Pourtant, le prétendu débat en cours de balbutiement, illégitime car administratif, lancé par un ministre de raccroc, a cependant très mal commencé.
Il souligne d'ailleurs la vacuité intellectuelle, et l'inculture, de nos prétendues élites.
Ne parlons même pas d'une Mme Aubry se faisant, en 2009, l'écho du lamentable discours de Chirac de septembre 1995, présentant la sécurité sociale comme le modèle indépassable et impérissable de la France éternelle.
Car, d'abord, avant même de parler de cette fameuse "identité", il faudrait ne pas inverser le sens des mots.
Penser l'appartenance à la France en termes identitaires rompt avec la théorie républicaine antérieure. Il ne s'agit donc plus de la nation à laquelle on "adhère". On ne la considère plus en référence à une idéologie. On invoquera encore moins le mythe de la France "patrie des droits de l'Homme".
Ce dernier point est trop souvent mentionné comme s'il allait de soi. Or, il insulte d'abord aux traditions de nos voisins et amis, non moins civilisés. Et il bafoue l'héritage antérieur du pays, tout en contredisant la prétention à l'universalité des principes qu'il énonce.
La France existait avant que le bon roi Louis XVI ne convoquât les États généraux qui scellèrent la fin de l'Ancien Régime. Au cours de l'été l'assemblée élabora et vota une proclamation (1). L'idée faisait alors directement référence au texte adopté en 1787 par les colonies insurgées d'Amérique. Et les puritains de ces 13 territoires se situaient eux-mêmes dans la lignée des Hollandais rebelles à la domination espagnole du XVIe siècle (1581), du Covenant presbytérien d'Écosse (1638) et des Anglais du XVIIe siècle. De ces derniers, la Glorieuse révolution (1688) avait imposé au souverain une Déclaration des Droits (1689). Tous les textes précités prennent d'ailleurs racine dans la tradition gréco-romaine et dans les idées judéo-chrétiennes, depuis les lois de Gortyne ou la rédaction définitive du Lévitique.
Ce pays ne se définit donc aucunement en fonction de la déclaration de 1789 (2). Formulée dans une langue qui se prétend aussi claire que celle de Voltaire, on en déplorera la rédaction d'une immense ambiguïté. On la découvre riche d'autant de sous-entendus contradictoires, et de pièges qu'un ordinaire contrat d'escrocs. Chaque tournure de phrase y porte sa propre négation. Et même chaque mot peut y être retourné comme un gant.
Certains faux lettrés prennent alors prétexte de ce que Renan écrivit en 1882 l'opuscule "Qu'est-ce qu'une nation ?". Ce manifeste était dirigé, en son temps, contre le pangermanisme. Il comporte quelques pages parfaitement discutables sur le fait national. Or, l'on voudrait, une fois pour toutes nous imposer la conception figée qu'il exprime, dite "française", de la nation-contrat.
La réflexion d'Ernest Renan s'obsède du cas des Alsaciens et des Mosellans. Signé en 1871, le traité de Francfort les avait détachés de la souveraineté française. Le but de l'exercice consistait à leur restituer, au moins virtuellement, cette citoyenneté supposée conforme à leurs désirs.
À noter qu'aucun référendum ne leur fut cependant proposé après 1918, pour entériner ce choix. On l'a probablement considéré comme définitif. Sans doute avait-il été scellé par les "chambres d'annexion" de Louis XIV. Ayant élu pendant des années au parlement allemand, après 1871, des députés régionalistes dits "protestataires", on supposait peut-être qu'ils ne pouvaient en aucun cas s'opposer à la "réannexion". (3)
Le pangermanisme considérait au contraire que, germanophones de langue, et germaniques de culture, ils devaient faire partie de l'Empire. Celui-ci avait été proclamé comme restauré dans son unité par Bismarck à Versailles sous la conduite de la Prusse victorieuse. Les deux provinces avaient appartenu à la Germanie, depuis l'origine des temps. Cela remonte aux migrations de peuples que nous appelons "grandes invasions". Rappelons que celles-ci ont donné du Ve au IXe siècle leur appellation à la Bourgogne, à la Bretagne comme à la Normandie. Le nom de France vient lui-même d'un conquérant.
Le Saint-Empire romain de nation allemande, fondé par Otton le Grand en 962, continuait au centre de l'Europe l'œuvre de Charlemagne. L'unité de ce pays, plus ancienne et longtemps plus solide que celle de l'État capétien se distend au cours du XIIIe siècle. Elle porte le coup de la défaite des Hohenstaufen et de la victoire du pouvoir pontifical. Mais ni le Grand Interrègne de 1253 à 1273, ni la Guerre de Trente ans de 1618 à 1648 n'ont vraiment fait disparaître les institutions allemandes et impériales. Au contraire la Bulle d'Or du XIVe siècle les consolide pour une durée d'un demi-millénaire jusqu'à leur abrogation au début du XIXe siècle.
Même Maurras doit convenir que "l'Allemagne d'après les traités de Westphalie", a écrit une grande page dans l'Histoire de notre civilisation, à comparer avec les Cités grecques. On peut attribuer ce parallèle à l'affaiblissement de l'État central. L'historiographie récente appelle cette période, de façon abusive sans doute (4), "l'âge baroque".
Ainsi l'ancien duché d'Alsace comme celui de Lorraine, lui-même issu de la Lotharingie, avaient bénéficié des libertés germaniques. Ces deux provinces n'en avaient été arrachées que par les guerres et les traités, au XVIIe siècle pour l'Alsace, au XVIIIe siècle pour la Lorraine. Les raisons invoquées, à tort ou à raison, par les pangermanistes du XIXe siècle ne relèvent pas seulement de la langue, mais de la culture et de ce que nous appelons, aujourd'hui, "l'identité".
De la sorte la doctrine identitaire s'oppose indiscutablement à celle de la nation-contrat. Dans cette conception, appartenir à la France, ou à n'importe quel pays, se définit par un fait de naissance (5), par un héritage, et très occasionnellement par le "mérite". On peut aimer sa patrie, sentiment recommandable ; on ne la choisit pas. Il ne saurait être interdit, en revanche, de s'irriter contre ses lois, sa fiscalité ou son gouvernement. Nationalité comme naissance s'apparentent à nature.
Pour corriger une contre-vérité entendue un jour, sans doute un lapsus linguae, dans le propos d'un ami libéral : non "l'immigration" ne peut pas être tenue pour "un droit", mais seulement "l'émigration". On doit disposer de la liberté de quitter le territoire où l'on réside, à tout moment. Cette possibilité pratique n'est refusée que par les gouvernements totalitaires. Et le fiscalisme hexagonal aimerait bien pouvoir les imiter. En revanche, les ressortissants du pays où l'on se propose d'entrer doivent bénéficier du droit de choisir entre l'accueil permanent, exceptionnellement l'asile provisoire, et la reconduite de l'étranger à la frontière de son choix.
Or, ce que nous reconnaissons de la sorte aux autres ne peut pas se voir refusé aux citoyens français, aux contribuables, aux cotisants des régimes sociaux qu'on nous impose pour obligatoires, etc. Nous disons bien : "les citoyens, les cotisants, les contribuables". Car les décisions d'administrations anonymes et irresponsables ne sauraient être tenues pour irréversibles. On prendra comme exemple l'arrêté du conseil d'État dispensant les originaires des anciennes colonies de la preuve de résidence lorsqu'ils désirent acquérir une nationalité dont les indépendances les ont libérés. De même lorsque "la sécurité sociale", réalité juridiquement inexistante, confère des droits ou des passe-droits de manière inconsidérée, les "cochons de payants", si on leur refuse la possibilité de les remettre en cause finiront par comprendre comment la reconquérir.
Autre théorie battue en brèche par les faits : celle de la nation-État.
On entend souvent dire que la France, contrairement à d'autres pays, aurait été construite par l'État.
Première remarque : ce que nous appelons aujourd'hui de ce nom ne se sépare de la Germanie qu'au moment de la disparition de l'État carolingien. Cela se passe au cours du IXe siècle, plus précisément sous le règne impécunieux, dans la "Francie occidentale", de Charles le Chauve entre 848 et 875.
Une certaine tradition catholique romaine présente Clovis (466-511) comme le fondateur de la France. Son baptême en 496 aurait été celui du pays. En réalité la Gaule était convertie au christianisme depuis au moins deux siècles. Le conquérant germain n'a fait qu'adopter la religion des Gallo-Romains. Son "royaume des Francs", connaîtra des subdivisions multiples au gré de règles de successions mérovingiennes puis carolingiennes. Mais le domaine ainsi divisé, réuni par exemple sous le règne de Dagobert (né en 639, roi des Francs de 629 à 639) comprend un territoire beaucoup plus vaste que la Gaule ancienne ou la France actuelle. Il englobe en gros, pendant 400 ans, l'Hexagone considéré, le Benelux et l'Allemagne occidentale.
À partir du Xe siècle cette "Francie occidentale", "séparatiste" mais morcelée se donne un roi élu, Hugues Capet dont le domaine propre couvre à peine l'Ile-de-France. Pendant plusieurs siècles, une heureuse suite de princes entreprennent avec succès, jusqu'à l'arrivée des Valois plus incertains, de rassembler en un seul État les territoires dispersés par l'anarchie féodale. Ce pays a donc constamment voulu s'étendre, en gros vers les frontières actuelles de la langue française, avec certes des incidents de parcours.
Les guerres d'Italie par exemple doivent être tenues pour une extravagance provoquée par un petit roi nommé Charles VIII qui voulait faire valoir des "droits" imaginaires sur le lointain royaume de Naples. La Savoie proche attendra Napoléon III. Genève, refuge calviniste, construira une identité distincte. Liège demeurera "impériale". Et au contraire les guerres de Louis XIV franciseront de force d'autres terres. (6)
Mais en gros les frontières du royaume de France se sont rapprochées, tout au long de l'histoire, de celles de l'ancienne Gaule, à laquelle le peuple français s'identifie naturellement, dont il est issu, dont il a hérité les défauts comme les qualités, et en laquelle, très majoritairement, il se reconnaît volontiers. Difficile de n'y voir qu'une coïncidence.
Se situer sur le terrain "identitaire" suppose dès lors une rupture avec la théorie "étatique", comme avec celle de Renan. Et même lorsqu'il s'agit de l'Alsace, à tort ou à raison, on cherchera à examiner son identité. On étudiera d'abord les racines historiques de cette région. Les nationalistes français proclameront avec Barrès : chaque fois que l'on cite des références germaniques à propos de l'Alsace, nous évoquerons des références celtiques antérieures. Plus raisonnablement un autre théoricien nationaliste, Jacques Ploncard d'Assac, lui aussi enclin à la démonstration du caractère français de l'Alsace et de la Moselle, mais hostile à la théorie de la nation-contrat, fera remarquer que "se vouloir différent, c'est déjà être différent". On peut y voir une pirouette.
Car l'inconvénient de la doctrine "volontariste", si on la pousse à l'extrême, consiste à considérer comme Français quiconque chante, généralement faux, voire braille, La Marseillaise, et comme étranger celui qui s'en abstient. Absolument absurde. Hormis son couplet "Liberté chérie", cette hymne, d'une musicalité médiocre, contient des paroles irrecevables ou qui frisent le grotesque. Si, royaliste de cœur, et amoureux de l'histoire, on se fait un devoir de jamais y adhérer, a-t-on encore le droit de payer des impôts ? Peut-on simplement exprimer son point de vue, au soi-disant "pays de la Liberté" ?
Certains ont donc voulu ces dernières années parler d'identité comme substitut, comme un édulcorant du nationalisme. À la vérité le concept renvoie pourtant, par lui-même, à quelque chose de plus fort, sinon de plus extrême, que le nationalisme français traditionnel.
Une vision vraiment "identitaire" de la nation française consistera ainsi à dépasser les clivages historiques. Elle fait abstraction de l'antagonisme entre l'apport monarchique du millénaire capétien et les intermèdes républicains et bonapartistes des deux derniers siècles, en pensant la France comme héritière de la Gaule, avant même Jules César.
L'identité, si ce mot signifie quelque chose, cela se pose par définition comme un fait immuable. Le concept absorbe et explique les vicissitudes de l'Histoire ; la nation assimile certes des apports extérieurs, mais elle n'y succombe jamais.
Quand nous entendons dire par exemple que "la France est un pays où la burqa n'a pas sa place" nous pourrions donc nous trouver ponctuellement en accord avec cette affirmation lapidaire.
Il existe tout de même plusieurs manières de parvenir à cette conclusion, dont on craint fort cependant qu'elle ne fonctionne dans le discours officiel que comme un slogan en vue de scrutins proches.
On pourrait faire ainsi remonter très loin, probablement aux Celtes, le respect de la femme. On le retrouve dans le roman courtois du Moyen Âge, dans les traditions de la galanterie française que nos mères nous ont inculquées.
Il faut constater, que, bien loin de continuer cet héritage, la révolution jacobine, puis le code civil de Bonaparte, ont cherché à le faire reculer. L'idéologie dite des Lumières suppose l'homme déterminé par ses sensations, dominé par ses émotions, prisonnier de sa matérialité. Dès lors les institutions sociales doivent écarter, dans la doctrine jacobine, tout particulièrement les femmes plus suspectes de sensiblerie, d'émotivité, de générosité. Ceci explique que notre chère république demeura longtemps la démocratie occidentale la plus rétrograde en regard des droits civils et politiques des femmes. Aujourd'hui encore, cette vieille chose racornie et ridicule qui s'appelle le grand orient de France vient de repousser la mixité en ses loges.
Fort heureusement le pays réel a surmonté avec le temps les préjugés du pays légal et ses ligues de vertu.
Gageons qu'entre l'idéologie jacobine, fonctionnant à coup de slogans, de préjugés et d'exclusions, d'une part, et ce que Maurice Barrès appelait "la France de chair et d'os", d'autre part, la partie n'est pas encore nécessairement jouée.
Mais constatons, tout de même, après deux siècles de mensonges, que le temps presse.
Un dernier mot, en effet. On reprochera peut-être à ces lignes de ne pas aborder la question de l'islam. S'agissant de l'identité française et européenne, elle m'a semblé, tout simplement hors sujet.
JG Malliarakis
Apostilles
- Si immortels que l'on considère les "Grands Ancêtres" de 1789, la constitution française de 1958, actuellement en vigueur, ne se réfère pas au texte de la Déclaration votée cette année-là, mais une à version remaniée en 1791, que les constituants modernes ont tout simplement antidatée.
- On relèvera que le meilleur spécialiste du sujet hésite entre une attribution de ce texte à l'influence des idées de Hobbes et à celle de Locke. Faut-il faire procéder l'identité française de l'un de ces deux philosophes britanniques ? Cf. Stéphane Rials "La Déclaration des droits l’Homme et du citoyen" Hachette coll. Pluriel Paris 772 pages 1988.
- De ce point de vue, la lecture du fameux discours de Wilson du 8 janvier 1918 se révèle décevante. Ses "14 points" ont plus ou moins été imposés aux autres alliés. En effet, l'Amérique était devenu le bailleur de fonds de l'Angleterre et de la France ; Après leur proclamation, ils ont été considérés comme buts de guerre. Or, ils ne posent pas comme un principe général "l'autodétermination" ou "le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes". Ils développent au contraire une formulation différente pour la Belgique, l'Autriche-Hongrie, l'Alsace Lorraine (point n° 8), l'empire russe, la Turquie, les territoires coloniaux. Et l'objectivité imposerait de constater que le jacobinisme de la IIIe république entre 1919 et 1939 a réprimé les autonomistes alsaciens et lorrains avec plus d'intolérance encore que ne l'avait fait l'Empire parlementaire bismarckien entre 1871 et 1914. Qu'après 1917 le parti communiste français ait soutenu ces autonomistes ne change rien à l'affaire.
- L'abus de langage vient de ce que le "baroque", mot d'origine portugaise (une perle "baroque" est une perle irrégulière) correspond, avant tout, à un style architectural s'affirmant explicitement comme catholique romain (église du Gesù à Rome, colonnade du Bernin au Vatican). Or, ce qu'on appelle "musique baroque" triomphe chez des musiciens allemands luthériens comme Jean-Sébastien Bach, etc. cf. Eugenio d'Ors "Du Baroque", 1935 traduit en français chez Gallimard en 1936.
- "Natio" en latin dérive ainsi de la même racine que "natus".
- L'exemple le plus clair quoique le moins connu est celui de la Franche-Comté. Né en 1802 à Besançon Victor Hugo se trompe légèrement en qualifiant sa ville natale de "vieille terre espagnole". Le traité de Senlis de 1493, détachant "la" comté de Bourgogne du duché réuni à la France, donnera ce territoire aux Habsbourg. Ceux-ci, à partir du règne de Philippe II en prendront possession "via" leur branche madrilène. Après bien des vicissitudes, cette province devint française largement contre son gré avec le traité de Nimègue de 1678.
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Vous pouvez entendre l'enregistrement de cette chronique sur le site de Lumière 101
Bonjour. Quel article!
Le narcissisme de nos "zélites" fait florès... on le comprend aisément.
D'accord sur le raccolage tout crin des "voix" dans la cacophonie des "identités" multiples. Drôle de musique. Mais le patois de mon enfance, le béarnais, n'est-il point proche du Catalan? Cette musique, douce à mes oreilles, telle un Portugais, justifiera t-elle son rattachement à la grande Espagne? Et pourquoi suis-je emmené par les mélodies bretonnes, avec mes antécédents aussi normands? Nous parlons français, logeons sur cette terre, est ce suffisant? Ce faux débat risque peut être de déclencher la revendication d'autres cultures ici présentes... toujours cette abominable identification aux Etats unis d'Amérique qui me paraît pour le moins déplacée sur nos terres. Une belle méditation en perspective, celle d'être obligé de se définir à travers ces illusions pseudo historiques....
Rédigé par : minvielle | mercredi 18 nov 2009 à 13:16