De la sorte, ce 8 juin, au lendemain du report de la rencontre entre notre cher président et le chef de l'exécutif outre-Rhin, Le Monde posait à ses lecteurs la question suivante : "L'annulation dans l'après-midi même du dîner Merkel-Sarkozy qui devait se tenir à Berlin au soir est-il selon vous
1° le signe d'un désaccord profond entre l'Allemagne et la France sur la politique européenne à mener face à la crise
2° ou un report sans signification grave ?
à 18 h 40, 895 personnes s'étaient exprimées, soit une taille d'échantillon considérée comme représentative dans la théorie statistique. 8,9 % se disaient sans opinion ; 23,5 % seulement se ralliaient à la seconde proposition, qui me semblait superficiellement la bonne ; et une majorité écrasante, plus des deux tiers des lecteurs, 67,7 % croient à une divergence significative.
Quoiqu'il m'en coûte, je me vois presque obligé, à la réflexion, contre mon premier mouvement, de leur donner raison. À force de dire aux Français qu'ils pensent collectivement ceci ou cela, et que leurs partenaires pensent à l'unisson le contraire, on finit par creuser non plus une discussion entre deux équipes gouvernementales, mais un fossé entre deux pays.
S'agissant d'un objet de débat aussi grave une telle perspective peut être tenue pour catastrophique. Elle pourrait remettre en cause le seul acquis vraiment positif de la Ve république en politique extérieure : l'entente scellée entre De Gaulle et Adenauer, continuée par Giscard et Schmidt, puis Kohl et Mitterrand. Dans les 20 dernières années, en effet, les dirigeants français successifs, Chirac et Juppé comme Jospin, Villepin comme Sarkozy, n'ont manifestement pas su tirer les leçons de l'évolution de l'Europe.
On doit particulièrement se préoccuper aussi de cette confusion de l'identité d'un pays avec les pires défauts de ses gouvernants et des quelques ruffians qui en tirent profit (1).
La question de l'équilibre budgétaire et du recours systématique à l'emprunt pollue certes la vie politique et sociale française depuis 1683, date de la disparition de Colbert. Or, en toute objectivité historique, cette date correspond au vrai point de départ du lent déclin de l'influence française sur le continent et sur les mers. À partir de cette date, le royaume puis la république tendent à investir dans le déficit donc dans le gaspillage plutôt que dans l'industrie. Les quelques tentatives de remise en ordre ont succombé successivement devant les forces conjuguées de la démagogie et des intérêts très matériels de ceux qu'on appelait sous l'Ancien Régime les "traitants".
Il faut une bonne dose de naïveté pour les croire absents du paysage contemporain.
La régence du FMI se profile lentement mais sûrement à Paris. Elle promet dès lors de se révéler aussi corrompue et banqueroutière que celle du duc d'Orléans après 30 ans d'incurie financière des continuateurs aberrants du colbertisme et de pillages pharaoniques. À sa manière, Libération titrant, en première page de son édition du 8 juin "DSK est-il de gauche ?" n'a pas totalement tort de s'interroger de la sorte.
On aurait pu imaginer que les quelques disciplines du traité négocié à Maastricht en 1991, suivies de celles du pacte de stabilité, encadreraient désormais de manière plus sérieuse l'incurie de nos technocrates. Hélas on constate plutôt que nos dirigeants mettent un point d'honneur à demeurer dans la tradition de l'inflation et de l'endettement.
Mme Merkel, au contraire, a annoncé de son côté un programme de remise en ordre des finances allemandes. Son propos explicite tend à sauver sa monnaie afin de sauver l'Europe. Certains ne manqueront pas d'en souligner les points faibles. Certaines qualités de Mme Thatcher redressant durablement la Grande-Bretagne de 1979 à 1990 font éventuellement défaut, diront aussi ses détracteurs, à la chancelière de Berlin. Seul l'avenir pourra nous dire si elle demeure dépourvue d'atouts peut-être plus importants que ceux de la Dame de Fer. Rappelons par exemple que la situation de son pays part, malgré toutes les inquiétudes actuelles, sur une base plus favorable que celle de l'Angleterre déliquescente des années 1970.
On observera d'ailleurs la contradiction des gens les plus réticents. Ils contestent le moindre encadrement des budgets nationaux, destiné observer leur conformité globale avec les clauses monétaires des accords européens. Mais ils se croient autorisés à entrer eux-mêmes dans les détails des décisions internes du pays voisin. Ils refusent ainsi se rendre compte que, même contestable, ce plan devrait se révéler meilleur que l'absence de redressement.
Bien entendu, on pourra toujours rappeler que la rigueur ne doit pas tendre à la déflation. Une monnaie forte dans une économie faible ne console que les rentiers. Nos cousins germains le savent mieux que quiconque.
Cessons de croire que les peuples ont toujours été dupes de la démagogie du parti du déficit et de l'endettement maximum généralisé. Pendant fort longtemps des opinions divergentes ont pu s'exprimer dans notre pays. On ne les qualifiait pas obligatoirement de "dérapages populistes". Aujourd'hui, on affuble de cette étiquette toutes les oppositions à la pensée unique. Ainsi donc, il a toujours existé, jusqu'ici, dans le passé de notre pays, des objections, des critiques lucides, des analyses clairvoyantes des conséquences, prévisibles et inéluctables, de tous les gaspillages démagogiques des hommes de l'État encouragés par des financiers sans scrupules.
Edgar Faure fut lui-même un assez déplorable ministre des Finances radical-socialiste, et président du Conseil en 1955. Historien à ses heures, il a livré au public deux gros volumes, épais dans la forme, légers dans leur réflexion, aux questions économiques du XVIIIe siècle. Le premier est consacré à la banqueroute de Law (2). Il fait mine d'analyser le gouvernement de l'époque ayant précédé l'arrivée du funeste magicien écossais comme il parlerait des ministres de la droite modérée, sous la IVe république, et notamment Antoine Pinay, auxquels il avait lui-même succédé.
Tout en prétendant réhabiliter le ministère du duc de Noailles (1715-1717), artisan d'une tentative de rigueur, il prend soin de l'habiller en vue des longues soirées d'hiver de la mémoire.
"Nous avons observé, ose-t-il écrire, aussi bien en Angleterre qu'en France cette hantise de l'endettement où il entre une part d'irrationalité et peut-être un phénomène de rejet venant de l'inconscient collectif des peuples."(3)
Aujourd'hui, par conséquent, il convient de saluer, en Mme Angela Merkel et son gouvernement, la principale force en Europe exprimant l'inconscient collectif des peuples, particulièrement français et britannique.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. Dans son livre "Une Main cachée dirige" Jacques Bordiot veut voir dans cette conjonction la marque d'une conspiration.
- cf. "La banqueroute de Law (17 juillet 1720)" collection "Les Trente journées qui ont fait la France", Gallimard 1977, 742 pages
- Op. cit. page 102.
sur le site de Lumière 101
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