À ce sujet le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglou se félicite des conversations en cours. Celles-ci se déroulent en marge d'une réunion intermusulmane à caractère théoriquement économique. "Nous nous trouvons dans une situation extrêmement constructive, dit-il, à propos de sa propre diplomatie, à la fois avec l'IAEA et l'Iran".
Tout se passe donc si bien dans le meilleur des mondes islamiques possibles que l'ami, que dis-je : le frère Ahmadinedjad, salué comme tel par le premier ministre turc Erdogan s'est exprimé, à son tour, à propos de l'adhésion de ses interlocuteurs turcs à l'Union européenne. Et, sans doute pour ne pas se trouver en reste par rapport à l'Américain Obama et à la position constante affirmée par le Département d'État depuis Washington, le président iranien a surenchéri. Comme nos excellents amis d'outre-Atlantique, il approuve, et même il soutient cette candidature. Mais il va plus loin : il trouve que l'entrée de ce pays "constituerait une bénédiction" pour l'Europe. Il fait d'ailleurs remarquer que "la Turquie, l'Iran, l'Asie peuvent être tenus pour le berceau de la civilisation. Au contraire plusieurs pays européens portent des tâches noires sur leur histoire. Ils ont déclenché deux guerres mondiales qui ont fait 100 millions de morts ?"
On avouera donc volontiers, écrivant ces lignes en ce jour du 11 novembre où la réconciliation franco-allemande initiée par Robert Schuman se montre plus forte que jamais, apprécier à sa juste valeur l'admonestation du barbu de Téhéran.
Son sens de la réalité historique ne se dément pas, ainsi que sa connaissance de l'Histoire ottomane et des relations de la Sublime Porte avec les rois des rois de la vieille Perse.
On pourrait aussi se demander pourquoi la Turquie musulmane irait se commettre avec les infidèles.
Mais, dans une autre démarche, le président de la république turque s'adressait le 8 novembre aux dignitaires alévis et aux notables kurdes de Dersim (1). Cette visite dans une région de l'Est anatolien fort éloignée allait dans le même sens que la dernière en date. Il y a bientôt 20 ans, celle-ci avait été effectuée en 1990 par un prédécesseur, Turgut Özal, membre des mêmes réseaux confrériques que les dirigeants de l'AKP. Depuis lors, rien de concret n'a été accompli ni aucune promesse tenue dans le sens des véritables revendications kurdes et alévies.
Mais aujourd'hui la rhétorique présidentielle de M. Gül a livré, au moins, un éclairage fort utile quant à sa perspective d'adhésion à nos institutions.
Le président turc a en effet appelé ses concitoyens, plus ou moins récalcitrants, à prendre conscience que grâce à la dimension de leur État, ils appartenaient à la deuxième puissance européenne eu égard au nombre d'habitants. Sans fausse modestie d'ailleurs, chacun sait qu'avec 74 millions de ressortissants aujourd'hui, et un million de plus chaque année (2) elle dépassera bientôt l'Allemagne. Chez nos voisins et amis, nombre de Turcs et de Kurdes sont déjà établis. Ne désespérons pas qu'ils contribuent à nous civiliser. Ils y font connaître leurs charmantes coutumes matrimoniales et l'odeur raffinée de leurs dönner-kebabs. Sa seconde place virtuelle ne tarderait donc pas à devenir, si l'on suit le raisonnement d'Abdullah Gül, la première.
En attendant, d'ailleurs, le si subtil président iranien conseille à l'Europe de ne pas se montrer trop exigeante vis-à-vis de la candidature du pays frère.
Par l'intermédiaire de la Turquie, du reste, nous comptons sans le savoir de nombreux amis.
Ainsi au nombre des 56 États-Membres de l'Organisation de la Conférence islamique figure le Soudan. Le président de ce beau pays, Omar el-Bachir, se trouve sous le coup d'un mandat d'arrêt international. Il est dans le monde le seul chef d'État en exercice accusé par le tribunal de La Haye Certes il a fini par reporter, le 8 novembre, in extremis, sa visite à Istanbul où il devait assister à la réunion, qu'Ahmadinedjad honorait de sa présence et animait de ses déclarations créatives. Là, au dernier moment il renonçait à cette participation, que l'Union européenne déplorait assez lamentablement demandant au gouvernement d'Ankara d'y surseoir. Mais le "report" de son voyage ne doit rien, nous assure-t-on, ni à la grippe, ni au gouvernement turc, qui se défend de toute pression en ce sens. En effet le premier ministre Erdogan ne croit absolument pas à la validité des accusations antisoudanaises à propos du Darfour. Et son argumentaire, quoique lapidaire, se révèle d'une grande clarté : il professe la foi mahométane, et par conséquent "un musulman ne saurait commettre le crime de génocide". Ceci va certainement simplifier les travaux de l'hypothétique commission mixte d'historiens que la Turquie propose régulièrement de faire travailler sur les massacres d'Arméniens commis en 1915. Les conclusions sont tracées d'avance, et quiconque les remettrait en cause tomberait sous le coup de l'article 216 du Code pénal actuellement en vigueur dans son pays. (3) et que très probablement on va bientôt nous suggérer d'incorporer dans nos législations au nom du respect des religions.
Pour toutes ces raisons et pour quelques autres je persiste à m'interroger quant à la légitimité des négociations d'adhésion que l'Europe accepte de mener avec la république d'Ankara.
JG Malliarakis
Apostilles
- Dersim est à la fois le nom d'une région montagneuse de l'Est anatolien et le nom kurde de la ville que l'administration d'Ankara appelle "Tunceli", contre le vœu de ses habitants et notamment de la municipalité conduite par le parti DTP dit "pro-kurde". Le contentieux avec le pouvoir central y porte également sur 5 projets de barrages dans la vallée du Munzur dénoncés comme une catastrophe écologique.
- En 1977 paraissait un livre intitulé "40 millions de Turcs ou la démocratie sauvage". Le chiffre annoncé faisait choc, car personne ne réalisait vraiment alors le dynamisme démographique de ce pays. 32 années plus tard cette population s'est accrue de 34 millions d'individus.
- cf. L'Insolent du 3 juin "Un article 216 bien significatif"
- Pour commander le livre La Question turque et l'Europe
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Vous pouvez également nous le commander et le régler par chèque à l'ordre de l'Insolent, 39 rue du Cherche Midi 75006 Paris. "
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