L'historique de cet établissement mérite qu'on s'y arrête. Il ne manque pas d'illustrer les déboires de l'intervention étatique. L'usine est issue en effet, affirme-t-on désormais, de la volonté politique, qui aurait été prise "dans les années 1960" de décentraliser en Bretagne une activité de Renault, décision prise il y a bien longtemps par le gouvernement de Georges Pompidou. Et en juin 2009 la maison-mère d'origine aurait été amenée, afin de sauver l'emploi de plus de 500 salariés d'en reprendre le contrôle
La réalité diffère quelque peu de cette présentation des faits. Cette entreprise très particulière ne fait que continuer les "fameuses" Forges d'Hennebont, haut lieu de la contestation gauchiste d'autrefois. Dès 1946, le plan Monnet vient au secours, à coup de subventions, de ces vieilles installations, déjà menacées de fermeture. De 1950 à 1958 un coûteux plan de modernisation tente de les mettre à niveau de la sidérurgie lorraine. En 1963, un dépôt de bilan n'empêchera pas la continuation de l'exploitation, avec l'aide de l'État. On imagine alors un "serment d'Hennebont". Les ouvriers forgerons s'engagent, avec le soutien des habitants à lutter contre la fermeture programmée des forges et à jurer de rester unis pour les sauver. En 1966, cependant le ministère décide de mettre fin à son appui financier. Et, en 1968, les 300 derniers salariés sont affectés à une filiale de la régie Renault créée sous le nom de Société bretonne de fonderie mécanique. Le site déplacé à quelques kilomètres du précédent correspond ainsi à un nouveau centre de production, et de pertes financières. Nos protestataires proposent véhémentement aujourd'hui d'en prolonger l'activité, avec l'argent des contribuables.
Or à observer honnêtement les propos du syndicaliste, et ceux de son interlocuteur présidentiel, on remarque un parfait emboîtage. L'un s'indigne à propos des "salaires mirobolants" qui le "choquent". L'autre lui répond : ceux des sportifs, des traideurs... "Elle est facile celle-là", rétorque Pierre, qui préfère évoquer ceux des grands patrons. Et une récente actualité lui donne quand même raison. L'image du dirigeant à double casquette de Veolia nommé à la tête d'EDF vient utilement servir de méchant du film. En revanche, l'argument du "chef d'entreprise efficace bien rémunéré", préférable à son correspondant mauvais gestionnaire peut paraître imparable. On déplorera cependant son apparentement au registre des débats internes à la défunte Union Soviétique : "fallait-il ou non surpayer les nomenklaturistes ?" Les gauchistes d'hier, comme le camarade cégétiste français du XXIe siècle, répondaient "non" dès la constitution de l'opposition ouvrière en 1919. Les bureaucrates du Kremlin pratiquèrent invariablement le développement de la hiérarchie des traitements. Dans "Mea Culpa", son livre de 1936, qu'on ne lui a jamais pardonné, Louis-Ferdinand Céline compare avec brio le bonheur du "bel ingénieur" en regard de la détresse du moujik.
Mais sur le fond, une fois la marge du curseur et du discours de la lutte des classes mise de côté, le cadre étatiste semble convenir identiquement aux deux débatteurs.
Et le lendemain même de l'émission (1), on recevait la confirmation éclatante de la convergence. L'usine si vaillamment défendue par le gentil cégétiste allait obtenir un chèque 1 035 000 euros. Il existe encore dans ce pays une Délégation à l’aménagement du territoire, la "DATAR", que diable ! Sur une proposition providentielle de cet organisme si utile, inventé en 1963, la "Commission interministérielle des aides à la localisation des activités" a autorisé le versement de cette somme miraculeuse. Elle permettra la création de 16 emplois et la reprise de 398 autres.
Nous ne poserons même pas la question de la durée pendant laquelle cette mesure de sauvegarde laissera en vie la fonderie, en attente d'une nouvelle subvention.
Nous nous demanderons simplement ce qu'aura représenté en 64 ans, depuis le plan Monnet de 1946, la valeur cumulée et actualisée des versements publics et des exonérations qu'a obtenus cette industrie. On se souviendra que depuis un demi-siècle elle oscille entre 400 et 600 emplois.
Par conséquent on devrait s'autoriser à faire figurer d'un côté ce qu'on voit et de l'autre ce qu'on ne voit pas (2) : d'un côté les malheureuses familles des ouvriers, provisoirement maintenus dans des emplois, certes mal rémunérés mais peu productifs, de l'autre les centaines de petites entreprises artisanales que la fiscalité et les charges sociales ont fait mourir ou empêché de naître, dans le même département du Morbihan, sur la même période. Ce calcul comparatif de la misère conservée et de la précarité développée, en face de la prospérité avortée permettrait d'ouvrir les yeux des gens de bonne foi.
D'un côté par conséquent on découvre un jugement inattendu du chef de l'État : "La stratégie de Renault ces dix dernières années, je ne l'accepte pas" (3).
De l'autre on doit aussi se préoccuper de la montée de la CGT comme syndicat de référence, de plus en plus centralement présent, autant dans les sphères gouvernementales qu'auprès de la direction du parti socialiste sous le règne de Mme Martine Aubry. Nos politiques semblent de plus en plus préférer la vieille centrale stalinienne aux syndicats réformistes tels que la CFDT ou Force ouvrière.
Une impression de malaise se dégage de telles connivences, convergences ou collusions.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. Ouest-France du 26 janvier 2010.
- Formule bien connue de Frédéric Bastiat
- Déclaration sur le plateau de TF1 le 25 janvier.
26.1 Ombres sur la libre expression
25. 1 La prochaine crise pourrait nous rendre intelligents
14. 1 La classe politique peut pleurer sur elle-même et sur sa propre impopularité.
13.1 La CGT Marseille et la rigueur des sectes
12.1 Situation du patriarche œcuménique Bartholomée
8.1 Batailles pour l'Histoire
5.1 Pourquoi la gauche fusille Camus en effigie
4.1 Comment les Turcs regardent leurs alliances
1er.1 La fin du Père Noël
30.12 La jurisprudence Julien Dray petit-fils d'horloger
23.12 Nora Berra doit présenter des excuses ou quitter le gouvernement
22.12 La pression mondialiste peut devenir totalitaire
21.12 Copenhague entre gauchistes et financiers
18.12 La nuisance Séguin a encore frappé
14.12 Le fiscalisme hexagonal instrument du jacobinisme
10.12 La victoire caricaturale de l'affreux Frêche
7.12 Remettre Croizat à sa place.
5.12 Le coût de la pré-adhésion turque
27.11 La redécouverte du risque souverain
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique
sur le site de Lumière 101
Bonjour Monsieur,
"Une impression de malaise se dégage de telles connivences"
Votre phrase me rappelle le fameux livre de M. Druon "la France aux ordres du cadavre"!
Rédigé par : daredevil2007 | mercredi 27 jan 2010 à 18:59