Admirateur de Philippe Séguin, cet incontestable bonapartiste déclinait un panthéon comprenant De Gaulle, Buonaparte, Badinguet dit "Napoléon III", Pompidou et Clemenceau.
En toute objectivité, je dois reconnaître qu’il bénéficiait au départ d’un préjugé très défavorable. Impossible de me décevoir. Or, sur quelques points, il m’a plutôt heureusement surpris. Ceci confirme la fameuse règle de la bouteille à moitié vide : on peut toujours la regarder pour pleine dans une identique proportion. On s’attend au pire, on s’accommode dès lors du moindre mal.
Sur le problème des gitans, par exemple, ce professionnel des affaires économiques ne se laissa pas démonter par la fausse compassion. Il anticipait sans doute la volonté gouvernementale d’afficher une nécessaire fermeté. Il retourna donc la question à ceux qui l’interrogeaient dans quel pays ? à quelle époque ? la cohabitation des nomades et des sédentaires a-t-elle donné satisfaction ?
Asticoté par plusieurs journalistes inquisiteurs, il a fini notamment, en dernière analyse, un peu excédé, par affirmer une forme d'adhésion à l’économie de marché. Bien entendu, il croit convenable d’appeler cela "capitalisme". Ce concept ayant été développé (2) par Karl Marx, il ne peut s’utiliser sans colporter l’environnement intellectuel et dialectique du rat de bibliothèque du British Museum. Un tel fétichisme langagier nuit toujours à la clarté de notre entendement.
Cela étant posé, nous ne pouvons que prendre acte de la défense, par Henri Guaino, de ce que les marxistes appellent capitalisme.
Selon l’intervenant, en effet, il faut entendre par là, la forme et le cadre du développement matériel et culturel de l’occident depuis le XIVe siècle. Historiquement et techniquement il ne se trompe que de 300 ans. Si le mot capitalisme possède un sens, il revient à introduire un calcul financier de la rentabilité des fonds propres d'une entreprise.
Relativement à cette forme de gestion, liée elle-même à l'apparition en occident de la comptabilité en partie double, il semble bien qu'on puisse remonter un peu plus haut : probablement au XIe siècle où celle-ci apparaît en Flandres et à Venise. Ceci la place dans un contexte culturel catholique. N'en déplaise aux lecteurs de Max Weber et à ceux de ses admirateurs qui, ne l'ayant pas lu, croient dur comme fer que la réhabilitation théologique par Calvin du prêt à intérêt expliquerait l'essor de l'Europe occidentale.
En d’autres termes, notre ancien commissaire au Plan (1995-1998) nommé par le gouvernement Juppé reconnaît, quand même, l’aberration des modes dirigistes de programmation industrielle. Il se situe donc dans un camp qui pourrait l’acheminer logiquement vers ce qu’il appelle "la figure de l’entrepreneur".
Il installe, en effet, celle-ci au cœur de ce modèle occidental de référence. Jusque-là parfait, ou du moins réaliste.
Mais, il vient un "mais". Sous prétexte de séparer le capitalisme industriel de la spéculation financière, il caractérise celle-ci par des images qui se veulent repoussantes. Il cite évidemment celle de l’affreux traideur, popularisée ou plutôt "impopularisée" par les remous boursiers de l’année 2008. L’usine, dans laquelle il n’a jamais mis les pieds, lui semble la beauté même. La banque au contraire incarne la laideur. N’a-t-il pas travaillé, seule expérience du secteur [presque] privé [presque] concurrentiel au Crédit lyonnais, encore étatique, de 1982 à 1986 ? Le traumatisme ne s’en est peut-être pas effacé. Dans d’autres milieux, on chantera la louange de l’honnête coopérative agricole, et l’on crachera par terre en dénonçant les pratiques, nécessairement immorales, de la grande distribution. On ne peut alors que dénigrer les très vilaines centrales d’achat, etc.
Ce type de discours s’est particulièrement développé depuis quelques années, chez les représentants d’une certaine droite. L’expression "libre entreprise" leur brûle les lèvres. On les entend distinguer alors, de manière très moraliste le bon grain de l’ivraie. Au mépris de l’enseignement évangélique, auquel on ne manque pas cependant de faire référence probablement sans l’avoir vraiment lu (3), on prétend les séparer dès le départ.
Et l’on jette symboliquement au feu le détestable Argent Roi.
Moyennant quoi, dans le monde réel, les mêmes bons esprits sauvent en priorité les banques, au nom d’un keynésianisme vulgarisé. Et ils parviennent concrètement à organiser sur un mode monopoliste les positions des grandes surfaces au nom de l’urbanisme commercial concerté et renforcé, des lois Royer (1973) à Raffarin (1996) en passant par Bérégovoy. Et pour faire bonne mesure, et pour prétendre sauver ce qu’ils appellent encore le capitalisme, les mêmes bons esprits multiplieront les interventions administratives, les jus d’énarques, les arbitraires bureaucratiques. Les voici donc applaudir aux "nouvelles régulations".
On comprend mieux pourquoi M. Guaino parle de capitalisme plutôt que d’économie de marché, et encore moins de liberté. Avec des défenseurs de cette nature, le capitalisme n’a pas besoin d’adversaires.
Ils l'aiment, et le serrent si fort contre eux, qu’ils espèrent bien l’étouffer.
JG Malliarakis

Apostilles
- Émission "le Rendez-vous des politiques", avec Dominique Rousset, sur France Culture le samedi de 11 heures à 11 h 55.
- Précisions bien. Le mot "capitaliste" existe antérieurement à l’œuvre de Marx. On peut connaître sous occurrence sous la plume de Rivarol en 1789 : "60 000 capitalistes et la foule des agioteurs ont fait la révolution". Les "capitalistes" sont alors les détenteurs de capitaux mobiliers. Mais c’est Marx qui pose le capitalisme dans l’acception de M. Guaino et dans le vocabulaire courant. Il faut revenir à l’excellent petit Que sais-je rédigé naguère par François Perroux sur "Le Capitalisme". Au sens marxiste de ce terme, si l’on n’est pas communiste on est un partisan, un suppôt, du capitalisme. Bienvenue au club.
- Le passage est à lire, sans préjugé, dans l’évangile de Matthieu chapitre XIII versets 24 à 30 et 36 à 43.
Vous pouvez écouter l'enregistrement de cette chronique sur le site de Lumière 101
Les commentaires récents