Le personnage avait fait toute sa carrière, militant du parti gaulliste depuis sa jeunesse (1), – car, sans en avoir l'air, il a été jeune – dans le sillage de Juppé. Eh bien, le 28 juin, le maire de Bordeaux le désavoue. On sait combien le fondateur de l'UMP, l'homme dont Chirac avait fait son successeur favori, symbolise la rigueur et les principes, s'agissant du fonctionnement des partis politiques. Les juges de Nanterre ont même pu mesurer combien l'ancien Premier ministre, toujours "droit dans ses bottes", prenait au sérieux le pouvoir judiciaire : il prétendait à la barre du tribunal ignorer qui rémunérait, en l'occurrence illégalement, sa propre secrétaire. Le voilà donc bien placé pour donner des leçons de morale civique, de déontologie, à l'actuel ministre du travail, trésorier de fondation du parti créé en 2002, répétons-le, par Juppé lui-même.
Parallèlement il est vrai on pourra juger d'assez mauvais goût la montée en épingle de ce procès sordide entre une mère âgée, une fille pressée d'hériter et un ami vraiment "très cher".
Lâché par les siens, harcelé par la gauche, le père ou le parrain de ce qu'on appelle encore la réforme des retraites en arrive donc à susciter la compassion.
Par deux fois le 26 juin, puis le 27 juin, "on" lui a réaffirmé une confiance totale, tellement ardente, qu'elle en sent le sapin.
Plus personne ne s'intéresse donc plus à l'observation, à l'analyse, au chiffrage, de la nouvelle couche de répartition sur laquelle le gouvernement devrait se prononcer le 13 juillet et le parlement débattre probablement en septembre et octobre. Entre l'allongement de la durée des cotisations et le déplacement de l'âge théorique du départ en retraite, choix déjà bien restreint, et dont même les présupposés philosophiques n'intéressent personne, le débat ne passionne même plus les foules. Celles-ci se contentent de ronchonner. Elles remarquent sans joie qu'on rogne leurs droits acquis, ou entrevus, d'une manière ou d'une autre.
Merveilleuse circonstance par conséquent que cette affaire Bettencourt. Providentiel mouchardage de la part de ce majordome indélicat. Aberrante révélation que celle de comptes en banques dont la pénalisation ne privera personne de son pain quotidien. Soulignons à ce sujet que toute amende fiscale infligée à l'actuelle propriétaire de L'Oréal viendrait en déduction de l'héritage de sa charmante fille, perspective qui doit certainement émouvoir cette mère attendrie.
Au gré d'un tel bouleversant psychodrame, et au rythme d'un tel vaudeville, toute la classe politique retrouve son compte. La droite, ou ce qui en tient lieu, va pouvoir serrer bien fort ses petits poings métaphoriques. S'appuyant énergiquement sur les principes, jusqu'à ce qu'ils craquent, elle crie à l'inconvenance, à la présomption d'innocence, au complot. "Il ne faut jamais rien céder sous la pression", expliquait gravement un élu UMP. On concédera donc sans pression.
Je répète le cauchemar que je vois chaque jour se dessiner, pour le lendemain du pyschodrame et du vaudeville. Le scénario a été écrit par les murènes Guaino et Raymond Soubie, tapies dans l'ombre propice des antichambres élyséennes J'entrevois une poignée de main entre le chef de l'État et le chef de la CGT. On se sera accordé, après quelques semaines d'agitation factice, sur un mi-parcours commun, laissant sur place les rivaux du centre, pour le premier, les sociaux-démocrates exécrés pour les seconds.
Le 26 juin encore, seuls quelques professionnels de l'autoallumage tels Arnaud Montebourg au parti socialiste ou Eva Joly faire-valoir de Cohn-Bendit à Europe-Écologie demandaient la démission de Woerth. Mme Aubry déclarait "attendre des éclaircissements" sur l'affaire Bettencourt. Depuis, la rumeur et les grondements se sont enflés. N'oublions pas que nous entrons dans les préparatifs d'une campagne présidentielle et d'un scrutin législatif. À pérorer, comme l'a fait Ségolène Royal le 29 juin sur un "système corrompu" on se dispense de prendre vraiment position sur la question des retraites.
Et, de ce point de vue, pseudo-réformateurs élus au nom de la droite et pseudo-conservateurs parlant au nom de la gauche ne jouent pas seulement à front renversé : ils ne proposent rien, rien en tout cas de ce qu'attendent légitimement les Français.
Classés à droite ou à gauche, qu'ils prennent position pour ou contre l'inexistant Woerth, nos dirigeants, nos énarques et nos maîtres ne s'intéressent pas au libre choix des gens, ne se préoccupent pas d'encourager l'épargne du pays qu'ils pillent, pas plus qu'ils ne respectent le travail ou l'initiative des individus. Voilà le vrai débat.
JG Malliarakis
Apostilles
- Utiles précisions biographiques rappelées sur la 5 à l'émission "C dans l'air" du 28 juin.
sur le site de Lumière 101
Je déplore de ne pas pouvoir participer à votre travail de salut et d'assainissement public. Au moins je peux vous remercier pour ce que vous faites, sachant que nous avons la chance de croire qu'il y a au-dessus de nous le Dieu de Vérité et de Justice.
Vincent Tanazacq
Rédigé par : TANAZACQ Vincent | mercredi 30 juin 2010 à 16:18
Il est également intéressant de souligner le point d'origine de l'affaire...
Les méthodes de Mediapart d'Edwy Plenel ont plus à voir avec l'agit prop trotskyste qu'avec le journalisme.
Curieux quand même ce maître d'hôtel enregistreur tellement civique.
Rédigé par : Georges | jeudi 01 juil 2010 à 00:08
Je suis un banquier suisse et je ne saurais me défendre d'une certaine "Schadenfreude" à voir dans la mélasse, non seulement Woerth, mais aussi Sarkozy, ces deux grandes consciences anti secret bancaire.
Les deux sont bien connus des banques genevoises,et fustigent des pratiques que [•••]. C'est un comble. Disons que c'est l'arroseur arrosé, ou la justice immanente.
J'ai espéré pendant longtemps que les banques suisses montent elles-mêmes de toutes pièces une grosse affaire de ce genre pour faire tomber un gouvernement européen (peu importe lequel, tout politicien d'un certain niveau a des comptes en Suisse) par quelques indiscrétions discrétemement répercutées dans les médias.
S'agissant d'une société presque suisse (L'Oréal) je me demande si l'affaire du majordome ne serait pas la vengeance des banques suisses. Auquel cas ce serait bien joué et j'espère que cela servira de leçon.
Hélas, les gnomes ne sont plus ce qu'ils étaient et je doute qu'ils aient eu le cran d'organiser cette brillante opération. C'est plutôt un cafouillage franco-français, certes consolant pour nous autres banquiers suisses, mais dans la bonne tradition de l'affaire Teste-Cubières sous Louis-Philippe.
Il ne manque qu'un Daumier pour la mettre en dessins.
Rédigé par : Helveticus | mardi 06 juil 2010 à 14:45