Marine Pennetier travaille à Paris au titre du service français du bon vieux concurrent britannique de notre chère AFP. Elle évalue sans périphrase que "les conditions d'une crise sociale (1) ne semblent pas réunies".
On pourrait lui rétorquer qu'il ne faut jamais s'engager imprudemment dans les pronostics.
Mais Hubert Landier, consultant reconnu et universitaire de qualité (2) pense quant à lui qu'on ne "déclenche pas une crise sociale en appuyant sur un bouton et, ajoute-t-il, "pour l'instant, chaque acteur s'en tient à son rôle". Il déclare ainsi : "Nous assistons à une commedia dell'arte avec des acteurs qui connaissent leur rôle et qui s'est jouée sans trop de couacs jusqu'ici", dit-il. "Il était prévu à l'avance dans le scénario que le gouvernement conserverait du gras pour répondre à l'appel de la rue et apporter quelques concessions supplémentaires. Tout ceci était déjà dans les tuyaux".
Guy Groux, directeur de recherches CNRS au CEVIPOF (3) va dans le même sens. Au matin même de la grande mobilisation, il annonçait (4), que "Le compromis est possible". Et il confirme, lui aussi, à sa manière, cette analyse : "Jusqu'à présent, la CGT et la CFDT font preuve d'une attitude raisonnable en ne demandant pas le retrait du texte et ne parlant pas de 'texte scélérat' comme cela a pu être le cas par le passé", dit-il.
Leur objectif serait, selon M. Groux, "d'obtenir des concessions pour sortir de cette affaire sans avoir l'air d'avoir tout perdu aux yeux des adhérents et de l'opinion publique."
À quelles concessions entend-on préparer l'opinion et assurer la sortie de crise ? Sauf dérapage, il s'agira essentiellement de ce qu'on désigne sous le concept, peut-être sous le slogan de la "pénibilité". Cette dernière sera évaluée de manière arbitraire dans le cadre des "branches"... ce qui permettra d'inclure tous les bureaucrates, sans que personne ne bronche.
Notons que la deuxième grande question, celle des "polypensionnés", mériterait d'être tenue par certains pour philosophiquement essentielle. Cela rejoindrait le point de vue des intéressés et aussi de la Commission de Bruxelles et celui de la cour de Luxembourg : dans la logique du traité de Rome, en effet, on ne peut pas accepter que les salariés ayant accompli leur carrière dans deux pays distincts puissent se trouver désavantagés. Celle des gens, de plus en plus nombreux, qui par ailleurs ne sont pas demeurés dans le même "régime", celui des cadres ayant fondé une petite entreprise, celui des salariés ayant osé s'établir à la terre, celui des gens ayant galéré de métier en métier, celui de la plupart des travailleurs indépendants, celui de la majorité des mères de famille, n'intéresse en général aucun technocrate. Aucune bureaucratie, ni aucune intellocratie ne le prend en compte. On peut parier qu'il sera évacué discrètement et que sa "solution", de toute manière, très provisoire, sera une fois de plus sabotée. Les hommes politiques, dont 80 à 90 % cumulent des pensions diverses et confortables, sauront s'arranger pour protéger leurs propres passe-droits. De cette détermination-là, on ne doit jamais douter.
Le lent glissement vers une intervention systématique du président ne fait pas exception par rapport aux pratiques que nous observons depuis 2007. On nous ramène vers ce toréador bonapartiste incontournable. Et il se confirme que M. Woerth ne fait figure que de boute-en-train. La manière dont le prochain remaniement remerciera cet excellent domestique pour ses bons et loyaux services ne préoccupe, à vrai dire, plus personne. Le fusible aura fonctionné tout l'été. (5)
Tout cela roule donc comme une mécanique bien huilée, où même la gauche politique sociale-démocrate, se considère en présence de l'inéluctable. Elle imagine seulement pouvoir en transférer l'impopularité au débit de la majorité actuelle et du président sortant. Un tel calcul correspond au pari inverse, opéré à la fois par les intéressés et par la CGT. Celle-ci entend bien, au contraire, se trouver renforcée dans ses bastions des grands monopoles historiques, la SNCF, EDF, Gaz de France ainsi que les compères de la FSU pour la fonction publique enseignante etc.
Ainsi, les régimes privilégiés seront consolidés, sinon dans leur indépendance du moins dans leurs avantages.
Voilà le donc véritable projet. Voilà le dessein des stratèges sociaux. Voilà ce que certains cercles de pouvoir imaginent concéder à la CGT pour prétendre, dans la perspective de l'échéance de 2012, qu'ils ont pérennisé le système, qu'ils ont assuré l'avenir, pour 2 ou 3 ans au moins, de notre merveilleux modèle hexagonal. Ceux que Beau de Loménie appelait les "grands habiles" (6) ne changeront jamais.
De la sorte, leurs retraites seront sauvegardées. Et les vôtres ?
JG Malliarakis
Apostilles
- Risque évoqué par le chef de la CGT Bernard Thibault.
- Docteur d’Etat ès sciences économiques. Chargé d’enseignement à l’université de Paris-II et à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, M. Landier a publié plusieurs ouvrages de référence sur les questions syndicales.
- Centre d'études de la vie politique française"
- cf. le Courrier de l'Ouest du 7 septembre
- Dans l'Insolent du 30 juin nous formulions ainsi la question "Qui veut faire sauter le fusible Woerth ?"
- On retrouve en effet, une fois de plus, les techniques du "dérivatif" décrites dans ses indispensables "Responsabilités des dynasties bourgeoises"
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique
sur le site de Lumière 101
Hé bien bonjour!
Ha, les retraites, en aurai-je une? Non...
Je suis étonné cher Jean-Gilles Malliarakis que vous ne parliez point du régime des intermittents, cela fait longtemps...mais bon. Je sais que le sujet des retraites et de la sécu sont deux chevaux pour vous. Il est des mesurettes... esbrouffantes, et ça fonctionne, on croit s'en occuper.
C'est une période électorale, et chacun y va de son chorus. Du vent, encore du vent, les clandos, les romanos, les clodos...las! Nous en sommes tous d'accord.
Vous dénoncez la classe des privilèges et des cumuls, criante d'obscénité, mais les retraites ne sont elles point dépendantes du nombre d'actifs? Et le nombre d'actifs n'est il point lié à la prospérité, et à la pérennité de la politique d'emploi? Pour moi, la cause est cela. Ceci dit, le charcutier de ma petite ville, sous la pression du lobby végétarien, vient de mettre la clé sous la porte après de longs et boyaux sévices! Encore un emploi de foutu, et une charge supplémentaire pour mon Agessa!
Bien cordialement, pms.
Rédigé par : minvielle | lundi 13 sep 2010 à 11:36