Billancourt a été reconvertie en un immense chantier immobilier. Mais les lecteurs de Sartre n'entendent toujours pas désespérer son fantôme. Le Monde (1) titre, impavide : "la mobilisation se poursuit malgré l'accord au parlement".
Ce 26 octobre au matin, seule une manifestation d'étudiants est annoncée par l'indémodable UNEF.
Au parlement, en revanche, le vote sur le projet de loi Fillon-Woerth entre en phase terminale, comme on le dirait d'un malade incurable. Pas un instant le grand public n'aura pris connaissance des débats des deux assemblées. À peine aura-t-on entendu parler de légères retouches apportées par le Sénat, où l'UMP ne dispose pas de la majorité.
Or les additifs de l'article 32, votés à l'initiative des centristes (2) introduisent une dimension radicalement nouvelle.
Soulignons que ces dispositions ont été adoptées sous le nom d'épargne retraite afin d'instituer un troisième étage de la protection sociale vieillesse. Ce projet de régimes supplémentaires ne fait dès lors que reprendre un vieux serpent de mer. Il a été pensé, sous prétexte de créer des fonds de pensions à la française, en vue de compenser les dégâts du système actuel. Mais il se traduirait par un surcroît d'intervention des mêmes partenaires. On recherchera l'erreur en se souvenant, au besoin, de cette pensée, qui vient d'Albert Einstein : "vous ne résoudrez aucun problème en recourant aux conseils de ceux qui les ont créés".
Pour le moment le nouveau dispositif, adopté par la commission mixte paritaire le 25 octobre, sous réserve encore qu'il puisse franchir les derniers écueils constitutionnels puis administratifs, demeurerait inscrit dans le cadre voulu par les caisses. Et on les soumettrait toujours à un strict encadrement d'esprit étatiste mâtiné d'artifice corporatiste.
On concevra aisément que l'importance de sa mise en œuvre renvoie nécessairement à ces négociations interminables auxquelles le vocabulaire des communicateurs prend actuellement l'habitude de donner le nom commun de "grenelle" (3). Le calendrier qui s'en dessine reporte cependant les débats correspondants à 2013, juste après la double campagne électorale de 2012 qui obscurcit l'horizon politique.
À tout cela, personne ou presque ne semble accorder d'intérêt.
Pour l'heure, les Français, comme contribuables et comme citoyens, vont devoir se préoccuper d'actualité fiscale.
Prosaïquement d'abord, les feuilles d'impôts du 15 novembre permettent à chacun de mesurer l'alourdissement sans précédent de la fiscalité locale. Les taxes foncières et d'habitation reflètent désormais une tendance lourde. Le déchargement de l'État central parisien vers les collectivités territoriales, lamentable ersatz de décentralisation se répercute dans ces impositions considérées jusqu'ici comme marginales et secondaires.
Mais, au bout du compte, les difficultés qui en résultent éclipsent en partie les perspectives, un peu artificielles de la contestation sociale, pour mettre en lumière la question fiscale.
Sur ce terrain, l'Assemblée nationale vient déjà de finir d'examiner, et elle se prépare à adopter solennellement le 27 octobre la première partie de la loi de finances pour 2011. On y parle des recettes pour l'État, autant de dépenses pour les Français. L'acceptation en constitue depuis toujours (4) la fonction centrale de la représentation nationale.
Depuis le dépôt du projet le 29 septembre et jusqu'à ce 25 octobre, il n'a été évoqué que de manière fort discrète, à peine la brise légère que le grand air de Don Basile assigne à la calomnie naissante. Le texte de base, signé de Baroin au nom du Premier ministre, s'en étale pourtant sur 309 pages. On se demande toujours combien de citoyens, de contribuables et de commentateurs agréés ont disposé du loisir et des insomnies nécessaires à une telle lecture. Saluons donc, en date du 14 octobre la remise par M. Gilles Carrez, au nom de la commission des finances, d'un rapport principal de 266 pages accompagné de deux annexes.
De tout cet océan, les médiats ne sont priés de ne retirer que la galanterie de quelques coquillages. Ainsi les parachutes dorés des dirigeants et prédateurs des grosses entreprises seront désormais, en principe, limités. Les crédits d'impôts accordés aux panneaux solaires seront diminués de moitié. La déduction d'ISF destinée à l'investissement de proximité sera réduite de 75 % à 50 %, sur l'insistance du rapporteur parlementaire M. Gilles Carrez. On passe la TVA de 5,5 à 19,6 pour les abonnements téléphone + télévision + câble. Très important, enfin : la hausse des amendes sera supprimée, provisoirement.
Voilà en effet ce qui dépend de la discussion permise aux assemblées républicaines représentatives, environ 1 % de la loi de finances.
Les dispositions essentielles sont prises, comme pour le pilotage de la protection sociale, par la citadelle de Bercy. Et cela a été dicté, par des technocrates, en l'absence de tout vrai dialogue. Les limites de l'épure sont tracées par la nécessité d'emprunter chaque mois pour combler tous les trous, et de chercher à déjouer la vigilance des deux agences de notation. On estime à 150 milliards d'euros les déficits publics pour 2010, entre 91 et 92 milliards pour 2011.
Les recettes fiscales nettes ne sont évaluées qu'à hauteur de 255 milliards.
Au lieu de toujours rapporter les déficits publics, et la dette nationale en résultant, au produit intérieur brut, on gagnerait peut-être en lucidité si on les mesurait, plutôt, en fonction des recettes actuelles de l'État, supposé les garantir.
On dirait de la sorte que le Trésor public parisien est aujourd'hui endetté à concurrence de 8 années de recettes fiscales, et qu'entre 2010 et 2011 il s'est endetté de 12 mois supplémentaires.
Comment ne pas applaudir au génie de nos chers inspecteurs des finances, élite de notre énarchie nationale, laïque et obligatoire ?
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. Édition en ligne le 25 octobre à 19 h 22
- cf. texte de la commission mixte paritaire adopté le 25 octobre.
- Il faudra donc de plus en plus écrire cette expression avec une minuscule. Ceci veut faire référence au misérable "Grenelle" de l'environnement, faisant suite sans doute aux lamentables accords de "Grenelle" passés en mai 1968. S'il s'agit d'accepter une concertation préalable aux réformes législatives, on peut s'en féliciter.
- En Angleterre on fait remonter ce cœur de métier à la Grande Charte de 1214. En France la Grande Ordonnance de 1357 correspondait à la même philosophie. Les parenthèses respectives introduites, outre-Manche par les Tudors au XVIe siècle, et par la Monarchie dite absolue fondée par Richelieu au cours des XVIIe et XVIIIe siècles, ont provoqué trois révolutions dans les deux pays.
Vient de paraître : L'Histoire du communisme avant Marx les lecteurs de L’Insolent peuvent commander directement "L'Histoire du communisme avant Marx par Alfred Sudre, un livre de 459 pages au prix franco de port de 25 euros.
Vous pouvez entendre l'enregistrement de notre chronique
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