Comme tous les doublons linguistiques, ce mot, figurant au départ dans sa langue originelle introduit une incompréhension dommageable. En anglais il signifie, d'abord, un entretien, éventuellement une entrevue. Transposé en français, il suppose également une certaine procédure journalistique, quelque peu différente, comportant des questions (1) et des réponses, éventuellement visées avant publication par la personne interrogée.
En l'occurrence on se demande vraiment ce que le FT britannique cherche à distiller auprès de ses lecteurs. L'idée d'un discord franco-allemand fascine toujours, semble-t-il, certains cercles influents chez nos amis londoniens. Et quoi de plus efficace, que de se situer dans le contexte d'une discussion aussi complexe que celle prenant prétexte de ce qu'on appelle "la crise grecque".
Bien évidemment, le fond du débat tourne, en fait, autour de la proposition avancée par diverses voix, souvent originaires d'outre-Rhin, celle d'un "fonds monétaire européen". On remarquera par exemple que M. Trichet, citoyen français jusqu'à nouvel ordre, a cru bon de trouver l'idée judicieuse (2), deux jours avant la publication des déclarations prêtées à Mme Lagarde.
À ce sujet on peut distinguer la charge symbolique du principe d'un tel projet des modalités techniques périlleuses de sa réalisation. Il convient aussi, on va le voir, de ne pas confondre questions monétaires (3) et réalités industrielles.
Or si les propos de notre ministre sont commentés et amplifiés, dans le sens d'une discordance franco-allemande, ceci s'inscrit hélas dans un autre contexte essentiellement franco-français.
À ce propos, on ne doit pas seulement considérer la conjoncture politique, évidemment défavorable au chef de l'État.
On mesurera aussi l'arrière-fond.
Il souffle comme un vent mauvais de retour de ce pays vers ses démons. Certains croient, ou feignent de croire, au commerce extérieur subventionnaire. Tout simplement : ils en vivent. Ils nourrissent donc dans le public l'illusion des gros contrats négociés au niveau des États, en jouant parfois de la corde patriotique, quand elle existe. Ceci renforce les caractéristiques bien connues de l'économie dirigiste, et pourquoi pas planifiée. Tant que le principal inspirateur du président de la république demeurera M. Guaino, ancien commissaire au Plan, tant que l'ombre d'un Séguin projettera sa nuisible influence sur le gouvernement, le soupçon s'en développera légitimement.
Nous ne résistons pas à la tentation de comparer, cette situation, et cet entretien mal interprété avec celle qui résulta, il y a exactement un demi-siècle de cela d'un autre article de presse célèbre publié le 18 janvier 1960 dans la Süddeutsche Zeitung.
Un journaliste nommé Kempski rend publics ce jour-là, des propos provocateurs, explosifs, du général Massu (4). La Cinquième république entre alors dans une crise grave. Le 24 janvier commence à Alger la fameuse "semaine des Barricades". Le 13 janvier Antoine Pinay, maître d'œuvre de l'assainissement financier de 1958-1959, avait démissionné. Jacques Soustelle quittera le gouvernement le 5 février. Tout ceci correspond au tournant de la guerre d'Algérie.
On a souvent suggéré dans cette publication la trace d'un complot, éventuellement soviétique, l'auteur étant né en Poméranie "donc à l'est" [assimilation absurde, cela va sans dire : un Poméranien éprouve le plus souvent à l'endroit des Russes et des Polonais les sentiments que les Pieds-Noirs portent aux Algériens, etc.], "donc agent du KGB", etc. On ne prête qu'aux riches. Remarquons en l'occurrence que la preuve de telles supputations, rumeurs et hypothèses n'a jamais été rapportée. Hans Ulrich Kempski (1922-2007) fit une carrière assez notable et constante, de 1949 à 1987, dans le grand quotidien de Munich comme correspondant de guerre et reporter en chef. Il a laissé en 1957 des souvenirs sur la Chine et le Japon (5), et en 1999 "Sur le pouvoir" à Bonn. Rien de tout cela n'a été traduit en français, ce qui semble écarter l'hypothèse d'une connexion avec les réseaux gaullistes.
Ce chroniqueur est simplement parvenu, un beau jour, à faire dire à ce militaire, qui toute sa vie demeura fidèle au gaullisme (6), ce qu'il pensait, non pas en raison de ce qu'il devinât de la politique algérienne globale, mais de sa propre opposition aux orientations de Pierre Guillaumat, porte-parole au sein du gouvernement des intérêts pétroliers. Telle est la stricte réalité. Le reste relève de la surinterprétation. En fait de manipulation internationale, il faut plutôt remarquer l'honnêteté et le sérieux d'un journaliste, échappant aux verrouillages de la langue de bois parisienne. On s'étonnera aujourd'hui encore que certains confondent l'apologie des carences évidentes de la presse hexagonale avec une sorte de "devoir nationaliste" français. Sans doute ont-ils très mal lu les maîtres de la pensée dont ils se réclament.
Pour revenir à l'actualité, que l'Histoire éclaire, le "vent mauvais" du retour au dirigisme réside surtout dans les commentaires, explications de texte, dérivations. "Le Monde", "l'Expansion", "Les Échos" s'y sont employés les premiers. Le reste des médiats hexagonaux a suivi. La prétendue blogosphère, prétendument libre, n'a fait comme d'habitude que développer son "beuse" (7).
Un passage essentiel de l'entretien semble restituer la logique interne du propos réellement tenu par notre ministre des finances. Elle y déclare en effet au correspondant du Financial Times son admiration pour les efforts réalisés outre-Rhin :
"Il est clair que l'Allemagne a réalisé un travail remarquable dans les 10 dernières années. Elle a amélioré sa compétitivité. Elle a fait durement pression pour abaisser le coût du travail. Quand on observe le coût de l'unité de travail en Allemagne, de ce point de vue, l'œuvre réalisée est admirable. Je ne suis pas sûre cependant ajoute-t-elle, que ceci puisse constituer un modèle durable, ni une exemple généralisable à l'ensemble du groupe. Nous avons évidemment besoin de plus de convergence".Voilà un problème assez bien posé, – quoique le concept d'unité de travail renvoie à une conception non exempte de marxisme et de mercantilisme. Il se trouve que les technocrates de Bercy le résolvent mal. Les disciplines qu'il suppose font peur à leur pusillanimité politique et aux complaisances du régime français vis-à-vis de la CGT. En ce sens le socialiste grec Georges Papandréou a fait preuve, depuis quelques mois, de plus de lucidité, de courage, et de sens national, que les énarques français.
Mme Angela Merkel a répondu à ces derniers ce 17 mars au Bundestag, lors d'un débat sur le budget 2010 :
"Nous n'allons pas abandonner nos atouts au prétexte que nos produits sont peut-être plus demandés que ceux d'autres pays. Cela serait la mauvaise réponse à apporter à la question de la compétitivité de notre continent. Un gouvernement économique européen doit s'aligner sur les États membres les plus rapides et les meilleurs, pas sur les plus faibles".Dois-je souligner, ici, que je me sens plus proche de ce raisonnement de Mme Merkel que de celui des technocrates et des gens qui pillent la France ?
JG Malliarakis
Apostilles
- Le texte du Financial Times n'en précise aucune. On ne sait ni dans quel ordre, ni selon quelle logique les propos rapportés du ministre français ont été tenus. Le piège vient aussi de ce que Mme Lagarde, brillante juriste internationale s'exprime parfaitement en anglais, et aura accepté très probablement de répondre dans cette langue à son interlocuteur.
- Dans un entretien accordé, aux États-Unis, à "Fox News" le 12 mars.
- cf. sur ce dernier terrain la critique de Georges Lane
- tenus exactement le 16 janvier.
- "Soleil rouge en territoire jaune" Stalling, Oldenburg, 1957
- Il m'a encore personnellement confirmé cette fidélité sans faille au soir de sa vie. On rapporte ce dialogue entre lui et De Gaulle : "Alors Massu toujours aussi c… ?"– réponse : "Toujours gaulliste, mon général !". Si non è vero è ben trovato.
- J'espère que mes lecteurs et amis me pardonneront cette écriture phonétique à laquelle je m'applique toujours. J'y vois ici un avantage supplémentaire, apparentant ainsi l'écume et la rumeur à une boue, pour ne pas dire à une bouse.
15.3 Trop de réformes ont tué la réforme
12. 3 La dérive de la diplomatie turque
utilise son négationnisme cynique et imperturbable
1er. 3
Nominations en pagaille
24.2 On relance la question turque en pleine crise institutionnelle
22.2 Sur les causes profondes de la précarité
19.2 Le gauchisme maintenant et toujours
18.2 La plaie du communautarisme n'en finit pas de s'envenimer
17.2 Privilèges et gréviculture cégétistes
16.2 Absurde scrutin régional
15.2 Les trois erreurs de Cohn-Bendit
3.2
Un échec des marxistes latino-américains
2.2
L'instrument Villepin décevra la gauche
29.1 Pourquoi Aubry accepte le prix du ridicule
28.1 Les magistrats veulent faire taire les critiques
27.1La collusion entre le pouvoir et la CGT
26.1 Ombres sur la libre expression
25. 1 La prochaine crise pourrait nous rendre intelligents
14. 1 La classe politique peut pleurer sur elle-même et sur sa propre impopularité.
13.1 La CGT Marseille et la rigueur des sectes
12.1 Situation du patriarche œcuménique Bartholomée
8.1 Batailles pour l'Histoire
5.1 Pourquoi la gauche fusille Camus en effigie
4.1 Comment les Turcs regardent leurs alliances
1er.1 La fin du Père Noël
30.12 La jurisprudence Julien Dray petit-fils d'horloger
23.12 Nora Berra doit présenter des excuses ou quitter le gouvernement
22.12 La pression mondialiste peut devenir totalitaire
21.12 Copenhague entre gauchistes et financiers
18.12 La nuisance Séguin a encore frappé
14.12 Le fiscalisme hexagonal instrument du jacobinisme
10.12 La victoire caricaturale de l'affreux Frêche
7.12 Remettre Croizat à sa place.
5.12 Le coût de la pré-adhésion turque
27.11 La redécouverte du risque souverain
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique
sur le site de Lumière 101
L'Union monétaire n'a plus de réserves à son crédit autres que celles de ces opérations de repurchase agreements avec lesquelles elles financent les obligations monétaires des Etats membres en ponctionnant sur l'épargne des pays riches au profit des pays pauvres. Il est clair que les désiquilibres actuels des balances des paiements entre les Etats membres de l'UE condamnent les pays déficitaires à une austérité en contradiction avec les professions de foi en l'Etat providence, au nom de laquelle les politiques ont vendu l'Europe à leurs concitoyens lors des négociations d'adhésion. Jusqu'à une date récente, l'UE était associée à l'idée de la manne monétaire ou des prébendes sous forme d'ouverture de postes dans les institutions européennes ou des subventions en tous genres au titre du rattrapage communautaire. En période de déflation, les termes de l'échange s'inversent et la bénédiction de la participation à l'Union monétaire devient malédiction pour les pays qui ne sont pas en mesure de dégager les excédents d'épargne nécessaire au soutien de leurs finances publiques. Il est clair que faute d'avoir respecté l'orthodoxie budgétaire et monétaire prévue par Traité de Maastricht, les contrevenants s'exposent maintenant à la sanction des marchés qui apparaissent comme les véritables maîtres du jeu. La mise en oeuvre du Traité de Lisbonne refusé avec raison par les peuples européens prend des allures de potion amère qui ne peut qu'accélérer la décomposition d'un système institutionnel incapable de justifier des sacrifices exigées par des établissements financiers responsables du marasme actuel avec la complicité des gouvernements.
Rédigé par : Nicolas | jeudi 18 mar 2010 à 20:01
Comme vous le suggérez, la notion de "coût unitaire du travail" fait cheminer sur des voies dévastatrices.
Vous en donnez deux, j'en ajouterai une troisième que vous connaissez bien, celle du "dumping social" (cf. http://blog.georgeslane.fr/category/Economie-europeenne/page/8 )
Madame Lagarde ne l'a pas prise contrairement à ce que font souvent ses homologues français.
Espérons que ce n'est pas que partie remise.
Rédigé par : G.L. | dimanche 21 mar 2010 à 14:02