Certains avaient pourtant espéré, vaguement, sans trop y croire, que la réforme constitutionnelle votée en 2008 allait permettre de sortir la Ve république de son carcan technocratique et plébiscitaire. Déjà, sous le gouvernement Raffarin on avait laissé miroiter une fantomatique espérance de décentralisation. Hélas, dès le départ, les conséquences de ces deux "réformes" en trompe l'œil se sont montrées à l'exact opposé de leur propos théorique.
Vous souhaitiez plus d'autonomie pour les collectivités locales, plus de responsabilité, plus de libertés ? Eh bien vous assisterez à un renforcement de leur mise sous tutelle par une administration centrale omniprésente.
Vous pensiez qu'on en finirait avec les textes incompréhensibles rédigés en langue administrative par des bureaucrates anonymes et irresponsables. Vous imaginiez qu'ils laisseraient enfin la place à des lois claires, moins nombreuses, élaborées dans le cadre de vrais débats publics ? Vous allez subir une énarchie encore plus opaque. Elle se révélera plus interventionniste et souvent plus cafouilleuse encore que par le passé.
L'affaire de la taxe professionnelle n'a donc pas fait exception. On aurait pu le croire devant le tollé déclenché par l'apparition du projet. Reprenons ainsi ce que Le Canard enchaîné publiait ce 4 novembre sous le titre :"Une taxe vraiment pas professionnelle" :
"En rassemblant 23 sénateurs derrière lui pour s'opposer à la réforme de la taxe professionnelle, Jean-Pierre Raffarin a fait coup double. D'abord il a montré que son ex-rival "au plateau"(la présidence du Sénat) Gérard Larcher"ne fait rien pour défendre les collectivités locales. Je veux montrer que les sénateurs savent se faire entendre, et que ce n'est pas seulement l'Assemblée qui fait bouger le gouvernement."Il m'a semblé intéressant de reprendre intégralement cet article court, dense et dur, mais finalement juste, d'abord parce qu'en démocratie, certes, on peut trouver le journal cité agaçant, voire très stupide ou très à gauche, mais on doit savoir se rendre compte des limites du pouvoir.
Deuxième cible de l'ébaubi du Poitou : Sarko et sa réforme. "Ce texte n'est ni fait ni à faire. Nicolas doit apprendre à ses conseillers à faire simple." Ce n'est pourtant pas compliqué…
La taxe professionnelle souffrait déjà de son effroyable complexité. Son remplacement partiel par une ribambelle de nouveaux impôts au calcul imbitable s'avère encore plus ésotérique. Place désormais à la "contribution économique territoriale" (décomposée elle-même en deux "cotisations différentes", à "l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau" (eau, téléphone, électricité…) ou à l'impôt sur "le matériel roulant" (trains et métros). Des règles encore plus obscures devraient présider à la répartition de ces nouvelles taxes entre les millefeuilles des collectivités locales. Pronostic de Philippe Séguin : "Un défi redoutable !" Y compris pour Sarko…
Plusieurs parlementaires de la majorité pronostiquent même "un Vietnam."
Pas moins."
D'autre part la fronde de Raffarin, datée du début novembre peut paraître en elle-même un concept cocasse. Elle vient d'un personnage fort peu agressif, que l'on sait "sensuel et sans férocité comme les radicaux-socialistes". (2) S'exposer aux foudres de ce chanoine, voilà qui suppose de dépasser certaines bornes. Il en faut évidemment plus que pour provoquer une critique dans l'hebdomadaire satirique du mercredi.
Enfin, on aurait pu rêver, au moment où cet article fut publié, que nos chers dirigeants, réputés sensibles aux sondages d'opinion, remettent en cause le projet. Une souple et discrète porte de sortie aurait pu s'ouvrir grâce aux sénateurs. On l'aurait d'autant mieux imaginé que la Haute assemblée se veut, depuis la IIIe république, "le grand conseil des communes de France". Et puis, les passerelles philosophiques discrètes y transcendent ordinairement les affrontements politiques passagers entre la droite et la gauche.
Par ailleurs l'accueil fait au Premier ministre, et malgré l'absence du chef de l'État, à l'ensemble du gouvernement présent au congrès des maires de France le 17 novembre aurait dû faire réfléchir.
Eh bien pas du tout.
On ne veut même pas envisager de revenir sur une décision prise par ce qu'on appelle "Bercy". De cette citadelle anonyme, les ministres, comme le gris Wœrth, ne font office que de porte-parole dociles. Pas de discussion inutile dans les hémicycles. Silence dans les rangs. L'avez-vous entendu le petit homme du Budget ? Son unique et ultime argument : "Il faut donner de l'oxygène aux entreprises". Mais celles-ci, à l'arrivée, payeront plus, bien évidemment, comme lorsque M. Fourcade avait "supprimé" la patente… pour instituer la fameuse "taxe". Si "Bercy" voulait vraiment alléger le tribut des créateurs de richesse, on liquiderait les monopoles sociaux. On cesserait de taxer le travail et l'initiative. Tout le reste relève de la démagogie et de la langue de bois des hommes de carton.
La rouleau compresseur de la "réforme" s'est donc, une fois encore, raidi.
Le mot de "réforme" ainsi utilisé, dévalué, pour ne pas dire ridiculisé, désigne les nouveaux projets de lois s'empilant sur les textes précédents. Cela devrait inciter à une grande prudence. On l'a employé à toutes les sauces, en accélérant terriblement le rythme depuis 2007. Il paraît même que le chef de l'État en exercice lui doit son emploi actuel. Début 2008, conseiller d'un de ses prédécesseurs, l'homme protée Attali, après avoir présidé un comité de réflexion supposé en préparer la substance publiait un livre de recettes. Les 300 propositions avancées à ce titre se voyaient, à leur tour, étrangement qualifiées de "décisions". On envisageait leur imposition arbitraire et sans débat parlementaire. Elles étaient supposées "changer la France".
Ses admirateurs ont qualifié l'auteur, par le passé, de "Kissinger français". Personne ne le prend pour un "Chateaubriand socialiste". On ne confondra pas non plus son œuvre avec celle d'Ernest Jünger, en dépit de ses efforts méritoires pour lui manifester par des "emprunts" l'intérêt qu'il lui porte. Mais comme il ne peut plus livrer les indiscrets "verbatim" de ses entretiens avec Mitterrand, on appréciera qu'il se jette enfin à l'eau et révèle les idées de ses interlocuteurs naturels : les technocrates.
À en lire l'intimidant catalogue (3) on comprend quand même plusieurs choses.
Pas besoin certes de ces gens pour savoir qu'un certain nombre de changements crient de longue date leur urgence dans l'intérêt du pays.
Mais, comme un corps malade peut, ou bien, évoluer vers la convalescence et la santé, ou bien vers l'aggravation du mal, puis la mort, le corps social d'une nation peut également hésiter entre le chaos et le redressement.
Avec certains chirurgiens et anesthésistes on doit souvent redouter le pire.
Ainsi le mot "réforme" appliqué à une vache présage-t-il les pires besognes de l'équarisseur. Au mieux, elle devient viande de bœuf.
Ainsi les visites d'incorporation se traduisant par un tel diagnostic auguraient-elles jadis de minces perspectives de gloire militaire. C'était, il est vrai, avant 1996 et la "réforme" Millon-Chirac faisant disparaître le service national.
Oui vraiment, trop de réformes tuent la réforme.
JG Malliarakis
Apostilles
- Titre du quotidien "Le Monde" daté du 24 novembre
- La formule appartient à feu Jean Rigaux (1909-1991) qui, un peu abusivement, pour rire, se qualifiait lui-même de la sorte.
- Commission pour la libération de la croissance française présidée par Jacques Attali [le nom de ce dernier apparaît en lettres énormes sur la couverture] "300 décisions pour changer la France" la Documentation française, 334 pages, 2008.
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