Le titre du Monde paraît destiné à tromper, comme d'habitude, le lecteur pressé. Citons donc très exactement le "grand journal du soir".
Titre : Un sondage met à égalité Villepin et Sarkozy pour 2012Et allez donc. Roulez jeunesse. Commentez sur le zinc, ou chez le coiffeur, cette situation irréelle. Prenez-la pour argent comptant. Elle est assortie de pourcentages.
LEMONDE.FR avec Reuters | 14.09.10 | 06 h 45 • Mis à jour le 14.09.10 | 08 h 03
"Seuls 15 % des Français souhaitent voir Nicolas Sarkozy représenter la droite à la présidentielle de 2012, à égalité avec l'ex-premier ministre Dominique de Villepin, selon un sondage CSA pour Le Parisien dans son édition du mardi 14 septembre.'Si Dominique de Villepin obtient ses meilleurs scores auprès des jeunes cadres, l'actuel président de la République est plutôt plébiscité par les artisans, les commerçants, les chefs d'entreprise et les retraités', précise le quotidien."
Votre serviteur ne cherche ici, il faut peut-être le préciser, qu'à s'interroger sur le bon sens des derniers lecteurs de la presse papier. Il demeure objectif. En effet il ne s'apprête aucunement à voter, du moins au premier tour, pour aucun des trois. Face à un Mélenchon au second tour, ou même une Aubry, il réserve quand même son pronostic.
D'abord, on se croirait revenu à l'année 1980. À l'époque certes M. Giscard et sa Cour exaspéraient de plus en plus les Français. Il se destinait sans doute à perdre les élections. Mais chaque jour qui passait voyait un nouveau sondage bidonné de ce genre, une nouvelle fausse affaire, un nouveau collier de la Reine. Derrière bon nombre de ces bobards, on peut démêler un fil qui remonte jusqu'aux réseaux chiraquiens. L'Histoire devant être comprise comme "la science des faits qui ne se renouvellent pas" rien ne prouve que la manœuvre évoquée ne se retournera pas contre ses auteurs. Ainsi la manière dont on a monté en épingle, "à gauche", les critiques "contre la France" de la commissaire européenne Viviane Reding pourraient fort bien se révéler de la plus insigne maladresse.
La réalité du sondage CSA d'où est parti le mensonge à peine subtil du "Monde" montre exactement le contraire Actuellement encore le noyau dur de la réélection demeure crédible. Malgré ses erreurs, systématiquement additionnées à partir de 2008, sous la griserie de ses rencontres avec Bernard Tapie, le président sortant s'appuie sur une population qui, sans nécessairement habiter Neuilly, se prononce ou croit voter "à droite".
Cet électorat, ou plutôt les sondés (1) étaient appelés à répondre à une question ainsi formulée : "Parmi les personnalités suivantes, laquelle préféreriez-vous voir représenter la droite à l'élection présidentielle de 2012 ?"
Les gens classés "sympathisant[e]s de droite" ont répondu ce jour-là : 39 % Sarkozy, 23 % Fillon, 11 % Villepin, 7 % Juppé, 7 % Copé, 7 % aucun. En gros, et avant son passage en appel pour le procès Clearstream, M. de Villepin est assuré de l'estime de 11 % de 40 % de l'électorat = environ 4,4 %. Celui qu'il présente comme "son rival" en pèse encore un noyau dur de 16 %, auquel il faut ajouter probablement les gens (23 % de 40 % = 9%) qui jugent sans doute le très discret et très effacé M. Fillon, comme les fleurs de Jacques Brel "plus présentable", quoique "séguiniste".
On peut certes estimer qu'après seulement 3 ans de mandat n'avoir conservé que 40 % de son propre électorat ne constitue pas un grand succès. Qui prétend le contraire ? Mais le gros de la troupe des gens qui persistent à se retrouver dans l'UMP, à 45 % continuent également à le désigner pour leur favori. (2)
Les gens qui préfèrent que le candidat "de la droite" s'appelle Galouzeau de Villepin, ce joli nom de cheval qui n'a jamais couru, se trouvent massivement à gauche. Ils jugent sans doute qu'il jouerait un excellent rôle de perdant. Il fait un tabac chez les sympathisants de Mélenchon : 32 %. En revanche aucun de ces citoyens n'annonce son intention de voter pour l'ancien chef de cabinet de Juppé (3).
"L'Humanité" suit docilement le mot d'ordre. Mais le journal communiste va encore plus loin dans la déformation. Il imprime ainsi le même jour (4) en gros titre : "La droite cherche son champion (et ce n’est pas Nicolas Sarkozy)".
Le contresens devient donc total, assisté par la mauvaise foi. A priori, que cela plaise ou non, l'UMP se prononce encore en faveur de son chef actuel. Et si, pour une raison ou pour une autre, il renonçait à faire acte de candidature, une préférence les conduit à citer le nom de son Premier ministre. Je ne crois pas me tromper en imaginant que si on demande, par exemple aux électeurs ou aux sympathisants du MODEM pour qui ils voteront, la réponse se présente différemment. Or, la plupart des gens que je rencontre ne se reconnaissent dans la pratique ni dans les politiciens étiquetés "à droite" ni dans "la gauche". Voilà les faits.
Nous nous trouvons donc en présence de ce que l'on appelait joliment autrefois un “bouteillon” recyclé par "Le Monde". Un bon gros bouteillon. Je crois celui-ci destiné, notamment, à encourager les sots et vaniteux courtisans villepiniens à persister dans leur chimère ambiguë, comme si leur champion disposait des mêmes relais et du même sens de l'électeur que son ancien employeur.
Mais ne laissons pas non plus certains de nos lecteurs, jeunes ou allophones, désarmés face au mystère de ce mot de "bouteillon". La définition qu'en donne le Petit Larousse édition 2010 ne correspond pas à son usage réel. Lorsqu'on le rencontre, chez Jacques Perret ou chez Antoine Blondin il renvoit au langage populaire de la seconde guerre mondiale. "Tous les jours la vie du prisonnier était envahie par le souffle fétide des bouteillons" (5)… autrement dit dans l’argot militaire, des bobards, des ragots annoncés comme autant de vérités. Dans les tranchées de la précédente, dite aussi "la der des ders" il dérivait du nom déformé d'une marmite de campagne aplatie et cintrée, modèle "Bouthéon". Il s'agissait tout simplement au départ de l'état civil de son concepteur, glorieux stratège républicain aux armées de notre intendance laïque et obligatoire. La fausse rumeur portait alors le nom d'un certain volatile, qui devint, après capture et domestication, "Le Canard enchaîné". Entre 1914 et 1918, on se méfiait des "canards". Il semblerait qu'aujourd'hui, on les avale tout crus.
Prisonniers nous-mêmes depuis 1958, d'une bipolarisation hexagonale à chaque scrutin, elle-même érigée en vue d'une apparence de régime bipartisan, on nous impose l'ingurgitation de cette triste et morne pitance fabriquée par de bien médiocres journalistes.
JG Malliarakis
Apostilles
- 1003 personnes par téléphone les 8 et 9 septembre par l'institut CSA
- À noter que chez les électeurs du FN, Nicolas Sarkozy arrive en tête [des hommes politiques dits de "droite"] avec 19 % de préférence, contre 13 % pour Fillon 10 % Villepin 9 % Juppé. Curieusement ces électeurs sont classés à droite, mais on ne leur propose pas de voter pour un homme [ou une femme] politique de leur parti. Faut-il désormais classer le FN au "centre" ? Les mêmes "politologues" considèrent en général d'ailleurs que le "centre" n'existe pas, et ils affirment pourtant que c'est "au centre" que se gagneraient les élections.
- À celui-ci le villepin avait vivement conseillé la dissolution de 1997. Ceci doit lui valoir l'estime et une part de reconnaissance de la part des admirateurs de Jospin et de Mme Aubry. Il ne devint, faute de combattants, chef du gouvernement qu'après la déroute du référendum de 2005. L'Élysée attribua pudiquement à Raffarin un échec dont Chirac portait pourtant la plus grande part de responsabilité. La Chiraquie mourante fit alors appel à ce personnage surfait, qui venait de passer quelques mois au ministère de l'Intérieur après avoir gesticulé aux Affaires étrangères.
- Édition du 14 septembre. Commentaire d'un lecteur : "Le meilleur candidat pour la droite est tout désigné: DSK! Patron du cheval de Troie capitaliste (FMI), sera, si les sondages bidons réussissent à influencer les moutons français bien pire que $arko..." Dans la même édition, un article est intitulé "Nicolas Sarkozy gagne des soutiens à l’extrême-droite". Est-ce grave, Docteur ? Est-ce vraiment inattendu ?
- Le mot se retrouve ainsi dans l'indispensable et talentueux témoignage de Daniel Richez "Mes camarades de barbelés" publié en 2005 par "L'Harmattan".
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique
sur le site de Lumière 101
Je vois que je ne suis pas le seul à avoir tiqué sur ce sondage...
Villepin va faire la même erreur que Balladur, à savoir croire qu'il est populaire alors qu'il n'est que simplement connu.
Rédigé par : Moni | jeudi 16 sep 2010 à 11:58
Que les sondages continuent d'avoir un tel impact sur la vie politique et médiatique 15 ans après leur spectaculaire échec sur Balladur ne laisse pas de m'étonner.
Rédigé par : Nikita | jeudi 16 sep 2010 à 16:46