Ne nous illusionnons pas trop cependant sur l'appartenance à une droite de liberté de cet homme bien élevé, qui va à la messe et offre si gentiment des fleurs aux jolies femmes.
On doit d'abord mesurer sa filiation politique. Il la revendique de manière explicite. Or, celle-ci le rattache à l'un des plus désastreux énarques socialo-bonapartistes du sérail gaulliste. M. François Fillon doit en effet l'essentiel de son ascension, en dehors certes de ses qualités personnelles de courtoisie, à son ami Séguin.
En juillet 1997, celui-ci venait de diriger au dernier moment la campagne calamiteuse des élections législatives provoquées par Juppé et Villepin. Quoique perdant, il devint alors président du RPR. François Fillon, soutien direct de Séguin sera nommé secrétaire national du parti, en charge des fédérations, puis porte-parole. En 1998, il prend, à la faveur de ses fonctions dans l'appareil central, la présidence du conseil régional des Pays de la Loire. Il met alors "tout son poids politique pour empêcher les alliances entre certains élus de droite avec le Front National dans les régions." (2)Cette politique suicidaire donna gratuitement à la gauche, pourtant minoritaire, la présidence de 90 % des régions françaises. Bénéficiant sans aucun état d'âme du soutien des communistes les socialistes s'empareront en particulier de la région factice formée d'un morceau de la Bretagne, du Maine et de l'Anjou et dirigée jusque-là par notre grand stratège.
En 2009, au moment de la disparition du président de la Cour des comptes, le chef du gouvernement manifesta une grande émotion. Entre-temps son vieux camarade avait été éliminé de la direction du mouvement chiraquien. Vaincu en mars 2001 par Delanoë aux élections municipales de Paris il avait laissé la gauche prendre la capitale pour la première fois depuis 100 ans. La haute juridiction financière lui avait été attribuée par décret présidentiel comme lot de consolation.
Ah si au moins Fillon pouvait cantonner son horizon et fixer son ambition à reprendre à la faveur des municipales de 2013 à la coalition hétéroclite et catastrophique actuelle ce que Séguin a perdu ! On peut présumer qu'il y ferait moins de mal qu'ailleurs, et, de toute manière, que les socialo-écolo-communistes. Un échange "gagnant gagnant", en somme, faute d'ailleurs d'un meilleur chef de file pour la droite municipale parisienne.
Difficile de voir, en revanche, sur la base de cette carrière, une relève du sarkozysme pour un scrutin présidentiel, en 2012 comme en 2017.
Quand s'en est-il démarqué depuis 4 ans ?
Depuis 3 ans reconnaissons en effet qu'il a
- ou bien dirigé effectivement le gouvernement, conformément à la Constitution,
- ou bien accepté un rôle de potiche, plutôt disqualifiant.
Dans un cas comme dans l'autre, ni sur la forme, ni sur le fond, il ne semble donc en droit de faire la critique, sous prétexte de plaire aux sondages, de sa propre politique.
La Constitution de 1958 dispose en son article 20 : "Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation. Il dispose de l'administration et de la force armée. Il est responsable devant le Parlement dans les conditions et suivant les procédures prévues aux articles 49 et 50." Article 21 :"Le Premier Ministre dirige l'action du Gouvernement. Il est responsable de la Défense Nationale. Il assure l'exécution des lois. Sous réserve des dispositions de l'article 13, il exerce le pouvoir réglementaire et nomme aux emplois civils et militaires."
Nous ne nous trouvons donc pas en présence d'un simple collaborateur du p. de la r., une sorte de directeur de cabinet, éventuellement jetable et qui, dès lors, "retrouverait" sa liberté de parole et d'action. Il s'agit d'un partenaire, jusqu'ici loyal, constamment aligné sur les décisions prises collectivement, en bien comme en mal.
Certains voudraient objecter la différence de style entre les deux hommes. Soit.
Ou bien on se situe dans le camp des partisans de l'actuelle majorité et alors on peut certes imaginer que l'ancien Premier ministre entrerait "en réserve", comme le fit Georges Pompidou en 1968. Il ralliera en 1969 après la démission de son ancien patron, la quasi unanimité des gaullistes plus quelques Français qui appréciaient cette différence imperceptible entre les deux "concepts". Le scénario ne se renouvellerait cependant ici, que dans le cas où le président actuel croulant sous une énorme impopularité renoncerait à se représenter et, de toute manière, si son ancien Premier ministre, s'il cesse de diriger le gouvernement, s'abstient de toute critique.
Pour marquer donc sa différence, encore faudrait-il que M. Fillon puisse, à son tour se prévaloir d'un passé réformateur, "pour de vrai".
Pour cela il faut se demander quelle place personnelle exacte a joué M. Fillon dans les 10 dernières années dans le processus de détricotage nécessaire et maladroitement autoritaire de la retraite à 60 ans.
Première remarque : le projet de loi n° 2760 de réforme des retraites enregistré le 13 juillet 2010 à la Présidence de l’Assemblée nationale est signé de François Fillon. Il a été présenté "au nom de M. François Fillon, Premier ministre, par M. Éric Woerth, ministre du travail, de la solidarité et de la fonction publique."
On remarquera que la commission des affaires sociales nommait le même 13 juillet M. Denis Jacquat rapporteur. Ce médecin de 66 ans, élu député UMP par la 2e de la Moselle a remis son rapport en deux tomes dès le 23 juillet. Forçat de l'écriture M. Jacquat a donc rédigé en 10 jours un document qui, au format 21x29,7 s'étale sur 481 pages, pour le seul tome Ier. (3)
Difficile d'imaginer qu'un travail parlementaire si considérable ne doit rien aux contributions du gouvernement Fillon.
Citons le rapport Jacquat. (4) Il trouve à propos de saluer 3 aspects de cette réforme:
1° "Faire sauter le tabou des 60 ans. La mesure-phare et emblématique de ce projet de loi est bien sûr le report de l’âge légal de départ à la retraite de 60 à 62 ans et le report parallèle de 65 à 67 ans de l’âge du taux plein.
2° "les âges légaux applicables dans les régimes étrangers ne sont pas nécessairement comparables avec l’âge d’ouverture des droits en France, car ils correspondent : – soit, comme en France, à un âge d’ouverture des droits (il n’est pas possible de prendre sa retraite avant) ; – soit à un 'âge-pivot' (il est possible de prendre sa retraite avant, mais celle-ci fait alors l’objet d’une décote)." La volonté apparaît bien d'imposer, par le rejet d'un "âge pivot" un système rigide emp^chaant le libre-choix des individus.
3° à la gloire supposée de M. Fillon, il évoque le grand progrès réalisé en 2003 sous son égide :"le dispositif 'carrières longues'(…), créé par la loi Fillon de 2003, a constitué l’une des principales avancées sociales de ces dernières années : il a permis à près de 600 000 personnes de partir à la retraite de façon anticipée." (5)
C'est d'ailleurs en vertu de cet "acquis" supposé, au profit des gens qui ont commencé à travailler plus tôt que la moyenne, que la négociation bloque ncore sur la "nuance" entre durée de cotisation et âge de départ.
Sous l'influence de Fillon, et hélas de quelques autres conseillers comme Guaino ou Soubie, ce qui tient lieu de droite persiste dans les solutions technocratiques rigides et inefficaces. Les 600 000 personnes ayant pris une retraite anticipée en vertu de la Loi Fillon de 2003 nous donnent la mesure de sa contre-productivité.
Oui il faudra encore un effort, et un gros, pour nous convaincre qu'un tel technocrate, même bien élevé, pourrait représenter une alternative de liberté.
JG Malliarakis
Apostilles
- Étrange porte-parole du parti socialiste, M. Benoît Hamon contredit régulièrement la direction du PS. Il a cru pouvoir ainsi déclarer le 27 septembre lors de son point de presse hebdomadaire au siège de son parti : "Fillon s'émancipe à 56 ans... S'il s'émancipait des contenus des politiques, on y verrait là quelque chose de nouveau .Le Premier ministre "dit de manière peut-être plus polie les mêmes choses que Sarkozy", mais "sur le fond, il reste solidaire, sur l'essentiel, il reste uni", et applique "des politiques qui font mal aux Français. Nous ne sommes pas dupes de cette émancipation."
- ceci figure dans sa fiche Wikipedia que ses conseillers en communication ont manifestement rédigée.
- On se trouvait en présence d'une "procédure parlementaire accélérée". Pourquoi grands dieux, sinon en prévision du remaniement ?
- N° 2270 disponible aux formats pdf et html sur le site de l'Assemblée nationale.
- "Parmi celles-ci, 112 200 correspondent à un départ effectif en 2004, 102 210 à un départ en 2005, 107 710 à un départ en 2006, 115 120 à un départ en 2007, 122 200 à un départ en 2008 et 30 218 à un départ en 2009. On observe un afflux important de départs fin 2008, dû à l’anticipation par les futurs retraités de la modification des conditions liées à la durée validée et cotisée."
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique
sur le site de Lumière 101
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