Le ministre de l'Éducation nationale Luc Chatel est accusé de vouloir supprimer purement et simplement l'enseignement de l'Histoire dans les classes de Terminale "S".
Depuis la réforme Haby de 1975, chacun a pu mesurer la menace permanente qui pèse sur cette discipline. L'ombre mortifère se projette d'ailleurs, plus largement, sur toutes les matières littéraires, peu utiles, et guère sérieuses, aux yeux des crétins. L'inculture organisée ne se connaît pas de limite.
À vrai dire le débat technique lui-même a été, sans doute, mal engagé. La mesure a été médiocrement étudiée. Ceux qui l'ont maladroitement programmée le disputent en parti pris à ceux qui critiquent, par hypothèse, tout ce que fait le gouvernement. Le ministre n'a fait que communiquer sur son adoption, présentée comme élément d'une nouvelle réforme. Elle vient d'une commission de bureaucrates, majoritairement de gauche, comme il se doit dans l'Éducation nationale. Unanime, elle avait imaginé de transférer, arithmétiquement les 2 h 30 du contingent horaire actuel des terminales S pour renforcer, paraît-il, celui des classes de première de la même filière. Leurs élèves se verraient ainsi gratifiés, sur le papier, de 4 heures par semaine du précieux enseignement. On les programmera au moins dans les emplois du temps administratifs, pour autant qu'on trouvera des professeurs ou des remplaçants. Une manière de "bac-histoire" s'ajouterait alors à son homologue "français".
Cette cuisine mériterait sans doute, en elle-même, un débat moins passionné. On y soupçonnera des préoccupations logistiques relatives à l'examen lui-même.
Hélas, actuellement, les arguments volent à ce propos, ou bien assez bas ou au contraire trop haut. D'une part comme de l'autre, on s'accuse de corporatisme. Et la règle bien connue se confirme : on en vient aux années noires. Le 16 décembre, l'infatigable initiateur Sapir cite ainsi (2) un universitaire belge "le professeur (3) Jean-Christophe Defraigne, qui suit en témoin toute cette affaire depuis la prestigieuse Université de Louvain en Belgique". Celui-ci regrette en effet une tendance européenne dommageable, et probablement coupable : "Faut-il rappeler au ministre les prix Nobel de chimie allemande qui étaient membres du parti nazi ? La science permet de savoir comment faire fonctionner un train, l'histoire de savoir qu'il peut parfois aller à Auschwitz." Nous y voilà. Inévitablement. En plein dans le sujet.
Entre parenthèses, la géographie mérite dans ce registre un peu plus que son rôle habituel de faire-valoir. Sa connaissance enseigne en effet l'appartenance de ce lieu, de sinistre mémoire, au territoire polonais.
Le pays avait été partagé en 1939 avec l'URSS de Staline. Mais M. Sapir éprouve de la nostalgie pour cette époque. S'agissant du maître du Kremlin, du Komintern et du Guépéou, il accepte qu'on "relativise" ses crimes. Et puis, tout cela lui échappe un peu aussi quand même. Sa connaissance de l'Histoire et de la Géographie, remonte, nous assure-t-il, et il le prouve, à sa classe de première C et à son bac scientifique. Une fois de plus l'apprentissage nécessaire se révèle insuffisant.
L'approfondissement de la matière incite à penser aussi à d'autres savants déshumanisés, aux psychiatres communistes, permettant d'illustrer plus richement, qu'avec les seuls et défunts nazis, la forte constatation de Rabelais, à laquelle je souscris entièrement pour ma part : "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme".
M. Sapir ne saurait évidemment évoquer, puisqu'il n'en sait rien, l'attitude de gens comme Joliot-Curie. Pendant la même année 1939, ils s'étaient engagés, auprès de l'ambassadeur de Moscou à livrer aux Soviétiques "toute l'information dont lui-même et ses amis disposaient". "Les savants français seront toujours à votre disposition, aurait-il déclaré à un adjoint de Molotov, sans demander aucune information en contrepartie." (4) Voilà qui complète - pas vrai ? - la légende dorée fabriquée autour de Guy Môquet, aujourd'hui agréée par l'État. On gagne toujours préciser utilement la conception qu'on se fait du patriotisme dans certains milieux. Mais qu'on se rassure : ce point de détail ne figure pas aux programmes des différents baccalauréats. On appellerait cela de la chasse aux sorcières.
Indiscutablement toutefois, sur le principe, 69 % des Français se disent hostiles à tout abaissement de cette discipline. On la reconnaît pour fondamentalement constitutive de l'identité nationale. Que ce sondage, réalisé par l'IFOP pour le compte du vieil "organe central du PCF", ait été brandi le 12 décembre par L'Humanité, ou que la rumeur ait été lancée le 26 novembre par Marianne ne change rien à ce sentiment bien réel. Si l'on s'en tient aux abstractions, on ne manquera pas de le juger légitime. 56 % de gens se classant comme électeurs de l'UMP disent y souscrire, sans savoir d'ailleurs d'où vient la question.
Mais il ne suffit pas de brandir l'enseigne de Clio. Encore convient-il de s'interroger sur le contenu de la matière enseignée. La façon dont on s'en est servi pendant des générations afin d'intoxiquer et pour formater les jeunes Français mérite plus encore réflexion. Même le mariage forcé imposé à la géographie résulte d'un parti pris idéologique remontant à l'école de Vidal de La Blache et dans le contexte l'antagonisme franco-allemand.
Glissons aussi sur un certain paradoxe. Un pays, que je ne nommerai pas, prétend lui-même s'identifier à des principes. En tête de ceux-ci figure "la Liberté". Or cet État détient le record mondial des lois répressives dites "mémorielles". On ne saurait par conséquent y confondre, "histoire de la liberté" et "liberté de l'histoire".
Interdit de parler, par exemple, du génocide vendéen. Impossible de toucher au patronyme de Tureau, toujours impunément gravé sur une colonne de l'arc de Triomphe.
Vous dites aimer l'Histoire, Messieurs. Amants possessifs, vous la souhaitez captive. Acceptez qu'on la libère de sa burqa virtuelle.
Tout ceci me semble venir à point nommé pour légitimer puissamment la nouvelle réimpression de ces "Pollueurs de l'Histoire" d'Emmanuel Beau de Loménie, pour lequel l'intérêt ne faiblit pas.
Nous nous situons actuellement à plus de 35 ans des lamentables reculades accomplies par le gouvernement Chirac sous la présidence Giscard.
Et voilà parfois plus de 50 ans qu'avaient été publiés ces petits pamphlets pertinents, initialement parus dans de courageuses revues, [presque] toutes disparues (5).
Eh bien leur auteur fracasse encore le mur de nos oublis, de toute sa sève, de toute son ardeur lucide, et disons-le aussi de sa colère intacte.
Aux premiers rangs de ses têtes de Turcs, cet admirateur de Chateaubriand (6), place sans hésiter ceux qu'on appelait alors les "historiens non-événementiels". On en faisait grand cas. Les adeptes du marxisme, et aussi leurs pâles clones technocratiques, applaudissaient, au premier rang de la claque. Ils voulaient en somme substituer les chiffres aux dates. S'ils s'étaient tant soit peu préoccupés de géographie, ils l'auraient volontiers enseignée sans carte.
Cette manière de nier l'Histoire, et de la polluer, préfigurait certainement la volonté de certains illustrissimes du jour. Beau de Loménie avait consacré un volume aux "Glorieux de la décadence". Leur descendance les dément à peine. Citons le fameux Descoings régnant en notre temps sur la rue Saint-Guillaume. En bourdieusard conséquent, il se veut au service des banlieusards mythiques. Il prétend ainsi voir dans la culture historique et littéraire l'instrument de la ségrégation sociale. La boucle de la destruction et de la contre-culture se referme ainsi sur nos élites.
Une place particulière, dans les nuisances attribuées aux "Pollueurs de l'Histoire", revient au CNRS. L'institution est décrite au moment même où elle se développe, pour le plus grand désarroi des sciences humaines. Dès le départ sa gestion de la Recherche relève de la bureaucratie. Elle allait ainsi connaître les tares inhérentes à toutes les administrations.
Historien lui-même, et de haute qualité, notre auteur sait remonter dans le passé. Il y retrouve les sources même du déclin de la pensée universitaire française. L'articulation de cette corporation au sein des profits de la république répartit efficacement les tâches. À une certaine gauche échoit le pouvoir culturel. Elle en accapare jalousement les petites rentes. Exerçant son sectarisme sans partage, elle y renforce ses propres œillères. Et cela conduira aux excès incroyables de tous les disciples de Bourdieu, de Sartre, d'Althusser, et des soixante-huitards. Au passage l'historien critique des dynasties bourgeoises rappelle, dans cette crise de Mai 1968, les responsabilités du corps enseignant.
Mais, on le découvre au fil des pages, ce beau monde ne perd jamais non plus le sens aigu de ses prébendes, de ses prérogatives, de ses privilèges, de ses monopoles.
On danse donc encore assez joyeusement à bord de ce Titanic français.
JG Malliarakis
Apostilles
- cf. Marianne en date du 23 novembre 2009.
- cf. Marianne en date du 16 décembre 2009.
- Sur le registre de l'université de Louvain M. Defraigne Jean-Christophe figure en tant que "chargé de cours invité". Il s'agit d'un [anti-]économiste auteurs de travaux tels que "La décomposition internationale du processus de production des multinationales et ses conséquences sur les salariés : les exemples de l’Europe et de l’Asie orientale" in "Mondialiser le travail décent" Bruxelles, 2008, pp 46-62. Il a consacré un livre de 317 pages à "De l'intégration nationale à l'intégration continentale : Analyse de la dynamique d’intégration supranationale européenne des origines à nos jours" Éditions l’Harmattan, Paris, 2004.
- cf. "Beria mon père" par Sergo Beria traduction et notes de Françoise Thom p. 246 (Plon/Criterion) 1999, 444 pages ; et V. Zubok "Inside The Kremlin's Cold War" (Harvard University Press 1996 p. 15).
- à la seule exception, je crois, du magazine "Le Monde et la Vie" devenu, après bien des avatars, le bi-mensuel "Monde et Vie" que dirigea mon ami Olivier Pichon.
- cf. chapitre : "Les Censeurs de Chateaubriand" contre les cuistres de Sorbonne in Les Pollueurs de l'Histoire" pp.134-142.
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