On ira jusqu'à envisager les choses avec bonhomie. On appelle cela aussi les prendre avec philosophie. Ainsi du choix entre un grand et un petit emprunt. La moins mauvaise approche du débat m'a semblé à cet égard celle de M. Goulard. Cet ancien député-maire de Vannes a connu son heure de gloire sous Villepin. Apparu au gouvernement comme Secrétaire d'État à la Mer il devint ministre de la Recherche et de l'enseignement supérieur. Depuis 2007, il se tient à l'écart dans une position fort critique à l'endroit du président que le monde nous envie. De la sorte, cultivant cet humour amer qu'aiment souvent les Bretons, et parfois les autres, il nous a donné le plus éclairant des résumés de l'opération "grand emprunt national" : un grand emprunt c'est une grande sottise, un petit emprunt c'est une petite sottise.
On doit donc, non pas s'amuser, mais s'inquiéter avant tout de l'immense emprunt quotidien réalisé par les administrations publiques françaises et qui constitue la Dette.
De cela, on ne saurait sourire, pour plusieurs raisons.
D'abord, décidée par des gouvernants faibles et médiocres elle rejaillit sur les générations futures. Tous les Français la payeront d'une manière ou d'une autre, y compris les immigrants qui viennent bêtement solliciter le passeport de la république.
Oh ce qu'on appelle le crédit public n'est pas en cause. Ce concept ne correspond qu'à l'intérêt des prêteurs et à celui des banquiers. Depuis 1796, l'État central parisien a toujours acquitté ses dettes. Sur ce plan-là, on peut, encore, lui faire confiance. Certes, de 1919 à 1999, sa souveraineté monétaire lui a permis de rembourser, en billets de banque imprimés par ses soins, ce qu'il avait emprunté en francs or. Les accords monétaires européens signés à Maastricht et Amsterdam entre 1991 et 1997, ayant supprimé cette licence, ont mis fin à ce risque, du moins au bénéfice des créanciers.
Le scénario catastrophe, de ce fait, ne doit pas se penser comme on l'imagine parfois. Il est vrai que pour l'échafaudage financier mondial, tout chauvinisme mis à part, la défaillance d'une place comme celle de Paris entraînerait des conséquences infiniment plus graves encore que celle de Lehmann Brothers en septembre 2008. Rappelons à ceux qui s'en étonneraient que l'Histoire contemporaine est pleine d'interventions destinées à sauver les créances ottomanes, chinoises, allemandes, etc. Depuis, la sophistication et la dérivation des produits financiers les ont rendus solidaires de socles classés un peu empiriquement AAA par les trois agences de notations anglo américaines quasi monopolistiques.
N'oublions donc jamais la clef du dispositif.
Pour le système mondial spéculatif, en effet, les dettes publiques de quelques grands pays emprunteurs, à la condition expresse qu'on les suppose toujours solvables, et donc les déficits budgétaires et sociaux qui les alimentent, constituent la matière première indispensable à son développement.
Hayek condamnait cet engrenage au nom du droit naturel.
Fort de son parrainage, on se permettra même de juger le système fondamentalement pervers. On observera, au mieux comme des marionnettes, ceux qui en justifient la mise en route, en particulier le parti démocrate des États-Unis, fourrier traditionnel de la mafia. Ses épigones hexagonaux ne doivent être tenus que pour de petits pantins.
On doit au contraire saluer les quelques gouvernements qui ont tenté de réformer explicitement leurs constitutions dans le sens de la rigueur. Rappelons ainsi que, malgré la crise, l’Allemagne a inscrit en juin 2009 dans sa Loi fondamentale un principe de limitation du déficit public à 0,35 % du PIB à partir de 2016 pour l’État, et l’interdiction des déficits pour les Länder à partir de 2020. Si lointaines que puissent paraître ces dates, elles affirment bien une règle sans l'observation de laquelle l'union monétaire européenne ne pourra pas tenir.
Or la dette française, alimentée par les déficits, explose, et pas seulement sous l'effet de la crise de 2008. En 2005, le rapport Pébereau concluait déjà que "l'augmentation de la dette ne résulte pas d'un effort spécifique pour la croissance mais, pour l'essentiel, d'une gestion peu rigoureuse."
Certains font profession d'en douter. Leur scepticisme, ou plutôt leur confiance dans la bonne marche des finances publiques se situe sous l'effet de l'autosatisfaction de "Bercy" et de la féodalité technocratique appelée Direction du Trésor. N'oublions pas que ce système a produit la toute-puissance de l'aberrant Habérer, placé à la tête du Crédit Lyonnais quand son funeste admirateur Trichet présidait la Commission bancaire qui le laissa faire si longtemps.
Que découvre-t-on en effet quand on recherche les données précises sur l'endettement de la France ?
Tout d'abord, on nous avoue une progression du ratio endettement par rapport au PIB en indiquant des pourcentages péremptoires : plus de 80 % désormais, environ 84 % à ce jour, (contre 30 % il y a 20 ans), et même 88 % pour 2012 sans tenir compte du "grand emprunt". Ce dernier le porterait dès lors à hauteur de 90 %. Mais, plus grave peut-être que cette progression elle-même, on relèvera l'imprécision des données.
Ainsi fin 2008 on parlait d'une dette de 1 327 milliards au sens de Maastricht, devant 1 672 au regard de la comptabilité publique moins restrictive car elle se base sur le passif financier brut.
Avec un déficit de 140 milliards en 2009 (soit presque trois fois plus qu'en 2007) la dette "maastrichienne" approche les 1 470 milliards à la fin de l'année + 150 en 2010. Mais la dette "comptabilité publique" doit atteindre et dépasser les 1 800 milliards fin 2009, donc les 1 900 fin 2010.
À cela on doit ajouter la dette étatique résultant, pour le Trésor Public, de l'obligation de verser directement les retraites des fonctionnaires de l'État en l'absence d'aucune caisse spéciale, ni d'aucune provision. Ceci a été évalué, selon les projections démographiques entre 790 et 1 000 milliards, admettons donc le milieu de la fourchette "895". 895 + 1 600 = 2 495 milliards.
Rapporté à un PIB de l'ordre de 2000 milliards d'euros (2), on atteint dès maintenant un ratio de l'ordre de 120 à 135 %, selon les évaluations. Cette fourchette passera très probablement aux alentours de 150 % en 2012.
Pour les raisons internationales évoquées plus haut, un tel héritage ne laissera aucune place au droit d'inventaire et il sera financé par nos impôts.
On prétend aussi s'inquiéter de la hausse des taux d'intérêts. Car actuellement la charge d'emprunt représente quelque 41 milliards et quelque 15 % du budget de l'État, ce qu'on suppose encore supportable. À des niveaux plus élevés, il paraît que cela "deviendrait" beaucoup plus dur. Ne mettons pas de conditionnel : cela se produira.
Ajoutons aussi que la loi permet à l'État de donner sa garantie aux ODAC, "organismes divers d'administration centrale". On nous assure que la dette incorporée officiellement au passif public se monterait à quelque 90,5 milliards "seulement" fin 2006. (3)
Malheureusement, l'inconvénient d'une telle évaluation résulte du fait que toutes les dettes ainsi garanties ne figurent pas dans les évaluations européennes : on a même créé des ODAC aux fins d'évacuer leurs passifs vers le "hors bilan". De plus si l'on donne des chiffres apparemment précis du montant de ces dettes, du moins lorsqu'elles apparaissent dans le compte consolidé, on ne sait pas vraiment combien d'ODAC recense notre beau pays. On parlait de 800 "environ" en 2009, contre "plus de 700" en 2008.
On ne dit pas trop non plus que rapporté au budget de l'État, qui est lui, beaucoup moindre, — et heureusement, — soit 276 milliards d'euros de recettes fiscales nettes prévues par la loi de finances pour 2009, on s'approche d'un endettement égal à 10 années de recettes de l'État… Dans la plus favorable des appréciations (dette maastrichienne) on en est encore à 5 ou 6 années "seulement". Il faut mettre, bien sûr, des guillemets à "seulement". Car quel particulier, quelle famille, quelle entreprise pourrait supporter sans des sacrifices considérables, d'avoir à rembourser 5 ou 6 années de salaires ou 6 années de chiffre d'affaires.
Il est vrai qu'une évaluation du patrimoine public, allant des palais nationaux aux participations industrielles le situait aux alentours de 2 273 milliards d'euros, mais l'administration des domaines aurait beaucoup de mal à réaliser cette valeur purement virtuelle.
Je souriais quelque peu en entreprenant la rédaction de cet article, je souris moins en concluant.JG Malliarakis
Apostilles
- cf. Arnaud Devillard Comment Coca Cola a réinventé le Père Noël"
- Produit intérieur brut officiel (privé+ public) 2008 : 1 950 milliards d'euros - 2009 : évalué à 2 020 milliards d'euros.
- contre 892 milliards à l'époque pour l'État central, 127 milliards aux administrations locales et 40,4 milliards (soi-disant) à la sécurité sociale, principale source de déficit et dont le budget a dépassé depuis 10 ans celui de l'État. Ces chiffres datent d'il y a 3 ans, et ils sont toujours connus avec retard. Ils ont nécessairement beaucoup évolué.
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