Le Soubie va donc sans doute quitter le bureau du troisième étage de l’Élysée à la porte matelassée beige. Cette discrète murène va disposer de plus vastes locaux au 137 de la rue de l'Université. Il s'agit du siège de la société Arcaneo, spécialisée dans "l'événementiel dans le secteur des ressources humaines" (1) dont il vient de prendre le contrôle. Espérons que ce ne sera pas une nouvelle étape ascensionnelle dans la trop longue carrière du personnage.
En 2007 l'insubmersible avait été désigné à nouveau conseiller social du président de la république. En février 2010 encore, "La Croix" (2) dressait de lui un élogieux portrait d'architecte de la future réforme des retraites.
Certes, personne ne lit ce grand quotidien. On peut cependant se fier au jugement de ses rédacteurs, à condition d'en connaître la règle de fonctionnement : cette boussole indique toujours le pôle sud. Et de se féliciter de la grande idée sous-jacente à toutes les péripéties, gesticulations et galipettes autour du dossier.
Ainsi le journal salue-t-il en Soubie le compère de Jacques Delors, à l'époque du projet de "nouvelle société" de Chaban-Delmas qui inventèrent le SMIC hexagonal, interprofessionnel, indexé sur le taux de croissance. Mais bien plus, on voit en lui l'homme de la synarchie française intégrant les "partenaires sociaux", toutes tendances confondues, aux décisions qu'assume le pouvoir politique nominal.
Le but avoué, désormais, consiste en effet à y associer la CGT :"Je trouvais absurde, assure-t-il, que la première organisation française soit traitée comme si elle était dangereuse". Et son interlocutrice (3) le trouve "intarissable sur l’histoire du recentrage de l’ex-courroie de transmission du Parti communiste." Sur ce sujet passionnant, on aurait cependant aimé en savoir plus. Car, depuis que, de manière fort habile le camarade Thibault a transformé l'image de marque de la CGT, alors que l'appareil politique, – ce vieux PCF que les dirigeants cégétistes n'ont jamais renié – s'effondrait sur lui-même, on attend encore la moindre condamnation morale du stalinisme, le rejet du marxisme, la critique du léninisme.
Plus prosaïquement : en Chine, le parti unique se revendique encore théoriquement de Mao Tsé-toung. Mais il s'est rallié de manière radicale à l'économie de marché. En revanche, jamais la CGT n'a effectué la moindre démarche dans ce sens.
Ne perdons jamais de vue qu'un Soubie représente le monde des bureaucraties patronales. Rien à voir avec les petites entreprises. Son propre groupe se flatte de conseiller, en ressources humaines et communication, "80 % des sociétés du CAC 40".
Que signifie dès lors cet accord avec une centrale syndicale qui pratique la violence, ou qui ne la désavoue jamais autrement que du bout des lèvres ? La réponse nous renvoie à ce que le pouvoir mafieux en Italie préconisa pendant de longues années sous l'appellation de "compromis historique" avec le parti communiste. On se souviendra que le principal partisan de cette ligne, le lamentable Aldo Moro, fut assassiné (4) en 1978 par les brigades rouges, c'est-à-dire par la faction violente et terroriste du parti communiste. Ce réseau d'action ensanglanta la Péninsule parce qu'il ne voulait pas du fameux "compromis", croyant encore à la soviétisation de la Méditerranée.
En 1969, issu comme il le dit joliment "d'une veille famille laïque", l'énarque Soubie entrait comme conseiller social au cabinet de Fontanet, ministre du travail. Macabre hasard, sinistre coïncidence, celui-ci tombera en 1980 sous les balles, nous assura le ministre de l'Intérieur, d'un "automobiliste irrascible". (5)
Depuis 40 ans, on a vu le Soubie chuchoter à l'oreille de tous les gouvernements élus par la droite, sous Giscard, sous Chirac, sous Barre, sous Balladur, sous Raffarin, etc. Il leur dictait avec l'accord du CNPF devenu Medef, la ligne de conduite à tenir notamment dans le domaine de la sécurité sociale.
On a pu en mesurer les effets désastreux. Disons bien nettement à ce sujet que les réglementations, minimums sociaux et dispositifs successifs mis en place de la sorte, depuis 40 ans, pour "acheter la paix sociale" peuvent, un par un, s'analyser comme autant de sources de tous les mécanismes d'exclusions qui favorisent, par exemple, le sous-emploi des quinquagénaires, la liquidation des entrepreneurs individuels, etc.
Le passage en 1995-1996, sous Juppé, du vieil accord avec Force Ouvrière à un pacte avec la CFDT n'a pas, depuis 15 ans, amélioré, bien au contraire, la situation des comptes sociaux. Cette nouvelle gestion en a renforcé l'opacité.
L'intégration de la CGT dans le dispositif développera évidemment d'autres conséquences encore plus catastrophiques. Impôts et charges, contraintes et contentieux, les tracasseries des uns, les passe-droits des autres favoriseront un peu plus les délocalisations.
Je me rends compte soudain que j'emploie, pour décrire une telle funeste hypothèse, le futur simple de l'indicatif au lieu du conditionnel. Pour l'instant, rien de fait. Le départ de Soubie pourrait sans doute, imagineront certains, annoncer l'interruption du processus.
On cherchera même à nous consoler en disant : "on peut toujours rêver."
Il vaudrait peut-être mieux alerter l'opinion, prendre contact avec les élus, expliquer clairement que la défection des électeurs sanctionnera cette constante ouverture à gauche, accomplie de manière unilatérale, et en faveur de laquelle les Français n'ont jamais voté.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. Laurent Chabrun dans "L'Express" le 16 juillet 2010 à 07 h 00
- cf. "La Croix" du 5 février 2010 à 18 h 31
- Nathalie Birchem dans "la Croix".
- À remarquer le nombre de gens qui emploient à ce sujet, s'agissant de ce genre de crimes, le mot "exécuté" qui, en français, suppose une décision de justice.
- La diffusion d'une telle thèse, franchement invraisemblable, en renforce le mystère. "Mais ceci est une autre histoire".
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique
sur le site de Lumière 101
On comprend mieux pourquoi certaines mesures stupides (et suicidaires) ont été prises alors que la majorité des électeurs qui avaient mis en place un gouvernement "de droite" y était opposée. Citons par exemple l'augmentation annuelle systématique du SMIC et le "coup de pouce" traditionnel de juillet qui a mis par terre des milliers de petites entreprises et fait remonter sensiblement le taux de chômage.
Rédigé par : Pierre-Ernest | lundi 19 juil 2010 à 22:32