du bâtiment". Cette revendication même se croit innocente. Elle signifie bien, au mépris de la loi D'Allarde de 1791, qu'il se veut le seul. En toute honnêteté convenons d'ailleurs que dans ce secteur son raisonnement, quoique faux en définitive même dans le bâtiment, est sinon tout à fait compréhensible, du moins partagé par beaucoup. Que les mécanismes institutionnels du social lui confèrent un rôle central dans la représentation des petites entreprises voilà le vrai problème.
- Et même à la faillite, à la liquidation de leur entreprise personnelle, c'est-à-dire à une mort sociale dont les journalistes n'ont guère idée. Soulignons que le pourcentage de procédures dites collectives provoquées par le contentieux des organismes sociaux est probablement de l'ordre de 85 %.
Vient de paraîtreles lecteurs de L’Insolent peuvent commander directement "L'Histoire du communisme" par Alfred Sudre, un livre de 459 pages proposé jusqu'au 19.10 en souscription au prix franco de port de 18 euros. Il sera ultérieurement commercialisé au prix de 25 euros.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique
sur le site de Lumière 101
"L'alliance toutefois de la pression fiscaliste et de l'égalitarisme envieux persistera à développer ses ravages, à désertifier cette société, à tiers-mondiser ce peuple."
Triste et terrible constat, que je ne peux pourtant pas contredire...
merci pour vos articles toujours excellents !
Rédigé par : LOmiG | lundi 18 oct 2010 à 14:48
Ces jours-c j'ai entendu sur france2, un minitre nous annoncer qu'en "démocratie sociale"
les oppositions par grève et manifestation faisaient partie de la façon de gouverner et que la France appliquait la démocratie sociale pour gouverner. Je n'avais jamais penser qu'il puisse y avoir des "versions" en démocratie!!!!Pour moi, la démocratie veut dire une seule chose:Le gouvernement est élu au suffrage universel à vote secret sur la base d'un programme. Une fois élu, il applique la volonté du peuple et absolument personne ne peut s'y opposer par la force. Les syndicats de tous poils et autres agitateurs plumatiques ou vocaux n'ont droit de regard sur l'élaboration des lois et leurs réforme éventuelles.
Contrairement aux idées reçues, La revendication par la force, c.a.d. la grève, est un moyen totalement anti-démocratique et qui ne peut s'appliquer que lorsque la démocratie ne peut pas s'appliquer c.a.d. dans les relations entre employeur et employés et ceci dans un cadre et dans des conditions strict. Même les ministres ne savent pas ce qu'est la démocratie. Pauvre France!.
Je vous souhaite une bien bonne journée.
Paul Tarjon
Rédigé par : Paul Tarjon | mercredi 20 oct 2010 à 23:00