En toute humilité je crois pouvoir dire que mon petit livre apporte d'ailleurs, sur la Question Turque, deux ou trois idées un peu nouvelles pour le public français.
La première, d'ordre historique, porte sur ce que j'appelle les "racines jacobines" des crimes de cet État.
Le kémalisme, universellement loué comme progressiste, constitue ainsi le chaînon manquant entre l'idéologie laïciste du grand orient de France et le mouvement communiste international. Il préfigure les options du tiers-monde. Par ailleurs, ses filiations totalitaires l'ont rattaché, de manière assez ouverte, au national-socialisme allemand jusqu'en 1945. À partir de 1946, il s'affirme régime démocratique. Il revêt alors l'habit neuf du multipartisme. Certes le costume ne lui va guère. Il le gène aux entournures. Et, depuis 1960, l'armée républicaine chassera par la force d'un coup d'État plusieurs gouvernements issus des urnes, mais que l'État-Major jugeait contraires à ses vues. Aujourd'hui encore les réseaux de comploteurs qui fourmillent dans les forces armées et dans la gendarmerie appellent cela "lutter contre la réaction".
Il s'ensuit que l'alliance nouée, au nom de l'occident, par les experts de Washington, d'Israël et de l'Otan, repose sur une illusion.
Et celle-ci ne peut entraîner, par conséquent, que des désillusions.
Or l'enquête réalisée par l'officieux USAK anticipe cette inéluctable désamour. Basée à Ankara, cette "Organisation pour la Recherche Stratégique Internationale" a cherché à mesurer l'état de l'opinion vis-à-vis de la politique étrangère du pays. Elle a enquêté sur un échantillon représentatif plus large qu'à l'accoutumée. Il s'élevait à 2 000 personnes. On les a cependant choisies dans 5 provinces sur les 90 que compte la république. Il s'agit de celle d'Istanbul et de la partie la plus occidentalisée de l'Anatolie : les départements de Smyrne, Trébizonde, Adana et Ankara. Aux habitants de Diyarbekir, du Dersim ou du Hatay, on ne demandait pas leur avis. À l'exception du premier ministre actuel, qui en tire argument, les hommes politiques se rendent rarement à l'est de Sivas.
La question qui préoccupe le département d'État américain à ce sujet consiste à savoir si la politique étrangère turque va changer, si elle va devenir "anti West". En réalité la réponse ressemble bien à un "non" franc et massif : 12,7 % des sondés seulement se décrivent eux-mêmes comme anti-occidentaux.
Mais la question à laquelle les Européens devraient s'intéresser, quant à eux, de manière sereine et profonde, face à l'hypothèse d'une adhésion de ce pays touche plutôt aux "alliés de la Turquie".
L'année 2009 a été marquée par une intense activité en politique extérieure : 93 visites d'État par les trois principaux représentants du pouvoir, le chef du gouvernement M. Recep Teyyip Erdogan, le président de la république M. Abdullah Gül et le ministre des Affaires étrangères, M. Ahmet Davutoglu. L'opinion cependant n'en perçoit aucune novation.
Sur le terrain économique 46,5 % de l'échantillon souhaite l'amélioration des relations avec l'Iran et 52 % avec la Syrie (1).
Fondamentalement, 37 % des Turcs interrogés pensent que leur pays ne se connaît pas d'alliés.
Pour les autres, et dans l'ordre des pays que les Turcs jugent amis, on trouve en premier l'Azerbaïdjan avec 19,5 % d'avis favorables. Les habitants de ce "pays-frère" se désignent d'ailleurs eux-mêmes du nom national de "Turcs". On doute, dans de telles conditions, que l'accord esquissé avec l'Arménie, et salué comme une si bonne nouvelle par le monde entier, puisse aboutir sérieusement, et ceci indépendamment même de la terrible question historique du génocide.
Deuxième pays ami : la Bosnie-Herzégovyne, citée à 12,5 %. À noter que M. Davotoglu, théoricien et chef de la diplomatie d'Ankara s'est rendu dans ce pays à l'automne. Il a fait sensation en y proclamant "Sarajevo est notre ville". Il s'agissait là du premier membre d'une phrase qu'il complétait en ajoutant : "Istanbul est votre Ville". En bonne logique, ou plutôt en bonne rhétorique la protase initiale doit être considérée comme moins importante que l'apodose finale. Or, curieusement on s'est surtout ému du commencement de cet énoncé, et moins de la chute. Les deux mériteraient, à vrai dire, un peu plus d'attention de la part des futurologues.
Les États-Unis viennent après l'Azerbaïdjan et la Bosnie-Herzégovyne avec 12,5 %.
Enfin les pays de l'Union européenne ferment la marche avec 2,75 % de gens les tenant pour des alliés ou des amis. Cette mince couche de la population se trouve celle que connaissent les Européens. Avec ces gens, souvent fort sympathiques ou intéressants, mais totalement minoritaires, nos élites entretiennent des relations d'affaires, culturelles, touristiques ou personnelles et qui les illusionnent.
On comprend mieux pourquoi nos boussoles favorites qui, en France, indiquent constamment le Pôle sud, en le désignant pour son homologue du Nord, s'acharnent à militer pour la vocation des Turcs à entrer en Europe.
Certes, l'hypothèse ne peut plus être écartée à la légère.
Faut-il pour autant la tenir pour désirable ?
JG Malliarakis
Apostilles
- La photo ci-dessus, si souriante, où l'on voit M. Gül aux côtés de MM. Ahmadinedjad et Assad, ses homologues iranien et syrien nous paraît à cet égard bien représentative de cette opinion.
Articles des jours précédents
1er.01.2010 La fin du Père Noël
30.12 La jurisprudence Julien Dray petit-fils d'horloger
23.12 Nora Berra doit présenter des excuses ou quitter le gouvernement
22.12 La pression mondialiste peut devenir totalitaire
21.12 Copenhague entre gauchistes et financiers
18.12 La nuisance Séguin a encore frappé
14.12 Le fiscalisme hexagonal instrument du jacobinisme
10.12 La victoire caricaturale de l'affreux Frêche
7.12 Remettre Croizat à sa place.
5.12 Le coût de la pré-adhésion turque
27.11 La redécouverte du risque souverain
Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique
sur le site de Lumière 101
Nos "elites" qui militent pour l'entrée de la Turquie dans l'Europe, devraient lire et reflechir sur ce sondage.
Ils ne voient la Turquie que par le prisme des villes touristiques du bord de mer et qu'à tavers Istanbul.
Peut on dire que l'on connait la region parisienne en ne deambulant que sur les Champs Elysées?
Rédigé par : MOHIKIAN | mercredi 06 jan 2010 à 23:51