Eh bien tant pis. Qu'il me pardonne si j'empiète ou si je diverge. 20 ans après la chute du mur de Berlin, édifié en 1961 en tant que soi-disant Mur de protection antifasciste, les crimes du communisme étant demeurés essentiellement impunis, on doit se prémunir contre sa réhabilitation.
La première chose qui me paraît indispensable consiste, quand on évoque de tels concepts, comme d'ailleurs n'importe lesquels, à poser leurs définitions.
Par communisme, on doit évidemment entendre, non pas l'idée abstraite de suppression de la propriété privée, mais, bien évidemment "l'entreprise" de Lénine. Jules Monnerot ayant, selon moi, définitivement circonscrit le sujet dans sa Sociologie du communisme, on fera remonter l'éclosion du phénomène à 1917. Mais on ne peut pas, on ne doit pas, le considérer comme clos.
Il conserve des admirateurs, plus actifs et plus motivés, semble-t-il, que la défense de la liberté ne compte de véritables militants.
On rappellera aussi que le pays le plus peuplé du monde est gouverné par un parti unique se réclamant encore du communisme. Son économie semi-esclavagiste a permis à sa banque centrale d'accumuler les plus énormes réserves de change de la planète. Et ces jours-ci encore l'UMP, parti gouvernemental de notre Hexagone, vient encore de tomber dans le panneau et d'accepter le 22 octobre un protocole de coopération de parti à parti. Malraux admirait Lénine et Mao Tsé-toung. Sur ce terrain une seule chose a changé sous la houlette de M. Xavier Bertrand : le talent.
Le soubassement théorique léniniste fait en partie novation par rapport à la pensée de Marx et Engels (2). La nouveauté s'affirme dans la polémique avec les mencheviks russes et avec la sociale démocratie allemande, qui, sans mériter pour autant un brevet d'innocence, représentent la vraie tradition marxiste et demeurent, grosso modo, dans la lignée humaniste de la pensée occidentale. La rupture définitive commence avec la thèse de 1913 sur "l'orient avancée" qui ouvre les portes de l'entente avec la barbarie.
Marx lui-même s'était écarté de ce qu'il appelle le "socialisme utopique". Encore plus rejetait-il l'idée que le "communisme", défini avant lui comme la simple mise en commun des biens (et des relations familiales) puisse intervenir avant le passage à une économie d'abondance.
Au bout du compte, le communisme, au sens réel du terme, au sens de "l'entreprise" de Lénine, se résume à une dictature. Celle-ci prétend agir au nom du prolétariat. Le pouvoir y est exercé sans partage par un parti révolutionnaire se fixant pour but théorique d'aboutir, un jour proche ou lointain, à une prétendue "société sans classe".
En ce sens, le voisinage entre communisme et totalitarisme saute aux yeux.
Encore faut-il aussi s'entendre plus précisément sur la signification de l'étiquette "totalitaire".
Or, le seul régime politique ayant utilisé, revendiqué le mot, le fascisme italien, me semble s'être vanté. Au sens le plus juste il s'agissait d'un gouvernement autoritaire, dont certes les velléités, les pulsions, les mises en scènes ressemblaient à ce que nous pourrions appeler "totalitarisme", comme le canada-dry ressemble à l'alcool.
À l'inverse le national-socialisme allemand, et les deux ou trois régimes effectivement apparentés à son idéologie raciste spécifique, c'est-à-dire celui de Quisling en Norvège, de Mussert aux Pays-Bas ou de Szalasi en Hongrie répondaient véritablement aux critères du totalitarisme. Ils développaient l'utopie de changer l'homme en purifiant la race. Sous d'autres couleurs, encore que disposant de moyens technologiques limités, divers régimes du Tiers-monde s'apparentaient ou s'apparentent encore à des formes de totalitarismes. Et puis surtout, finalement dans leur intégralité, les 30 ou 35 expériences gouvernementales communistes de 1917 jusqu'à nos jours se sont toutes révélées effectivement totalitaires. Le régime communiste cambodgien des Khmers rouges ne doit pas être considéré comme une exception, mais simplement, en termes de mortalité proportionnelle, comme un record. Les victimes de la terreur stalinienne des années 1930, ou celles des gardes rouges, ou les patriotes hongrois écrasés dans le sang en 1956, représentent la règle.
On ne peut pas citer un seul contre-exemple, celui d'un gouvernement communiste non totalitaire. Quand Gorbatchev cherche une voie vaguement, très vaguement, entre 1985 et 1989, démocratique, le système s'effondre.
Simplement, et à l'inverse des fascistes italiens, ni les nazis, ni les kémalistes turcs, ni aucun régime tiers-mondiste, ni les staliniens, ni les khrouchtchéviens avec leur prétendu "État du peuple tout entier", ne se sont pourtant avoués "totalitaires". Au contraire, en façade, la Constitution soviétique de 1936 se voulait "la plus démocratique du monde". Mieux que "démocratiques" les staliniens ont imposé l'usage de l'expression insupportable de "démocraties populaires" pour désigner les répugnantes dictatures de l'est.
On doit donc citer ici in extenso un passage décisif des "Habits neufs du président Mao" de Simon Leys
"M. William Hinton, auteur bien connu de divers livres sur la Chine contemporaine, se trouvait à Pékin au moment des massacres. Je lis dans les journaux qu'il a vigoureusement dénoncé ces atrocités. On ne peut naturellement que partager son indignation, mais le langage dans lequel il l'exprime, semble trahir une étonnante confusion d'idées - hélas ! très répandue. Selon lui, en effet, les dirigeants qui ont ordonné les massacres « ne sont pas des communistes ; ce sont des fascistes.»Ce passage figure dans la préface publiée sous le titre "20 ans après", en 1989, au lendemain de la répression de la place Tian An-men et il me semble qu'il faille l'opposer à toutes les feintes dialectiques de toutes les fausses bonnes consciences (3).
On peut formuler bien des accusations à l'endroit des dirigeants chinois, la seule chose qu'on ne saurait leur reprocher, c'est de ne pas s'être comportés en communistes. Le fond du problème, précisément, c'est qu'ils ont agi purement et exclusivement en communistes. Les comparer à des fascistes ', c'est recourir à un bien chétif lumignon pour éclairer le tableau. On pourrait aussi bien comparer la férocité d'un tigre du Bengale à celle d'un chat de gouttière.
D'un point de vue communiste, on ne saurait même pas condamner la sottise des massacres. Non seulement ils étaient nécessaires, mais leur logique apparaît impeccablement léniniste."
Le retournement sémantique du mot "totalitarisme" n'échappe donc pas à ces détournements de sens. Dans le vocabulaire mussolinien le "totalitarisme" se réduisait en définitive à une vision "étatiste" de la société que, certes, il convient de récuser du point de vue libéral comme du point de vue chrétien, et à cet égard il l'a été, mais qu'on ne peut confondre avec l'horreur du communisme, intrinsèquement pervers.
On doit noter d'ailleurs une manipulation sémantique grossière fabriquée par l'appareil de propagande soviétique : la confusion entre fascisme et national-socialisme. Dans la novlangue précitée, la "grande guerre patriotique" n'est pas supposée avoir opposé, entre 1941 et 1945, l'URSS à l'Allemagne hitlérienne. Elle aurait été dirigée contre le "fascisme" en général, et contre "l'Allemagne fasciste" en particulier.
Cet abus de langage, cette litote surprenante, constamment réitérée à l'est, se trouve rarement relevée à l'ouest.
Or, ils se trompent ceux qui penseraient que tout cela appartient au passé. Dans l'article publié en mai 2005, pour le 60e anniversaire de la victoire, sous la signature de Vladimir Vladimirovitch Poutine dans Le Figaro, l'antienne réapparaissait sans pudeur.
On fêtait en somme, à suivre VV Poutine, la victoire des "démocraties", URSS stalinienne comprise, sur le "fascisme". Et d'inclure par conséquent Joseph Vissarionovitch Staline au sein de la grande famille des démocrates.
Au fond de l'enfer où il rôtit nécessairement le "Petit Père des peuples" en rigole certainement encore. "L'antifascisme", il connaît. Il a lui-même forgé le concept dans les années 1930 en utilisant son génial propagandiste Willy Mützenberg (4) et son compère tchèque Otto Katz.
Quiconque combat réellement le communisme, et par là même, le totalitarisme s'expose à se voir cloué au pilori comme "fasciste", et l'a été d'une manière ou d'une autre.
En ce sens on se retrouve, comme dans les geôles de la plupart des révolutions, entre gens classés de la sorte "ennemis du peuple", le plus souvent en excellente compagnie. (5) Je sais, je choque, mais je préfère choquer ainsi, en disant la vérité que de mourir idiot.
JG Malliarakis
Apostilles
- Pour le Livre Noir du communisme qu'il a dirigé, bien sûr, mais aussi pour l'ensemble de son œuvre.
- Les "petites intrigues" que les mencheviks reprochaient déjà à Lénine s'inscrivent à la suite des écœurants grenouillages et des dénonciations sectaires auxquels se livrait Marx lui-même, de son vivant, au sein de l'Internationale. Edmond Laskine dans son livre "l'Internationale et le pangermanisme" les a remarquablement et précisément décrites. Ce travail, hélas sombre dans une explication, liée à la date de ce livre publié en 1916. Elle ne nous semble pas tenir la route : il s'agirait d'une vaste élimination, par les "méchants" allemands (il consacra un petit volume, dans le même esprit, aux "Socialistes du Kaiser") des "bons" socialistes français. Ces derniers peuvent être effectivement considérés comme plus libertaires, plus attachants, s'agissant de Proudhon, mais d'autres, parmi nos compatriotes, se révèlent au moins aussi "totalitaires" si l'on pense à Blanqui et/ou aux utopistes, aux communards ou aux saint-simoniens, etc. D'autre part, les crimes du stalinisme ont été préparés et mis en place par Lénine, continuateur de Blanqui et de Netchaïev, mais aussi par certains aspects, fort peu "humanistes", de l'œuvre de Marx et d'Engels, ne l'oublions jamais.
- cf. "Les Habits neufs du président Mao" édition 1989 du Livre de Poche Essais N° 4112 p. 7.
- Évidemment liquidé lors de la période d'alliance entre Staline et Hitler. On doit recommander à son sujet l'ouvrage de Stephen Koch "La fin de l'innocence" (tr. de l'américain, Grasset 1995)
- Un passage du "Zéro et l'Infini" d'Arthur Koestler, livre culte de notre jeunesse, doit être rappelé : celui où le héros, originellement communiste lui-même, se réjouit de découvrir dans sa prison "enfin un authentique contre-révolutionnaire".
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